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AutreMonde
25 novembre 2015

ECRIRE SANS TREMBLER, DISENT-ILS ...

Le Monde des Livres a jugé bon, vendredi 20/11/2015 dernier, de sortir un numéro spécial dans lequel: "28 auteurs du monde entier prennent la plume pour partager leurs sentiments et leurs convictions". On est bien entendu dans la vague du post-vendredi 13/11/2015.

La liste des contributeurs : Christine Angot – Frédéric Boyer – Geneviève Brisac – Arnaud Cathrine – Agnès Desarthe – Jabbour Douaihy – Alaa El Aswany – Jérome Ferrari – Marcello Fois – Jean Hatzfeld – Bertrand Leclair – Charif Madjalani – Eric Marty – Laurent Mauvignier – Ian McEwan – Jean-Claude Milner – Scholastique Mukasonga – Joyce Carol Oates – Pierre Pachet – Olivier Rolin – Daniel Rondeau – Zeruya Shalev – Marc Weitzmann – Alice Zeniter .

Il faut ajouter à cela un long papier de Richard Ford et deux planches de Pénélope Bagieu pour l'une, Christophe Blain et Mathieu Sapin pour l'autre.

Les 28 y sont bien.

L'intérêt m'a semblé inégal, très inégal.

Richard Ford se préoccupe du sens des mots, que l'événement, selon lui, change. Ce n'est pas inintéressant, cela m'a paru néanmoins bien théorique, et moyennement convaincant, surtout en termes d'action à suivre.

Le texte de Bernard Leclair est peut-être le plus frappant : "Tu es une cellule dormante", parcours d'un djihadiste vu de l'intérieur. Mais ce n'est qu'un exercice d'écriture réussi.

Beaucoup témoignent, simplement. Le ressenti est majoritaire, avec aussi l'éloge de la solidarité, la volonté de continuer "comme si", le questionnement sans réponse, la peur, l'empathie, le souvenir, etc. Il me semble qu'on est beaucoup dans la réaction à chaud et le constat. Et que le papier de Daniel Rondeau, plus politique, est tout à fait bien, de même celui de Christine Angot, à ceci près que je n'adhère pas à phrase de conclusion de cette dernière, qui veut rejeter les clivages communautaristes ou identitaires (très bien) pour affirmer – et c'est cette formulation qui m'irrite : On joue en équipe, et notre équipe, c'est l'équipe de France. Non, la vie n'est pas un match de foot et les valeurs sacrées du sport sont le plus souvent un leurre, on en a tous les jours des exemples. 

Deux choses par ailleurs sur Angot.

Le journal publiant des photographies, sa ressemblance -  au moins ici - avec Arnaud Cathrine est fascinante; on dirait deux clones.

Arnaud Cathrine

Christine Angot

L'anecdote suivante qu'elle rapporte et que, je crois,  j'ignorais, est passionnante .

Je reproduis sa présentation: "En 1822, à Baltimore, on donne au théâtre une représentation d'Othello, la pièce de Shakespeare. On demande à un soldat de se mettre en faction dans la salle; il doit veiller au bon déroulement des choses comme le ferait un vigile. C'est une histoire vraie. Elle nous a été racontée par Stendhal. Les faits sont réels. Donc, en 1822, la représentation d'Othello commence. Le soldat a un fusil à ses pieds, il surveille la salle. Il est là pour ça, c'est son travail. En même temps, il regarde la pièce. Et quand Othello, fou de jalousie , se jette sur Desdémone, le soldat prend son fusil et tire. Un Noir se jette sur une Blanche, le soldat a son fusil, c'est immédiat, il saisit son arme , il tire sur l'acteur de la pièce, l'acteur est touché, c'était un tir à balles réelles. L'acteur ne meurt pas, il est blessé."

J'ai voulu vérifier. La narration de Stendhal, dans Racine et Shakespeare, est plus concise, mais Angot n'a pas déformé, elle a seulement fait le soldat moins théâtral. Stendhal: " L'année dernière (août 1822), le soldat qui était en faction dans l'intérieur du théâtre de Baltimore, voyant Othello qui, au cinquième acte de la tragédie de ce nom, allait tuer Desdemona, s'écria « Il ne sera jamais dit qu'en ma présence un maudit nègre aura tué une femme blanche. » Au même moment le soldat tire son coup de fusil, et casse un bras à l'acteur qui faisait Othello."

Christine Angot s'attache ensuite à plaquer l'affaire sur l'attentat du Bataclan, et même sur celui de Charlie Hebdo, avançant que la civilisation , c'est voir le réel grâce à un processus (…) qui le rend visible en versant dans nos têtes de l'imaginaire, et que, lorsqu'on n'est pas capable de prendre conscience de ce phénomène – le processus étant, sous quelque forme que ce soit, l'expression artistique – c'est qu'on ne sait pas distinguer le réel de l'irréel et qu'on sort de la civilisation. Son développement m'a semblé intelligent et juste.

Sinon? Eh bien – comme à l'accoutumée – mon amertume de ne rien lire sur l'école. Je demeure persuadé que beaucoup pourrait être amélioré si, dans le monde comme il va, l'encadrement éducatif des enfants et des adolescents leur assurait bien davantage qu'aujourd'hui des espaces de vie guidée. Le vau l'eau est malgré tout devenu la norme, en ce sens que dans des structures familiales où les adultes sont absents du domicile ou totalement démissionnaires, l'institution a renoncé à jouer les substituts. J'ai sous les yeux un emploi du temps de classe de cinquième, collège standard, réputation honnête, où il apparaît que cette semaine, l'élève générique a terminé ses cours mardi à 14h30, les terminera à la même heure vendredi, étant entendu qu'il vaque le mercredi après-midi et quitte l'établissement le lundi et le jeudi à 16h45.

Je reste persuadé que sur la totalité de la scolarité obligatoire au moins, l'élève doit être accueilli et réellement encadré - dans des activités dont la palette doit être complète - de 9 heures à 18 heures, tous les jours de la semaine, du lundi au vendredi. Faute de quoi – et l'exemple isolé mais significatif ci-dessus en souligne les facilités - c'est la rue qui s'en chargera, et bien évidemment pour le pire.

Il ne saurait s'agir de garderie, et il y faut des moyens significatifs, dont des maîtres bien formés et une invention pédagogique qui sorte de l'obsession inefficace: 1 heure = 1 classe = 1 professeur.

On doit, à l'école, pouvoir apprendre à vivre. Cela passe par le lire-écrire-compter, mais cela inclut aussi le penser-réfléchir-discuter-s'exprimer. La méthodologie en place n'est pas efficace, l'apprentissage de l'effort du travail long n'y est pas structuré et les quelques querelles actuelles (réforme du collège) tournent à vide. Le problème est beaucoup plus fondamental, et l'école, comme outil de ressaisissement d'un développement humain, sociétal et social, équilibré et complet, est entièrement à réinventer.

Mais on ne l'entend pas.

Ecrire sans trembler, disent-ils.

Et si on proposait: Enseigner pour lutter? 

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Commentaires
D
Marrant, cette anecdote sur "Othello"...<br /> <br /> Quand j'étais en fac, il y a plus de 30 ans maintenant, j'ai entendu de la bouche d'un prof l'anecdote suivante : Lors d'une représentation de... "Othello", un spectateur s'est levé spontanément dans la scène qui a fait vaciller subjectivement le soldat en question pour s'écrier, "Othello, ne le fait pas, Iago est un menteur".<br /> <br /> Et j'ai un très bon film en DVD, "Stage Beauty", où il est question d'un acteur qui perd le contrôle en jouant... le rôle d'Othello, et manque de peu ôter le souffle de sa partenaire.<br /> <br /> Etrange, non ?<br /> <br /> Face à ce constat, la parole très plate que vous citez est... TRES PLATE. Elle ne fait pas le poids, non plus.<br /> <br /> Il y aurait une tonne à dire sur pourquoi "Othello", à l'heure actuelle, est d'une brûlante actualité en Occident, ET en Orient (lisez le livre de Peter Brook sur Shakespeare, autour du pardon, mea culpa, le titre exacte m'échappe sur le coup. Je l'ai lu cet été, et juste sur UNE PHRASE, j'ai compris.. beaucoup de choses...).<br /> <br /> Des rappels doctes et pédants pour nous dire combien "laréalité" n'est pas la fiction, il y en a marre. Impasse de civilisation, je dis.<br /> <br /> Combien de temps encore allons-nous pouvoir torturer ce pauvre.. mot de "réalité" pour lui faire exprimer ses derniers sucs, aussi savoureux qu'un chewing gum qui a été mâché par mille générations et un nombre incalculable de bouches ?<br /> <br /> Fin de râle. Désolée.. chacun ses coups de sang, n'est-ce pas ?
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