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AutreMonde
11 décembre 2023

MATHEMATIQUES & PISA

Le théorème de Marguerite

Résultats PISA et floraison de prises de position, le marronnier du débat sur l'enseignement des mathématiques est  reparti. Tribunes dans Le Monde et interventions sur France-Culture - où la récente médaille Fields d'Hugo Duminil-Copin l'installe malgré lui dans l'expertise - viennent témoigner d'une erreur constante d'appréciation. Des compétences surdimensionnées viennent tenir sur les vertus des mathématiques des propos où le vœu aussi pieux que vague le dispute à la poésie. La question est ailleurs.

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Un exemple :

J'ai souvenir d'Edouard Balladur, chef du gouvernement, interrogé sur l'évolution d'un critère quantitatif  dont il vantait l'accroissement, affirmant qu'il avait augmenté de 15% puisque de 5% chaque année pendant trois années consécutives. Voilà le point, le concret. Trois augmentations consécutives de 5%, c'est une augmentation unique de 15,7625% soit 16% en arrondissant à l'unité. Les pourcentages ne s'additionnent pas. Augmenter une quantité de 5%, c'est la multiplier par 1,05. En conséquence, trois augmentations successives équivalent à une multiplication par (1,05)3, le cube de 1,05. D'où le résultat. Ne parlons pas de l'erreur "Balladur" sur 15 ans, où son accroissement cumulé de 75% serait en mettre en regard d'un accroissement réel de 108% par le calcul de (1,05)15.

S'agit-il vraiment de mathématiques? Faut-il aller chercher des professeurs d'université pour discuter de cela? N'est-on pas plutôt dans les outils de base du calcul, indispensables au citoyen pour s'y retrouver dans la valse des affirmations chiffrées dont on l'inonde?

Autre exemple:

Le norvégien Ken Stornes vient d'établir un nouveau record du monde dans le Death diving, le plongeon à risques en pleine nature, en s'élançant dans une eau glacée d'une hauteur de 40,5 mètres. Quelle était sa vitesse au moment de son impact dans l'eau? Faut-il interviewer la compétence de Cédric Vilani pour répondre? Assurément non. Mais chacun, au terme de sa formation initiale, devrait avoir suffisamment de notions sur la chute des corps et les relations entre le temps, la distance et la vitesse pour effectuer de façon autonome, les modestes calculs nécessaires.

Loi de la chute des corps : e=(1/2)gt2 , où e est l'espace parcouru (en mètres), g l'accélération de la pesanteur (≈ 9,81) et t le temps (en secondes). La vitesse v étant la dérivée de l'espace par rapport au temps, on en déduit, à l'impact : v = gt.

De e = (1/2)gt2, on tire : t2 = 2e/g, puis, t = √ (2e/g) et finalement v = √(2eg)

Pour Ken Stornes : v=√(2x40,5x9,81)

Il s'agit là de mètres par seconde. Dans une heure, il y a 3600 secondes et dans un kilomètre, mille mètres. D'où la vitesse en km/h au moment de l'impact : 3,6x√(2x40,5x9,81) soit en arrondissant sur la première décimale, une vitesse de 101,5 km/h.

Il faut une sacrée maîtrise de sa position au moment de l'entrée dans l'eau pour ne pas se tuer à cette allure-là.

Un dernier exemple:

Je suis dans une grande cour strictement triangulaire. Où dois-je me placer pour me trouver exactement à la même distance de chacun des trois murs qui la bordent. Réponse : au point d'intersection de deux des trois bissectrices du triangle. Comment déterminer une bissectrice? Je ne dispose d'aucun instrument de mesure. Je vais alors en m'efforçant de marcher à enjambées égales, mesurer en pas les longueurs des trois côtés de la cour. La technique est la même quelles que soient les valeurs trouvées. Si je nomme A, B, C les sommets de mon triangle (de ma cour), supposons AB = 40, BC = 50, CA = 60. Je sais alors que la bissectrice issue de A va rencontrer le côté opposé BC en un point A' qui divise BC dans le rapport des côtés adjacents, soit : A'B/A'C = AB/AC = 40/60 = 2/3. Ainsi, A' sera aux 2/5 de BC à partir de B. J'en déduis une longueur de 20 pas pour BA'. Je détermine ainsi A'. En marchant droit et en visant A, je peux, laissant une trace au sol, marquer ma bissectrice AA'.

Je recommence pour ma bissectrice issue de B. Elle rencontre AC en B' avec : B'A/B'C = BA/BC = 40/50 = 4/5. Ainsi, B' sera aux 4/9 de AC à partir de A. D'où une longueur pour AB' de 240/9 pas soit 26 pas 2/3. Pas idéal, mais assez bien estimable.  J'ai mon point B' et comme plus haut, ma bissectrice BB'. À l'intersection de AA' et BB', j'ai le point cherché, équidistant des trois murs.

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Voilà trois situations de mathématiques citoyennes. Il ne s'agit pas de calculer ici la cohomologie des sphères, compétence réservée à quelques unes des sommités médiatiquement convoquées pour nous sortir des enlisements PISA! Il s'agit de compétences de base, élémentaires, accessibles à tous par la patience, l'attention et l'effort et aujourd'hui, au sein des 68 millions de français, à la disposition de si peu …

C'est à cela qu'il faut s'attaquer. Et, dans une conception erronée d'un apprentissage "pour tous", c'est à côté de cela qu'on passe.

Le système éducatif ne définit pas le bagage minimum, le vade mecum mathématique, que doit posséder, maîtriser, l'élève en fin de scolarité obligatoire. Le système définit des programmes dont la finalité est incertaine, marche-pieds éventuel de poursuite vers un élitisme vague le long de sentiers jonchés de laissés pour compte. Il faut poser avec précision un noyau dur de compétences éclairé de situations-types qu'elles doivent permettre de maîtriser en s'assurant qu'il y a là un corpus accessible à tous, sauf cas pathologiques. Et il faut donner aux professeurs des écoles d'abord et même aux professeurs en poste en collège, une formation constamment renouvelée qui les place très largement en surplomb de ce niveau bas d'exigence afin qu'ils y soient au mieux à même d'y faire accéder leurs élèves les moins à l'aise.

Il faut aussi bien sûr mettre en place la possibilité de parcours différenciés tels que tandis que les plus lents assimileront à leur allure, guidés avec bienveillance, ce plancher de techniques tout au long de leur formation, les plus vifs, ce bagage vite acquis, pourront continuer à galoper sur les chemins de la connaissance. D'où la nécessité d'une progression par unités de valeur. Mais ceci est une autre histoire.

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Commentaires
C
Je partage le sentiment de ne pas avoir aujourd'hui les compétences pour transmettre ce bagage que vous dites fondamental.
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D
Très intéressant, et très instructif, merci.<br /> <br /> Comme vous vous en doutez, je n'ai nullement les compétences que vous assignez à un bagage fondamental citoyen.<br /> <br /> Mais j'avais déjà remarqué que ma fille de 30+ maintenant avait des difficultés avec les pourcentages en primaire.<br /> <br /> Je ne peux pas me défaire de l'idée que l'enseignement des mathématiques, comme celui de la langue, est devenu une démarche hors sol, profondément divorcé d'un raisonnement de base qui s'appuierait sur un minimum d'observation, et la nécessité de faire un va et vient entre système(s) symbolique(s) et cette chose... nébuleuse dont ces systèmes sont censés rendre compte.<br /> <br /> A défaut de pouvoir asseoir des connaissances sur un raisonnement, "on" est réduit à ânonner.... des dogmes, énoncés comme des vérités pures. On tombe.. dans la religion la plus obscurantiste, d'ailleurs, et souvent sans s'en douter.<br /> <br /> Triste...
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