LA VERITE SUR L'AFFAIRE HARRY QUEBERT
La réception des livres est quelque chose de fascinant.
Ce bouquin de Joël Dicker, par exemple, paru en 2012, qui s'est retrouvé sur la liste du Goncourt, a reçu finalement le Goncourt des lycéens, le Grand Prix du roman de l'Académie française, et le prix de la vocation Bleustein-Blanchet, ce bouquin-là, donc, est d'une nullité littéraire accomplie. C'est un roman de gare archétypique, ficelé en thriller totalement invraisemblable, doté d'une intrigue qui n'a pas une once de crédibilité … et qui se voit en quatrième de couverture soutenu par les jugements suivants :
« C'est rare, mais quand cela arrive, rien ne peut couper court à l'excitation. Jeune ou moins jeune, lecteur difficile ou facile, femme ou homme, on lira sans discontinuité jusqu'au bout le roman français de Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert. On n'en sortira qu'épuisé et ravi par le jet continu d'adrénaline littéraire que le narrateur n'a cessé d'injecter dans nos veines. » Marc Fumaroli (Académie Française et Collège de France) dans Le Figaro Littéraire
« Si vous mettez le nez dans ce gros roman, vous êtes fichus. Vous ne pourrez pas vous empêcher de courir jusqu'à la six centième page. Vous serez manipulé, dérouté, sidéré, agacé, passionné par une histoire aux multiples rebondissements, fausses pistes et coup de théâtre. » Bernard Pivot (qu'on ne présente pas) dans Le journal du Dimanche.
Ces enthousiasmes me sont incompréhensibles. Avec le bémol suivant : le bouquin est nul, mais je l'ai quand même lu en trois jours. Et c'est sans doute cela qui a fait son succès. Rien là-dedans ne tient debout, mais on a quand même envie de savoir. On continue donc, sans l'avouer à ses proches, l'oreille basse compte tenu de la pauvreté littéraire de l'ouvrage, du caractère affligeant des passages romantiques, de l'inexistence psychologique des personnages, stéréotypes approximatifs du romanesque ferroviaire, de l'accumulation de coups de théâtre dont dix pour cent devraient suffire à nous faire abandonner ce pavé à son triste sort … on continue et même on accélère, car on se dit qu'on perd son temps et qu'à ce compte-là, autant le perdre le moins longtemps possible, pour revenir enfin à des activités plus sérieuses.
Et à la fin, eh bien, c'est fini! On a honte mais ... on a lu.
Dans l'affaire, outre le Harry Quebert du titre, héros passif, le véritable héros, actif, est un certain Marcus Goldman, jeune écrivain de génie (on n'en voit pas les traces) dans lequel Joël Dicker a assurément mis beaucoup de lui-même (!) et dont il m'a beaucoup amusé qu'il soit l'homonyme intégral du fondateur de la banque Goldman Sachs.
On notera que ce Marcus Goldman là (ci-contre), né en 1821, qui émigre aux USA en 1848 pour y mourir en 1904, a ici un livre à la main. Je suis certain qu'il est en train de lire La vérité sur l'affaire Harry Quebert, affirmation à peu près aussi vraisemblable que n'importe quelle péripétie du bouquin de Joël Dicker.
Sacré coup d'édition! En octobre dernier, on en était à trois millions d'exemplaires vendus, dont la moitié en français.
Tiens, pour un prix équivalent, j'ai un truc aussi palpitant (mais si!) à vous faire lire: Roman-Roman, d'Auguste Sejan . En octobre dernier, il s'en était déjà vendu une petite dizaine d'exemplaires !!!