Sur la vague médiatique ...
Je suis trop occupé depuis quelques semaines (et encore pour quelques unes) par une activité annexe pour vraiment réfléchir. Il ne me reste plus, du coup, que la surface des choses, les gros titres du Monde, les chroniques du matin de France-Inter, dans la tranche 6-9, entre une Patricia Martin au charme enjoué et volontiers mutin et un Nicolas Demorand aux “Bonjour Monsieur (resp. Madame!)” agressifs, qui met un point d’honneur à claironner dans ce seul incipit, en recevant des personnalités politiques, ce qu’il pense être l’insolence d’un esprit libre et qui n’est que la momerie d’un multidiplômé crypto-prétentieux, tombé dans le journalisme peut-être... pour échapper à l’enseignement.
Comment avec cela se faire une opinion? Une opinion sur quoi? Sur le sujet électoral du jour bien sûr, et sur la décision à prendre, il en faudra bien une, sous peu, dans l’isoloir. Alors? Ségolène ou François? La maman ou le maquignon? La madone ou le béarnais? L’égérie ou le pastoureau? Ils ont au moins un point commun, ils sont capables, tous les deux, de monter sur leurs grands chevaux, pour l’un, ce sera au propre et pour l’autre, au figuré... Mais savent-ils bien où ils vont?
On crédite Olivier Cromwell (1599-1658) de ce mot: “C’est quand on ne sait pas où on va que l’on va le plus loin”... Encore faut-il quand même que ce soit dans la bonne direction...
C’est le char éducatif qui m’inquiète, lui qui, comme celui de l’État dans la métaphore de Joseph Prud’homme, navigue sur un volcan.
On rappellera que ce personnage, créé en 1830 par Henri Monnier (1799-1877) pour incarner (et moquer) le bourgeois solennel, sentencieux et vain, est également l’auteur du célèbre, et qui a resservi: Ce sabre est le plus beau jour de ma vie!
Mais retour au sujet... et au dit char éducatif.
Comme un navire, il va sur son erre. Les feux de l’actualité ne le concernent presque plus, on en parle, mais mollement; de Robien, entre deux coups de peigne, signe quelques décrets sur l’intérêt du calcul, de la grammaire, de l’orthographe et du vocabulaire. Il n’a ni raison, ni tort, le problème est ailleurs.
Il gère ses derniers mois de présence gouvernementale, il sait bien que tout cela passera dans peu de temps aux oubliettes, noyé dans les quelques mesures d’annonce de son successeur et de toute façon entièrement soumis au bon vouloir du pédagogue dans sa classe, qui a depuis longtemps compris qu’il peut n’en faire qu’à sa tête. Toute ma carrière et dans toutes mes classes, aux élèves ou aux parents qui s’inquiétaient de savoir quand on aurait terminé le sacro-saint “programme”, j’ai toujours répondu: “Par définition, quand je m’arrêterai de parler” . Je n’avais moi aussi ni raison ni tort, ils m’agaçaient.
Vers 1960, Monsieur Coutard, intransigeant professeur qui venait, quittant un poste au Prytanée militaire de La Flèche, d’être nommé en classe de Mathématiques spéciales au Lycée Louis-le-Grand, recevait dans son cours un Inspecteur général venu s’assurer que tout ça marchait pour le mieux. Il se plia à l’exercice, envoya au tableau deux des plus brillants d’entre nous, répondit amen à toutes les suggestions et, l’éminent visiteur reparti aussi satisfait que désinformé, nous dit en souriant - un de ses rares sourires de l’année-: “Bon, et bien maintenant, revenons à nos moutons”. Il avait tout dit de l’effet des directives officielles.
Ce sont les enseignants, par effet de société, qui changent. Ce n’est pas le ministère qui les fait changer. Et c’est à la fois la meilleure et la pire des choses. Et c’est pourquoi un projet éducatif ne saurait être un catalogue de méthodes et de contenus mais doit impérativement être un projet de société. Pour les contenus et pour les méthodes, il faut lâcher la bride aux enseignants, après les avoir solidement formés, solidement arrimés à leurs établissements en termes d’équipes, solidement persuadés que - nihil novi sub sole - l’encouragement de La Fontaine: “Aide-toi, le ciel t’aidera” est plus que jamais d’actualité, et leur avoir fourni des conditions matérielles d’exercice d’un métier à réinventer dignes des efforts que cela leur demandera: des locaux, des bureaux, des salaires . La liberté d’être ce qu’on est en droit d’espérer d’eux, voilà tout ce qu’ils demandent ........
Ou devraient demander! Car je ne cache pas mon pessimisme....
Je n’ai regardé qu’en travers cette histoire de boycott des bacs blancs. Qu’est-ce que c’est que cette foutaise? On peut boycotter la participation à des jurys d’examen ou de concours, on peut faire une grève du zèle ou de la rétention administrative de notes - je ne suis pas pour, mais je comprends la technique, elle a un sens - mais boycotter un bac blanc? Chaque établissement est maître de ses méthodes de préparation et il est vrai que dans des habitudes déplorables qui tiennent à ce que les élèves sont incapables de fournir un travail en continu, la mode d’épreuves simulées s’est peu à peu mise en place; elle engendre un délicieux frisson d’adrénaline chez les gamins, elle donne un petit sentiment d’importance aux professeurs, elle rompt la monotonie d’un système qui tourne péniblement à vide, elle est le cache misère d’une inaptitude croissante à comprendre qu’il est plus efficace de progresser à petits pas que par grands bonds (La Fontaine de nouveau! Voir Le lièvre et la tortue).
Mais ceci posé, c’est une simple mode. Et qui ne résout rien. Et qui n’est que l’emplâtre sur la jambe de bois du non travail accumulé. Et dont on peut se dispenser sans enfreindre aucune loi.
Non, je l’ai déjà dit plusieurs fois par ici: repensez la formation des maîtres et l’entrée dans la carrière (ce métier ne peut s’apprendre que sur le tas; mais il y faut des premiers pas guidés, vraiment); simplifiez voire unifiez les catégories enseignantes; mettez les salaires au niveau des responsabilités; rénovez et reconfigurez les établissements pour des services à temps plein; décidez l’autonomie des équipes et la désignation élective en leur sein de porteurs de projets-programmes (chefs d’établissement); substituez à l’inspection individuelle des réseaux d’impulsion-suivi-conseil-guidage-contrôle des établissements ...... et pilotez le tout par l’aval, en termes d’objectifs d’insertion citoyenne, de compétences et de culture de fin de scolarité obligatoire, de compétences et de culture de fin de scolarité de second degré.
Avec un seul mot d’ordre en direction des enseignants: Prenez-vous en charge dans le champ et avec les moyens définis et .... démerdez-vous! Vous êtes des citoyens actifs, volontaires, décidés à l’avènement d’une société de l’intelligence et du savoir, décidés au triomphe de la tolérance sur l’obscurantisme et les fanatismes. On vous demande d’y travailler à temps plein dans les établissements nouveaux que l’on met à votre disposition, en y déployant votre énergie, votre compétence, votre humanisme pour les mettre au service d’une éducation pour tous qui n’en laissera de côté aucun! À vous de définir localement vos méthodes. Voilà le budget. On vous suit, on vous conseille, on vous aide mais vous y allez, en première ligne; on jugera aux résultats.
Alors? Alors, je le crains, ils auront d’abord peur et il faudra, d’abord, pour les convaincre, les rassurer et un peu les porter. Qui s’en croira la capacité? Ségolène dans ses maladresses, François dans ses platitudes lénifiantes? Qui? Je ne pense pas qu’aucun des deux “sente” vraiment la situation, et je m’en désole, profondément. Alors, le 22 avril, derrière le rideau tristounet et mal fermé de l’isoloir du petit bureau de vote, quel bulletin dans l’enveloppe? Bah - mais pour combien encore? - sans doute Ségolène...
Elle rit si bien!
Tiens, dans les gros titres, je vois que j’ai négligé celui-ci: L’Inserm rend publique son étude sur la sexualité... Tant pis, et puis, comme dirait Laurent Lafforgue, notre grand mathématicien catholique (c’est lui qui s’en vante), porte drapeau d’une certaine pédagogie qui se dit “républicaine” et qui confond souvent conservatisme réactionnaire et modernité de la tradition, Laurent Lafforgue dont les talents calculatoires n’ont que la pudibonderie d’égale: “Seigneur, préservez-nous de la libido, nous avons tant de choses importantes à faire !...”