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AutreMonde
7 mars 2007

Eastwood & Eastwood ...

On a un peu de mal à repérer, sur les cartes, Iwo-Jima, au Sud / (à peine) Sud-Est du Japon, parmi les Îles Bonin (en “japonais” et dans les dictionnaires : Ogasawara), au Nord de l’archipel des Mariannes où ont été mesurées des fosses marines d’une profondeur exceptionnelle (près de 11 000 mètres).

Iwo-Jima est une île de poche, en forme assez fidèle d’Amérique du Sud, mais cap Horn au Sud / Sud-Ouest, avec inversion côte Ouest - côte Est et du coup le Brésil au Nord / Nord-Ouest. Il faut compter environ cinq miles (huit kilomètres) pour sa plus grande dimension et son périmètre est sans doute de l’ordre de quinze miles (de l’ordre de vingt-cinq km ). Les marines débarquent à l’aube du 19 février 1945 sur la plage de sable du Sud / Sud-Est (Chili de cette Amérique du Sud miniature inversée), longue d’environ un mile (1,6 km).

Les combats cesseront au matin du 26 mars. Le corps des marines y aura perdu 6821 hommes et comptera le triple de blessés. 22000 des 23 000 soldats japonais stationnés sur l’île y ont été tués; les mille derniers, faits prisonniers, n’étaient plus, souvent grièvement atteints, en état de se battre.

Quatre mois plus tard, ce sera Hiroshima (le 6 août 1945) et Nagasaki (le 9 août). Le 15 août l’empereur Hiro-Hito annonce la capitulation du Japon.

Les deux films d’Eastwood - Mémoires de nos pères (Flags of our fathers) ; Lettres d’Iwo-Jima (Letters from Iwo-Jima) - sont concentrés sur les combats d’Iwo-Jima.
Ils ne sont pas les premiers. Seulement quatre ans après l’épisode (1949), John Wayne en marine triomphant jouait l’affaire dans un film d’Allan Dwan (Sands of Iwo-Jima (Les sables d’Iwo-Jima) ) et, en 1961, dans The Outsider, film de Delbert Mann, Tony Curtis incarnait l’indien Ira Hayes et la lente déchéance de ce rescapé du conflit, l’un des pseudo-héros de la photographie qui symbolisa pour l’Amérique et le Monde la victoire annoncée sur l’Empire du Soleil levant ...

Cette histoire de photographie fait le fond de Mémoires de nos pères, ce que manifeste mieux le titre américain (Flags of our fathers) puisqu’en fait il s’agit d’une histoire de drapeaux. Les japonais ont fait du Mont Suribachi, à la pointe Sud/Sud-ouest d’Iwo-Jima, dont la roche volcanique est facile creuser, une forteresse traversée de tunnels où ils ont enterré de gros moyens d’artillerie. L’attaque américaine, après - malgré des pertes lourdes - le succès d’un débarquement qui a isolé le mont en raison de l’étranglement à son niveau de l’île, va se concentrer sur cet énorme “bunker” et l’enlever en quatre jours. Le 23 février 1945, vers dix heures du matin, le drapeau étoilé est hissé à son sommet par une section de marines avant que la bataille ne se porte vers les lignes de défense japonaises du Nord. Une photographie est prise, par le photographe Lou Lowery.

Mais presque aussitôt après, frappée par le symbole et voyant dans le drapeau qui flotte - ce drapeau que la section a monté “héroïquement”, sans la certitude absolue que le terrain était complètement sécurisé - un outil de propagande, l’autorité militaire le fait amener; et dans l’après-midi, on envoie - cette fois presque “en promenade” - un petit groupe de six hommes en planter un second, en remplacement. Deux photographes montent avec eux: Bob Campbell et Joe Rosenthal. La prise de vue de Rosenthal est magnifique dans le cadrage et la saisie de l’effort des hommes qui poussent vers le haut la lourde hampe. C’est elle que les médias vont retenir, dont la propagande va se saisir et qui va faire l’Histoire. Car l’affaire ne s’arrête pas là.

Trois de ces six hommes - les trois autres sont presque immédiatement morts au combat -, héros qu’on pourrait dire ici “de seconde main”, vont être rapatriés aux États-Unis et mis au service de l’effort de guerre par le biais d’une tournée “à l’américaine”, flonflons, discours et majorettes, reconstitution dans des stades d’un mont Suribachi en carton pâte sur lequel, grimés en soldats harassés, il faut reproduire “l’exploit”, pour vendre, à des populations qu’on espère ainsi galvaniser, des bons de souscription à transformer en matériel de guerre. On est à court de tout, de munitions, d’armes, d’avions, c’est à dire, en fait, d’argent. il y a urgence et ... tous les moyens sont bons.

C’est dans l’aller-retour incessant entre le théâtre des opérations, où les pertes sont obstinées et effrayantes, et l’Amérique des discours patriotiques, des pompom-girls, des politiciens à mondanités et des congratulations écœurantes, une Amérique que traversent, soulagé pour l’un, concentré pour l’autre, hébété de souvenirs et écrasé de mauvaise conscience pour le dernier, qui noie dans l’alcool son rejet viscéral d’une théâtralisation même pas oublieuse de son indianité - il vient d’une réserve, on le lui fait savoir -, c’est dans cet aller et retour incessant, donc, que se construit Mémoire de nos pères, en même temps que s’y délitent trois soldats dépassés transformés en pantins d’une cause, par nécessité et dans l’urgence du conflit, néanmoins juste.

Et c’est ensuite en quelque sorte “de l’intérieur”, sans drapeau, que Lettres d’Iwo-Jima nous montre le Mont Suribachi et plus généralement l’île, creusée de souterrains, percée de tunnels, truffée de fortins, parsemée de casemates, petite île mais immense gruyère fortifié .... et plein de japonais.

L’état-major impérial a pris conscience dès 1944 de l’importance stratégique d’Iwo-Jima. En juin, on envoie sur place le général Kuribayashi avec mission d’en organiser la défense; et on lui fait comprendre que - et plus encore en cas d’échec - c’est un aller simple! Entre l’été 44 et le débarquement américain de février 45, Kuribayashi, qui a renoncé - et ce sera peut-être finalement une grave erreur stratégique - à défendre l’accès aux plages par le système de tranchées initialement prévu, fera creuser et aménager plus de 5 km de tunnels et de galeries, labyrinthe au moyen duquel les japonais pourront se déplacer à travers toute l’île et opérer des regroupements défensifs mobiles.

Lettres d’Iwo-Jima est et veut être (ou veut-être et est, au choix), un film humaniste. Il s’accroche au parcours d’un petit boulanger enrôlé malgré lui dans une aventure sans espoir qu’une improbable “baraka” lui fera traverser presque sans dommages, et au destin raccourci du général Kuribayashi, qui déclenche l’empathie mais reste sans doute un peu trop sulpicien pour être tout à fait vraisemblable, flanqués de quelques figures secondaires dont certaines bien dessinées (le lieutenant-colonel champion olympique de saut d’obstacles aux jeux de Los-Angeles (1932), ou Shimizu, le radié honteux des rangs de la police militaire pour ne s’être pas résolu à abattre, sous l’œil d’enfants, un caniche aboyeur). Il s’attache aussi à mettre en scène, à travers des préparatifs de défense contestés, le réseau compliqué de relations hiérarchiques où la soumission aux ordres n’exclut pas la désapprobation larvée, comme à souligner, dans l’effondrement des espoirs de victoire, l’imbécillité pavlovienne qui conduit à des sacrifices-réflexes par là même d’autant plus affligeants. C’est sans doute en ce sens que le boulanger et le général se rejoignent, qui sont sortis, chacun à son niveau, des automatismes du devoir militaire à œillères, même si, pour l’un comme pour l’autre, une ultime réaction les montrera, l’un, malgré son passé “occidental”, toujours inscrit dans une culture japonaise du “beau geste” qui nous demeure étrangère, l’autre, soudain emporté d’impuissance dans un accès de rage absurde et incontrôlé.

Deux films, un beau diptyque, je crois, documenté et par moment documentaire, qui pousse à la réflexion, toujours renouvelée, mais aussi toujours vaine - à quoi servent les témoignages?, à quoi a donc servi Le feu, d’Henri Barbusse?, et à quoi a servi À l’ouest rien de nouveau, de Remarque? À quoi a servi Orages d’acier, de Jünger ? - sur la guerre, les hommes et la guerre, les hommes à la guerre .... Une réflexion dont l’échec itéré face aux conflits suivants installe la nécessaire question : À quoi sert-il de réfléchir?

Mais puisqu’il faut faire semblant de ne pas se décourager, soulignons qu’il y a là deux moments de cinéma qui pourraient aussi faire un beau moment pédagogique, dans un dialogue de classe comme on aimerait les rêver, comme il faut vouloir croire qu’un jour ils reviendront, dans ce futur incertain mais tant attendu qui aura vu la victoire, enfin, de l’intelligence .....

En attendant, et puisqu’assez souvent, mon œil traîne sur Télérama pour y nourrir son indignation cinématographique ou y conforter ses choix cinéphiliques, sauf l’évidente propension à rechercher le titre qui fait mouche - Heurts de gloire et Deux guerres lassent, pour les critiques respectives de Mémoires de nos pères et de Lettres d’Iwo-Jima - je ne créditerai Aurélien Ferenczi de rien pour son assassinat satisfait de ce que j’ai perçu comme la réussite la plus humanistement estimable de la caméra de Clint Eastwood.

Note : Je ne donne pas le détail des références, mais la plupart des informations de cette notice ont été récupérées parmi les nombreux documents en ligne (Internet) qui apparaissent au seul appel google-isé d’Iwo-Jima. On pourra fructueusement s’y reporter (photos).

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