Haine pédagogique ….
Ouais, ces derniers jours, à travers les quelques blogs que j’ai consultés, c’est bien la houle de la haine qu’elle a déclenchée, la Ségolène. Et ça ne vole pas haut.
Je décernerai le pompon au site de JP Brighelli, l’homme de La fabrique du crétin, titre génial auquel il doit sans doute tout (www.bonnetdane.midiblogs.com). Pas tant au niveau de sa chronique-vidéo (La reine est nue), qui se retient, qu’à travers les commentaires de ses lecteurs, qui ne reculent devant aucun argument de caniveau pour échanger des vomissures épistolaires et des libelles scatologiques en guise de débat d’idées. Étonnant. Le pamphlétaire qu’est Brighelli sait, le plus souvent, se canaliser. Mais il faut prendre garde, c’est l’écueil des anathèmes, aux débordements que l’on induit. Et il devrait savoir à temps, s’il n’est trop tard, se couper d’épigones nauséeux qui le discréditent et décrédibilisent la démarche de protestation-contestation qu’il revendique au jour le jour.
Il y a certes des blogs de très bonne tenue, au moins en première analyse (je le pratique depuis peu), comme celui de Bruno Guitton (www.dialegein.over-blog.com). Mais même là, dans la chronique Royal de Luxe consacrée à l’affaire – outre un renvoi à Brighelli qui m’y inquiète -, l’écorché vif qui en tout prof sommeille produit un jugement biaisé, verse dans une interprétation subjective et, raidissement du pédagogue agressé (ou se percevant tel), engage sur la défensive l’embryon de ce qui me semble être un faux raisonnement.
Soyons honnêtes: subjectif pour subjectif, mon penchant pour Ségolène relève certainement plus du feeling et du goût pour l’image que de l’analyse serrée d’une pensée, jusqu’à une date récente, programmatiquement assez vide (il me semble que ça s’améliore un peu). Mais enfin là, sur l’école, pourquoi plonger dans le procès d’intention et pourquoi ne pas, tranquillement, poser (et examiner) la question dans sa nudité: à conditions du métier renversées, ne serions-nous pas plus utiles, enseignants, mes frères, en présence continue, voire – et c’est ma conviction- n’y a-t-il pas là presque le seul moyen effectif de changer l’école ? La condition n’est évidemment pas suffisante. Mais je la crois nécessaire.
Quelques éléments de décor…
Le mot entreprise n’est pas – étymologiquement – un gros mot ! Et tout établissement scolaire est, comme producteur d’intelligence, de connaissances et de formation, une petite entreprise. Il y a une équipe de direction (chef d’établissement, adjoint, intendant, CPE), des cadres (les enseignants) , une équipe de maintenance (personnels administratifs et de service, équipe de surveillance) , des ouvriers (les élèves) et qui concourent tous à ceci : produire de la pensée, faire souffler l’esprit. Mais oui ! Il ne faut pas avoir peur des mots, de ces mots, qui sont des plus nobles.
À ne pas accepter cette approche «entrepreneuriale» du système, les enseignants sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont (mal) assis. Il est vrai aussi qu’on leur a carrément changé l’arbre, depuis l’époque napoléonienne et la mise en place d’une structure que nous ne savons pas – bien que totalement obsolète – renouveler.
Cet établissement-petite entreprise, il faut le faire vivre, de sa vie propre, à son rythme propre, sous ses contraintes propres, des contraintes pédagogiques imposées par son environnement, son lieu d’implantation, les caractéristiques sociologiques de ses ouvriers-élèves. Et l’équipe de direction, les cadres, l’équipe de maintenance, c’est-à-dire l’ensemble de l’équipe éducative, l’ensemble des adultes ayant en charge le fonctionnement de la boutique et l’efficience du processus de mise au travail et en formation des ouvriers-élèves, doit prendre conscience de ces données incontournables, comprendre qu’elle est au pied du mur, mise en demeure de donner son sens à ce qu’elle inculque quand elle enseigne La Fontaine : Aide-toi, le ciel t’aidera.
L’établissement est la cellule de départ. Où un préalable, et de taille, s’impose : dans leur forme actuelle, l’inadaptation des lycées et collèges à une présence permanente des membres de l’équipe éducative est absolue. En clair, un immense chantier BTP est à ouvrir en amont de toute décision de passer aux «35 heures pédagogiques» : bureaux, salles de travail, salles de réunion, bibliothèques … Sans oublier les équipements, très chère informatique ! On ne peut y échapper, sinon, on parle pour ne rien dire. Argument dirimant ? Pourquoi ? La réponse est entièrement politique. Il faut seulement savoir ce que l’on veut et là, c’est effectivement – et très au-delà d’un vague accord implicite- à Ségolène de le dire. Etat, régions, départements : tout le monde y va derrière la présidente? Et bien, allons-y ! Et maintenant rediscutons de la suite.
La suite, c’est je crois ceci, en termes de formation :
- Un environnement maîtrisé, calme, organisé, encadré en continu, à forte présence adulte, dans les locaux fonctionnels adaptés … ci-dessus
- Des séquences en groupes hétérogènes basées sur l’échange et le dialogue, organisant la mise en débat des idées, appuyées sur et ouvrant sur une culture de socle commun
- Des séquences en groupes de niveau homogènes, disciplinaires, de transmission des connaissances et d’acquisition des techniques, construisant des savoirs modulaires (unités de valeur capitalisables) et des profils d’excellence totalement individualisés
- Des plages de travail personnel et de soutien à la carte
Une telle «vision» de l’établissement scolaire s’appuie «naturellement», en termes de «forte présence adulte» sur la présence forte des enseignants, d’une véritable «équipe» d’enseignants.
Autonomie résolue des établissements, la répartition des tâches entre l’animation des groupes hétérogènes de socle commun, à connotation polyvalente, la prise en charge des modules-unités de valeur à spécificités disciplinaires et l’encadrement-soutien du travail individuel est du ressort de l’équipe, en logique «locale» et selon sa «politique» de gestion du temps scolaire et d’organisation des services dans la poursuite des objectifs généraux qui lui sont fixés par les programmes.
Les deux notions : temps scolaire et organisation des services, sont dans les perspectives évoquées à revoir. L’année scolaire française est trop dense et trop ramassée. Il est certain que des temps d’étude plus étalés au fil de semaines plus nombreuses s’imposent. On travaille actuellement autour de 32/34 semaines réelles dans les lycées et collèges. Il faudrait passer sans doute à 42.
Dans des temps de présence à journées pleines pour les professeurs, l’équilibre des missions ne devrait pas aboutir à des charges d’enseignement réel (modules disciplinaires) excédant dix/douze heures, auxquelles pourrait s’ajouter l’animation (ou la co-animation…) de cinq/six séquences de socle commun.
Voilà plutôt je crois le fond de tableau sur lequel nous devrions amorcer sérieusement la discussion, au lieu de nous jeter à la tête – et à celle de nos forcément immondes détracteurs, ces vipères lubriques du lobby anti-enseignants - nos 15/18 heures hebdomadaires dépressives/déprimantes et nos 15 semaines de vacances contrebalançant nos temps inquantifiables - mais lourds de toutes nos frustrations - de correction de copies, de préparation de cours et de réunions aussi incontournables que trop souvent improductives…