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AutreMonde
7 janvier 2023

FINIR PROF !!

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Ce bouquin me démoralise et me sidère en même temps. A la fin de années 2000, Mara Goyet tenait (sur canalblog.com) une sorte de journal de classe qu'elle a je crois interrompu fin 2010 et qui m'avait enchanté par sa vivacité et son état d'esprit. Nous étions entrés en contact par ce biais et l'échange me plaisait bien, centré sur l'école. Elle enseignait alors quelque part en Seine Saint Denis, zone d'éducation prioritaire.

Apprenant sa nomination en collège parisien au début des années 2010, je m'étais amusé que ce fût au collège Jules Romains et m'était venue l'idée farfelue mais prégnante de mettre en place, à l'occasion (et pour la fêter) de ma dixième non-rentrée scolaire pour cause de retraite, un canular ciblé sur cet établissement et digne de l'auteur des Copains. Depuis, nous sommes fâchés. Je reconnais à sa décharge que si le canular fut réussi, tout le monde, sur le moment et sur le fond, me donna tort.

J'en ai parlé (http://ednat.canalblog.com/archives/2013/09/02/27942599.html) dans un billet factuel, banal, où rien ne souligne ce qui fut la raison de la querelle.

Mara Goyet a maintenant vingt-cinq ans de bouteille pédagogique et, professeur certifié de classe exceptionnelle (c'est elle qui souligne en relativisant) toujours à Jules Romains, elle délivre une ôde aux joies de l'enseignement en collège qui relève et ne relève que de l'idiosyncrasie. Rien ici ne s'apparente à la restitution dans une perspective réformiste (ou révolutionnaire) des leçons d'une déjà longue expérience au sein d'un système éducatif qui fait à peu près l'unanimité sur ses dysfonctionnements. Il s'agit en tout et pour tout d'une mélopée narcissique sur les joies de Mara Goyet narrant l'enseignement enchanté de Mara Goyet. 

Du collège, sans doute maillon le plus faible de notre système de la formation initiale, de ses chefs d'établissement qui en constituent plus souvent le problème que la solution, il n'est structurellement rien analysé, rien posé d'où s'esquisserait l'espoir  d'un ressaisissement. La seule focale est sur la classe et par essence, sur la classe de Mara Goyet, dans un recentrage qui n'est plus qu'une autocélébration. L'impact du Covid 19 devient "Mara Goyet et l'enseignement en distanciel". 

Dans une troisième partie, elle annonce vouloir affronter un certain nombre de débats et elle en cite six : républicains versus pédagogues; laïcité et valeurs; wokisme; école inclusive; exemplarité du professeur (est-ce un débat?); l'élève au centre (ou pas) du système éducatif. Mais rien de décisif, rien de tonique, rien de tranchant, on reste dans le mou .

Même Samuel Paty, drame absolu que les responsables à tous les niveaux ont scandaleusement et honteusement glissé sous le tapis quand il aurait fallu des prises de position politiques sans pareilles, impliquant le pays tout entier, reste confiné à des propos sympathiques et à des dénonciations assagies. J'en avais en son temps parlé (http://ednat.canalblog.com/archives/2020/10/22/38604650.html) et j'y suis depuis plusieurs fois revenu.

Mara Goyet, et c'était en fait perceptible dès son Collèges de France de 2003, et elle l'évoque elle-même, n'a pas l'ambition du collectif; elle observe, elle raconte, et dans les bons jours, bien, elle prend ses distances, et elle trace son chemin professionnel et personnel à l'écart de toute ambition transformatrice. Le système est ce qu'il est et elle s'en débrouille et elle y creuse son heureux sillon. Très étonnant bonheur que le sien, au milieu de l'effondrement des tests PISA, des 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans bagage aucun du système, de l'inadaptation de l'Ecole à ses missions, de l'inaptitude des responsables, de l'incompétence des ministres successifs, peut-être pas intrinsèque, mais criante en termes d'inadaptation aux exigences de la formation dans les évolutions de l'époque. Ce livre est l'hymne illogique de Mara Goyet à Mara Goyet sur les décombres de notre avenir. 

Finir prof. Pourquoi finir, quand ce métier est un éternel recommencement? Peut-on se réconcilier avec le collège? Voilà qui signifie bien qu'on n'envisage pas d'y toucher, qu'on s'y glisse, seulement, qu'on y fait, elle le dit, son nid, qu'on y trouve son cocon et qu'on s'épanouit dans la fréquentation de la jeunesse bruyante qui le traverse sous son regard attendri. Enseigner est un travail de Sisyphe. Mais il n'est pas nécessaire de relire Camus et d'imaginer Mara Goyet heureuse. Elle l'est. 

Stupéfiant.

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Commentaires
C
Vous avertissez que vous êtes fâchés. A mon avis, ça ne va pas s'arranger.
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D
Je ne sais pas pourquoi vous en êtes stupéfait, franchement. <br /> <br /> La quasi totalité de personnes avec qui je discute de mon... passé, de mon éducation partagent mon opinion (narcissique ?) que la transformation de l'élève passe surtout par la rencontre avec un professeur qui est une personne singulière. Une rencontre fortuite qui peut relever du hasard. Ce qui accroche un élève peut laisser l'autre indifférent. L'éducation est fondamentalement une histoire de personnes singulières, et pas de système. <br /> <br /> On est en droit de se demander quelles sont les conditions qui seraient les meilleures pour permettre ça, en reconnaissant que ce qui relève de la systématisation, et du système fait plutôt obstacle, même s'il faut un minimum d'ordre, j'en conviens. Des gens qui savent qui est l'élève, qui est le maître. On serait en droit ? de vouloir que ce stricte minimum soit de la partie. <br /> <br /> Mais je peux vous rejoindre sur le terrible ennui et fatigue que provoque tant de... mou. <br /> <br /> Aujourd'hui, en voyant le naufrage de tant de choses que j'ai beaucoup aimées, j'arrive à certains moments à être heureuse. Heureusement, peut-être.<br /> <br /> Les accusations de "narcissisme", d' "égoïsme" ne me font plus ni chaud ni froid. Elles sont tellement faciles, d'ailleurs.<br /> <br /> J'ai dit sur un blog ailleurs que peut-être le drame réside dans notre incontinence verbale, et notre passion de nous... publier ad nauseum. Se publier, se photographier, se vendre... faire son spectacle, est-ce que cela ne contribue pas au naufrage, et à la dévalorisation de ce que nous voudrions sauver à tout prix ? Que faire quand tout devient objet de spectacle ? Dur, dur.
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