Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
2 janvier 2023

GONCOURT 2022

Vivre vite (Brigitte Giraud) et Le mage du Kremlin (Giuliano da Empoli) étaient au pied du sapin. Finalistes du Goncourt de l'année, la victoire allant au premier après quatorze tours de scrutin, grâce à la voix prépondérante du président du jury (Didier Decoin).

BRIGITTE GIRAUDGiulano da Empoli

Le second ouvrage se vend d'ores et déjà mieux que le premier, que l'attribution du prix ne semble pas paradoxalement avoir dopé,  et bénéficie d'une bien meilleure réception critique. Petite chose versus grand livre, lit-on ...

Le destin nous tend sa lorgnette dans le premier cas, l'ambition d'un certain décryptage géopolitique souffle à travers une trajectoire individuelle dans le second. On peut comparer les quatrièmes de couverture :

VIVRE VITE LE MAGE DU KREMLIN

Il est bien difficile, à partir de ces quelques lignes, de ne pas adhérer à l'étonnement de ceux pour qui le couronnement de Vivre vite a relevé de l'injustice ou de l'erreur.  Comment ce petit sujet privé pourrait-il faire de l'ombre à la gouvernance de l'immense Russie?

C'est oublier qu'il s'agit de livres.

Dans son deuil ressassé, Brigitte Giraud touche juste en listant tous ces si qui construisent nos trajectoires minuscules et individuellement essentielles. Qu'en aurait-il été si? L'histoire du grain de sable qui fait dévier le convoi. Le ressort a déjà servi, chez Paul Guimard au moins deux fois, très explicitement (L'ironie du sort) ou plus discrètement (Les choses de la vie). Il est à l'oeuvre dans  Le tourbillon de la vie (Olivier Treiner) actuellement à l'écran. Il resservira. Mais là où je renvoie à des fictions, Brigitte Giraud décortique le réel, le puzzle qu'à l'évidence elle ne cesse obsessionnellement de démonter et de remonter depuis plus de vingt ans et dont l'image finale recompose l'hébétude du fait brut, la mort de l'autre.

Recomposition modeste, mais obstinée, sans pathos, qui détaille, qui décrit, qui s'interroge, qui ne peut, car il n'y en a pas, fournir de réponse, mais qui informe. C'est une narration qui nous prend à témoin. Voici comment cela s'est passé, ce que j'en ai su, ce que je n'en ai pas su, nous dit-elle, et au fond, si je vous en parle, c'est qu'il faut bien se résoudre un jour, si l'on veut continuer, à tourner la page, terrible cruauté du vivant. Et donc, avant de la tourner, s'assurer que l'on a tout dit.

Rien de tel, chez Da Empoli. Rien de tel et peu de sincère. L'auteur a visé haut mais l'ampleur de l'ambition est à la merci de la réalité des moyens. Ils ne sont pas là. Le sujet était pour Emmanuel Carrère. Il suffit pour s'en convaincre d'avoir lu son Limonov. Le récit ne décolle pas. La visée géopolitique prête ici ou là le flanc à la grandiloquence, rien de clairement dessiné ne sort d'allusions - dont on se demande si elles sont fascinées ou ironiques -  à la profondeur des vues poutiniennes, aucun élément précis ne donne du contenu à la montée en puissance du conseiller-narrateur central avec qui on navigue dans l'affirmatif sans preuve tandis qu'il se prête des qualités d'analyse sans égales, capable qu'il est de tout comprendre et de tout expliquer, sans qu'au fond nous pénétrions en quelque façon l'essence des sujets traités. Accréditant (ou le prétendant ?) le discours, on voit passer des noms qui ont fait la Une des journaux, Mikaïl Khodorkovski, Boris Berezovsky, Limonov (justement), Alexandre Zaldostanov (le chef des Loups de la nuit, biker ici mythifié dans une veine très journalistique) qui interviennent pour des échanges qu'on sous-entend profonds et qui ne sont qu'assez ennuyeux.  Et puis, en rebondissements épisodiques, une soi-disant extraordinaire histoire d'amour articulée sur la figure stéréotypée d'une Ksenia affadissant tous les qualificatifs dans une hypertrophie de roman-photo. Il est bien possible que la réalité dépasse la fiction, mais la fiction ici n'a pas d'épaisseur. Le roman frôle nous dit-on l'enquête, et Vadim Baranov serait suffisamment Vladislav Sourkov, grand stratège répértorié de Vladimir Poutine, pour que l'affaire soit à prendre au sérieux et la narration pleine d'enseignements décisifs sur le dessous de maintes cartes. Mais le dispositif ne fonctionne pas. La cible est ratée. Reste un objet littérairement un peu filandreux auquel on préfèrera dans une perspective informative une bonne analyse spécialisée.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Ni l'un ni l'autre me tente. Je lis la littérature du passé.<br /> <br /> J'ai passé des années sur le divan d'au moins deux psychanalystes, et j'ai laissé des plumes, des sous, pour faire le travail que Brigitte Giraud publie, plus ou moins, dans son livre. Il y a eu des morts subites et tragiques dans mon parcours aussi. <br /> <br /> Je m'octroie le luxe d'estimer que de tels témoignages ne sont pas de la littérature, dans la mesure où ils aplatissent le ressort de la fiction dans le but même de la détruire comme fiction. Je n'approuve pas, et... ça m'ennuie. C'est un peu le même problème avec Annie Ernaux, d'ailleurs. Souvent il s'agit d'enquêtes performances. Fin de partie pour Oedipe ? Je le crains. <br /> <br /> Pour le livre sur Poutine, il me vient qu'en changeant le nom de Poutine pour le nom d'Emmanuel Macron, on aurait une configuration semblable, dans la mesure où il me semble que la politique (et le politique) ont succombé à l'idolâtrie de l'image. On oublie trop souvent que l'image est plate, et sans un pli. Assez inhumaine dans le fond. En tout cas, assez inhumaine pour moi, qui voudrais qu'un peu d'ombre ? de plis ? retrouvent leur place dans la pulsion d'expliquer (la vérité vraie) qui nous obsède en ce moment.<br /> <br /> Moi, je n'ai eu aucun Goncourt sous l'arbre, mais des gros paniers bien garnis de victuailles. Vieillesse oblige. Je crois que je préfère.
Répondre
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité