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AutreMonde
2 mars 2022

SUR DEUX LECTURES INQUIÉTANTES.

Les-gardiens-de-la-raison-Enquete-sur-la-desinformation-scientifiqueLes infiltrés Deux journalistes du Monde et un maître de conférences à l'EHESS pour le premier bouquin, deux journalistes de L'Obs pour le second. Au concours de l'ennui, Les gardiens de la raison sortent grands vainqueurs. Cet épais travail a diffusé pour moi un emmerdement continu et je m'admire assez d'en avoir accepté le calvaire. La seconde étude est plus digeste, sans pour autant dispenser d'une certaine obstination dans le souci de s'informer.

Le principal défaut du premier livre est qu'on a tout compris en quelques pages et qu'il faut en supporter  encore trois bonnes centaines avant de trouver le mot Fin. La tâche est noble, l'accumulation des dénonciations considérable, le travail de compilation en amont certainement énorme avec plus de trente pages consacrées à signaler les articles et ouvrages consultés, pour énoncer ce constat : Des scientifiques de divers niveaux, plus ou moins stipendiés par des structures industrielles, rédigent sciemment des rapports entachés de contrevérités dans le seul but de permettre à ces structures de faire d'énormes profits sur des productions dangereuses pour la santé publique et que leurs mensonges présentent comme inoffensives. Bref, pour se faire un maximum de pognon, on nous bourre le mou et à terme, on nous tue. Au fond, on s'en doutait.

La lourde et répétitive et pénible présentation de la thèse et ses développements tuent malheureusement l'indispensable du propos. Mieux eût valu une dizaine de pages ramassées pour définir un cadre, puis la liste sèche des infâmes associée à celle de leurs employeurs. Et encore ... Car au bout du compte, rien sans doute de l'ordre du changement de société permettant d'échapper à ces comportements scandaleux ne suivra. Les empoisonneurs vont continuer à nous empoisonner et les journalistes à vendre des livres qui le diront et dont personne n'envisagera réellement de tirer les conséquences. Ils s'ajouteront à quelques films, quelques documentaires, quelques procès même, et puis tout recommencera.

Le second bouquin, sur la mainmise des cabinets de conseil, est un peu moins étouffe-chrétien, comme on disait chez moi (et sans doute ailleurs) de ces plats (souvent des  pâtisseries) qui épuisent la mastication et plombent l'estomac, souvent des tourtes ou d'épais quatre-quarts. Ça passe mieux, avec néanmoins le même effet de ressassement un peu excessif. Oui, oui, on a compris ...

Mais cette dilapidation des fonds publics pour acheter du vent à des officines qui élèvent l'inutilité à la hauteur d'un art me procure d'irrépressibles montées d'indignation. Le diagnostic est assez clair, l'Etat semble incapable de se doter des compétences que nécessite son fonctionnement voire, ne se soucie pas de contrôler qu'il en dispose, et externalise à tout crin et à prix d'or ses soucis opérationnels et quelquefois des questionnements qui n'échappent même pas au ridicule. J'ai trouvé la lecture plus instructive, ici, car j'avais moins l'intuition du désastre. On demande des audits et des rapports sur tout et soit on n'en fait rien, soit on en applique les recettes qui se révèlent inopérantes, océan de vacuités où l'on peine à repérer quelques bonnes (et de toute façon coûteuses) idées. Où sont passés, du modeste chef de service soucieux de l'intérêt général au directeur à l'administration centrale les grands serviteurs bien formés de l'Etat ? Des jeunes gens multi-diplômés se font des couilles en or sur notre dos via l'imbécillité de décisionnaires aveuglés par des modes gestionnaires venues pour beaucoup des USA. Il y a sur france-inter le week-end de  courtes interventions globalement savoureuses de Christophe Bourseiller sous le titre Ce monde me rend fou. C'est tout à fait ça. Fou et enragé.

J'ai pourtant modestement moi-même, il y a vingt ans, trempé dans le scandale sans, naïf, m'en apercevoir. J'assurais alors une année d'enseignement au Lycée Victor Duruy, Paris, 7ème arrdt. Claude Thélot, qui pilotait le HCEE (Haut Conseil de l'Evaluation de l'Ecole) m'a sollicité pour un rapport à produire sur "L'appréciation des enseignants du premier et du second degré : diagnostic et propositions", c'est à dire au fond sur les techniques d'inspection, de notation et de suivi de carrière. Et pour ce travail, il avait décidé de missionner une équipe professeur-consultant, ce qui m'a binômé avec un non-spécialiste de la pédagogie issu du cabinet Bernard Brunhes. Thélot voulait à mes côtés sans doute le fameux "regard extérieur". Le binôme a bien fonctionné, mon partenaire était un homme charmant et nous avons lié dans le travail des liens d'amitié aujourd'hui effacés mais de bonne qualité alors. Un travail assez important et dense de terrain, puis de rédaction qui s'est étalé sur trois ou quatre mois pour aboutir à un rapport d'une soixantaine de pages si je me souviens bien qui n'a strictement servi à rien qu'à nourrir les archives de l'institution. Il y est toujours, d'ailleurs.

Combien ce rapport a-t-il coûté à l'Education Nationale? C'était un travail supplémentaire, je n'étais pas dispensé de ma tâche enseignante et je me souviens y avoir consacré entre autres mes congés de février, dont une semaine d'investigations dans l'académie de Poitiers qui n'était pas dans la zone de vacances de Paris. Je crois aussi me souvenir avoir perçu un forfait de 4600 € pour cette affaire, forfait sur lequel prendre les frais que j'avais dû engager pour mes déplacements. J'imagine que la facture de Bernard Brunhes a été sans commune mesure avec ces modestes émoluments. En pure perte. J'ai détaillé cette histoire dans un roman, Ed Nat (https://www.thebookedition.com/fr/ed-nat-p-87259.html).

Assez navrant, tout ça, non? 

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Commentaires
D
Très intéressant. Je partage pour beaucoup votre regard sur tout cela maintenant. Peut-être parce que nous commençons à être vieux, et avoir un peu de bouteille/expérience ?...<br /> <br /> Oui, pour la perplexité, voir l'indignation sur la forme que doit prendre maintenant un travail JUGE intellectuellement sérieux par l'intelligentsia. C'est un grave problème, qui va, malheureusement, avec la colonisation de la chose scientifique qui s'étend à tous les domaines de notre vie. L'approche scientifique... est partout. C'est mauvais. Trop d'une bonne chose, etc, etc. Cela va de pair avec la destruction de... la poésie en tant que telle, même l'art, au profit d'une horrible prose de plus en plus indigeste qui nous étouffe, comme vous le dites, chrétiens ou pas, d'ailleurs. <br /> <br /> J'ai une petite théorie là dessus, tout de même... j'affirme que pour se souvenir, l'Homme doit passer par la répétition. On ne se souvient pas sans répéter. Or... notre mémoire, individuelle, et collective, me semble pas mal menacée en ce moment. Evidemment, la répétition n'a pas le même charme sous forme écrite que sous forme orale. Et oui, il y a un charme à la répétition. Celui qui ne voit que... l'utilité de l'écrit peut passer à côté de ce charme. Regardez un peu ce que nous subissons depuis deux ans maintenant, avec la.. répétition orale et écrite d'une propagande très ras-les pâquerettes, disséminée jusque sur les panneaux de l'autoroute... Bon.. la propagande des uns est l'enseignement des autres, je suppose, en sachant que "propagande" vient de l'enseignement de la Grande Romaine.<br /> <br /> Pour les cabinets de conseil, je trouve cela très inquiétant. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point ces cabinets exerçaient un poids et une influence... UNIFORMISANTE et REDUCTRICE sur nos hommes politiques qui sont globalement.. TRES INCONSEQUENTS, mais à l'image de nos sociétés.<br /> <br /> Question pour aujourd'hui... est-ce que secrètement, Vladimir Poutin consulte un cabinet de conseil aux U.S. pour déterminer ce qu'il doit faire ? Avouez que la question est piquante... (Pour ma part, je parie que non. Quelque chose me dit que non, mais... je peux me tromper.) Ou Vladimir Poutin a t-il un cabinet de conseil russe pour le conseiller, sur le même modèle (américain) que "nous" ? <br /> <br /> Allons, fini de fantasmer pour aujourd'hui...
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