POURQUOI L’ENSEIGNEMENT NE SE FAIT PAS ENCORE SUR DES BASES SCIENTIFIQUES.
C'est ICI, dans Horizons, "Le magazine suisse de la recherche scientifique".
J'avais laissé l'article sur mon bureau (d'ordinateur). Il me semble que le lien venait d'un partage de Twitter (Charles Torossian ? Je ne suis pas parvenu à le retrouver). Bref, j'ai pris la peine de lire.
- I -
L'incipit : De nombreuses recherches ont déjà identifié les mesures qui améliorent l’apprentissage, mais ces conclusions n’atteignent que trop rarement les salles de classe. Petit tour d’horizon de ce que la science sait de l’enseignement – et de ce que les écoles en font. [Mais] Des méta-analyses ont identifié ce qui permet aux élèves de prendre leur envol.
Qu'apprend-on?
J'y apprends surtout l'existence de l’étude monstre (elle aurait porté sur 250 millions d'élèves) de John Hattie, professeur à l'Université de Melbourne, dont les premiers bilans ont été dévoilés en 2009..
Ensuite, je résume en "piquant" des phrases tout du long…
John Hattie a identifié plus de 250 facteurs qui influencent l’apprentissage des élèves, en le stimulant ou en le freinant, et a chiffré leur impact, livrant des résultats inattendus, comme dans le cas des devoirs: ces derniers n’aident en rien les enfants à apprendre, tout au moins pendant les premières années d’école. Ce n’est qu’au degré secondaire post-obligatoire (en Suisse dès 15 ans) qu’ils peuvent éventuellement s’avérer utiles. A condition que le feedback soit bien construit et efficace. Un impact étonnamment faible est également apparent pour d’autres facteurs liés aux structures scolaires et aux ressources, p.ex. la taille de la classe ou encore la stricte répartition des enfants en différentes filières.
A l’inverse, John Hattie a mis en évidence qu’une centaine de facteurs déterminants pour le succès étaient liés à ce qu’on appelle les pratiques d’enseignement, c’est-à-dire les méthodes et les actions déployées par l’enseignant pendant les cours. Cela a clairement démontré et de manière empirique que le comportement de l’enseignant en classe est décisif. Et que la différence que peuvent faire les enseignants est considérable: environ un tiers de la réussite de l’apprentissage chez les enfants dépend de leur comportement.
Les conclusions de cette étude (comme d’autres travaux) n’ont quasiment pas atteint la pratique, à savoir les enseignants dans les salles de classe. Les résultats issus d’un pays ne sont guère transposables dans d’autres, et une mesure concrète qui, selon une étude, fonctionne bien dans certains établissements peut s’avérer complètement inefficace ailleurs.
Bref, "il est difficile d’émettre des conclusions de portée vraiment générale".
Par contre, d'après Hattie un élément essentiel ressort: chaque enseignant tient entre ses mains de nombreux facteurs importants pour la qualité de ses cours, sous réserve d'être capable d'analyser sa propre pratique. Un outil logiciel a même été développé pour l'y aider, connu en français sous le nom d'EEVE. Resterait à l'intégrer dans la formation initiale, sachant que transmettre ce type d’outils demeure difficile, et que seule une minorité d’enseignants est atteinte [en Suisse] pour l’instant.
Autre point, les grandes enquêtes comme l’étude PISA ou la vérification de l’atteinte des compétences fondamentales (COFO) ne fournissent pas aux établissements des retours utilisables.
Enfin, le politique se trompe de cible
Les autorités éducatives et politiques sont les acteurs les plus importants: elles décident en fin de compte de l’aménagement global de l’école. Et elles mènent des discussions sur les mauvais sujets, comme les questions structurelles ( exemple: la sélection en différents niveaux scolaires), qui dominent les discussions politiques depuis plusieurs décennies. Alors que le travail de John Hattie montre que cette différenciation par niveaux n’influence pratiquement pas la réussite de l’apprentissage!
Il serait bien plus judicieux de chercher des possibilités de réduire un peu la charge de cours des profs afin de dégager du temps pour assurer le développement de leur enseignement, du temps pour l'améliorer, tout simplement.
Qu'a-t-on appris?
Trois fois rien il me semble, ce qui néanmoins, comme disait Raymond Devos, est déjà quelque chose … Pour résumer le résumé :
Les devoirs ne sont utiles que si les corrections sont bien gérées
La pratique de l'enseignant est essentielle et l'auto-analyse de cette pratique doit être chez lui une constante
Il n'existe pas de méthode universelle
Les responsables politiques n'y comprennent rien et moulinent dans le vide.
J'ai un peu gommé les couplets attendus sur les vertus inouïes des Sciences de l'éducation auxquelles il conviendrait de s'adosser davantage pour que le miracle s'accomplisse.
Etait-il besoin d'analyser le comportement de 250 millions d'élèves pour en arriver là?
- II -
Et si mon compte rendu de cet article sur Hattie ne rendait pas justice au travail de cet universitaire? … me suis-je demandé à la lecture d'une autre source (lien : https://eduveille.hypotheses.org/8285) qui donne au départ une vision plus positive que la mienne, résumant par exemple avec plus de sympathie sous-jacente l'enseignement idéal selon le chercheur, explicité dans six indicateurs:
– Les enseignants sont le plus puissant facteur d’influence des apprentissages ;
– Les enseignants doivent être directifs et engagés dans la passion de l’enseignement et de l’apprentissage ;
– Les enseignants doivent être capables de comprendre ce que leurs élèves pensent et savent pour leur apporter un retour (feedback) efficace afin qu’ils progressent ;
– Les enseignants ont besoin de maitriser les objectifs d’apprentissages, les critères de succès de leurs cours et la façon dont les élèves parviennent à les remplir ou non ;
– Les enseignants ont besoin de passer d’une idée simple à des idées complexes et de montrer à leurs élèves comment se réalise ce passage pour qu’ils construisent et reconstruisent par eux-mêmes les idées et les savoirs en jeu ;
– L’encadrement scolaire et les enseignants doivent créer un environnement scolaire où l’erreur est saisie comme un levier d’apprentissage et où les élèves se sentent libres d’essayer et de se tromper pour progresser.
Mais ensuite, cela se gâte, des questions s'introduisent, des doutes s'insinuent en même temps que l'analyse se développe et l'on va vers une conclusion qui rejoint plutôt la mienne : Qu'apporte finalement "Visible learning"? (C'est le nom de l'ouvrage central de John Hattie). Tout ça pour ça?
Bref, les problèmes autour desquels je ne cessse de tourner sont toujours là. Les apports ne s'éloignent guère de ce que dicte le simple bon sens enxpérimental . Et face aux difficultés, je ne suis pas bien convaincu que John Hattie et ses émules proposent réellement quelque chose. La solution passe par une reconfiguration du système dont le principe même soit porteur d'un autre enseignement. Je ne cesse d'en parler. Clamat in deserto.