L'AIR DE LA BÊTISE - Jacques Brel vs Jean-Michel Blanquer
(Ecoute recommandée)
https://www.youtube.com/watch?v=YZya8o3Chhg
Cette affaire d'E3c (Epreuves communes de contrôle continu / baccalauréat) est affligeante. Comment peut-on s'obstiner ainsi à gâcher le début d'une bonne idée? Le début, parce que le rapport de Pierre Mathiot, commandé par le ministre, esquissait seulement des pistes, et bonne, parce qu'elles étaient intéressantes.
Le baccalauréat de l'enseignement général, le seul que je connaisse un peu de l'intérieur, relève depuis des années du désastre national. Il est inutile, inefficace et coûteux. Tout le monde enseignant je crois, passée sa sacro-sainte étiquette d'épreuve initiatique, le sait parfaitement.
Il est évident qu'il faut purement et simplement le supprimer en tant que tel. Rien bien sûr n'interdit, pour ne pas désespérer les nostalgiques, de maintenir son nom et de couvrir ainsi d'un voile pudique le système de validation du cursus complet école-collège-lycée à construire à la place.
La caricature organisée par le ministère me rappelle l'expérience dans l'académie de Bordeaux de l'année scolaire 1959-1960. Je crois que le recteur d'académie était Emile Delage. Paul Maureille, qui devait plus tard passer à l'Inspection générale et était notre voisin à Talence, avait la charge de l'inspection académique de la Gironde. Mon père et lui discutaient jardinage. Je crois qu'il restait discret sur son activité professionnelle. Un pré-bac fut organisé, une session de février, au début de l'année 1960. Le baccalauréat comportait à l'époque deux parties, l'une clôturant la classe de première, l'autre la classe terminale. J'étais alors élève de première et j'ai donc fait partie des cobayes dans une expérience qui n'a connu qu'un seul épisode, l'affaire étant abandonnée dès la rentrée suivante, avec sauf erreur la nomination de Jean Babin comme nouveau recteur, signe éventuel que l'initiative du recteur Delage n'avait pas été des plus heureuses (le bac était alors "académique").
Ce pré-bac consistait en un écrit qui clonait absolument l'écrit des épreuves de juin. Autrement dit, on multipliait par deux les emmerdements consécutifs à l'organisation de l'examen. Le principe était que seuls seraient retenus au titre de cagnotte au bénéfice des candidats les points obtenus au-dessus de la moyenne, susceptibles dès lors de rattraper de mauvais résultats à la session de juin. Je suis je crois comme cela parti vers celle-ci avec une trentaine de points sous le coude. Je n'ai pas gardé souvenir de protestations lycéennes ni enseignantes - le climat de l'époque était à la soumission - mais l'usine à gaz a dû persuader toute seule l'administration de sa parfaite inopportunité et l'on n'en a plus entendu parler.
Nous sommes il me semble, mais cette fois à l'échelon national, dans une situation comparable. Sous couvert d'alléger l'examen, on met en place une démultiplication de ses inconvénients en le compliquant. De plus, parler de contrôle continu dans ces conditions est parfaitement ridicule. Un contrôle continu, ce sont des devoirs surveillés tout à fait standards, organisés tout au long de l'année scolaire par l'établissement, corrigés et validés as usual, et dont l'accumulation des résultats constitue le bilan à partir duquel on va juger des acquis de l'élève et de l'opportunité de lui donner satisfecit de son parcours. Il y a derrière l'organisation actuellement proposée un manque absolu de confiance dans l'aptitude des équipes enseignantes d'établissement à contrôler et valider les acquisitions des élèves. Malheureusement, une partie des professeurs , des parents d'élèves et des élèves va dans le même sens. C'est l'ère du soupçon.
Il est pourtant parfaitement clair que c'est seulement en déléguant aux professeurs la responsabilité directe du contrôle des connaissances tout en faisant l'économie d'une machinerie centralisée kafkaienne qu'on leur redonnera le rôle éminent qui doit être le leur et qui doit s'accompagner d'un prestige et d'une reconnaissance sociale dont ils sont de plus en plus privés.
Tout l'effort d'un ministre de l'éducation nationale doit porter sur la formation des enseignants et sur l'amélioration (salaires (!!!), locaux, documents et matériels à disposition) de leurs conditions d'enseignement. Pour le reste, à l'intérieur d'un cadre national ferme mais minimaliste, après une redéfinition complète de leurs missions et de leurs charges de service dont les contours sont devenus obsolètes, le principe de subsidiarité doit trouver sa pleine expression dans l'autonomie des établissements.
Les E3c en cours sont une lamentable galéjade et ne feront en rien progresser la question des errements du système éducatif. C'est un crève-coeur de voir aller ainsi à vau l'eau le système de la formation initiale, d'assister au triomphe toujours recommencé de la bêtise.