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AutreMonde
23 février 2016

CHAIR ET CUIR - II

OU COMMENT PHILOSOPHER AVEC UN MARCEAU  .....

             Félicien Marceau

Eh bien, pour y revenir, ce Chair et Cuir est tout à fait surprenant et je me suis retrouvé fort désarçonné par la tournure des événements en atteignant les tout derniers chapitres du livre.

Voyons, sur quelles bases était-on parti?

Emile Magis, le narrateur, nous entretenait fort drôlement des réflexions que lui inspirait l'ensemble des conventions, des automatismes de comportement et de pensée sur lesquels, presque tous, nous vivons, et qu'il appelait Le système.

Un style volontiers parlé, avec quelques tournures d'habitué du comptoir; on pense un peu à un Céline qui n'aurait fait que commencer le Voyage; c'est moins profond, mais similairement direct, semi-complice, dénonciation d'une forme d'absurde qui nous laisse à l'extérieur de toutes nos décisions, acteur irresponsable, et même pas acteur d'ailleurs, mais agi par une absence de raisons qui n'en entraîne pas moins un enchaînement d'événements dont nous sommes le présumé moteur et finalement la victime.

On suit avec beaucoup d'amusement, souvent complice, cet Emile Magis plus ou moins dépassé par les circonstances mais qui lutte lucidement pour comprendre combien chacun ment et se ment, pour se conformer à des stéréotypes avec lesquels son moi propre ne se sent absolument pas en odeur de sympathie.

Et l'on avance avec lui dans cette société ridicule de marionnettes décervelées qui s'ennuient à répéter des gestes appris par simple imitation.

Dans ce détachement où tout relève plus ou moins de la contingence et du "Pourquoi, certes, mais aussi, pourquoi pas?", on se demande par moments si l'on est si loin du Meursault de Camus qu'il y paraît? Manque la pointe du tragique de l'indifférence.

Magis, c'est un type qui s'interroge, qui ne cesse de s'interroger, et qui ne trouve aucune réponse, aucune réponse valable. Le système écrase tout. 

Il narre et moque sa famille, son environnement, ses collègues de bureau, ses efforts pour habiter son propre personnage, ses maladresses et ses échecs, dont la mise à la disposition de tous via sa narration lui semble une thérapie en même temps qu'une œuvre de salubrité publique .

Et il émerge, lui, fortement, de cette accumulation de petitesses qu'il observe, commente et sur lesquelles il s'appuie pour avancer, non, pour seulement constater qu'il avance, et s'en étonner.

Mais voilà qu'à force de se laisser porter par l'inconséquence des circonstances, Emile Magis va développer des comportements qui vont lui faire quitter ses habits d'observateur désabusé de l'absurdité des choses pour endosser progressivement  le costume du salaud qu'on pourrait dire domestique et s'incarner en inadapté machiavélique et aigri s'enfermant finalement dans une obsession antisociale au petit pied qui à la fois confine à la bêtise et fait douter de sa santé mentale.

Le monologuiste si réjouissant des deux premiers tiers du roman auquel on accordait avec indulgence sa complicité amusée glisse vers une sorte d'abjection irresponsable et immature aux conséquences atterrantes, cependant que le chapitre XXXVII et dernier, qui voudrait peut-être indiquer une sorte de paradoxal aboutissement de la démarche signe plutôt son échec en même temps que celui de l'auteur à réussir la chute de son ouvrage.

Malgré cette note négative, il faut quand même souligner l'intérêt des 304 premières pages d'un roman qui en comporte 311 (collection Folio) et tout ce que la vision pessimiste du monde  que développe Emile Magis, la noirceur désabusée de son regard - noirceur est presque excessif; l'écœurement diffus? - a ou ont de sournoisement jubilatoire pour le lecteur. Il y a quand même là une véritable philosophie de l'existence, je le redis, un peu sous-célinienne, improprement puis antinomiquement camusienne (une fausse pincée de L'Etranger) qui caresse agréablement nos petites aigreurs quotidiennes, nos petits doutes lancinants, nos lancinantes perversions inavouées.

Son chef d'œuvre, avait dit de Chair et Cuir et de Félicien Marceau, Alain Finkielkraut. Peut-être, faute d'avoir lu d'autres romans d'icelui. Mais un  chef d'œuvre, non. Un bon et très curieux roman, assez daté dans sa sociologie, intéressant dans sa réflexion , un peu ratiocinant. Une Odyssée des médiocres, peut-être. Avec UN personnage étonnant et attachant, Rose, amoureuse de ses formes, exclusivement et totalement ancrée dans le présent, amante ménagère à la présence absolue et dissolvante, callipyge définitivement autant qu'impénétrablement disponible.

                         2_mtort

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Commentaires
S
Pas tout à fait … Je réfléchissais ailleurs. Il faut que je m'y remette … Merci du rappel.
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C
Que devient Sejan? "Dissous" par sa Rose callipyge? Au vu de la photo, compréhensible.
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D
Bien. Apparemment je peux inscrire le roman sur la liste de mes religieuses bibliothécaires de la république...<br /> <br /> Sauf l'image à la fin, certainement. Mais ce n'est pas dans le livre, je crois comprendre ?<br /> <br /> Le livre, serait-il l'aboutissement du libertinage Donjuanesque ?<br /> <br /> Comme si on lisait les mémoires d'un VIEUX Don Juan désabusé ?
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