TOLÉRANCE, LAÏCITÉ, ÉCOLE … PENSÉES DE PRINTEMPS PRÉCOCE ET DE MON BALCON.
Jean-Michel Blanquer nous rebat les oreilles avec son "Ecole de la confiance", il ferait mieux d'instituer une "Ecole laïque de la tolérance" et regrouper ainsi en une fois deux combats indispensables et convergents.
Sur France-Culture, dans l'émission Répliques qu'Alain Finkielkraut pilote les samedis matins, deux débats se sont succédé en ce début d'année. Le 19 janvier sous l'intitulé La tolérance est-elle une vertu? étaient invités Claude Habib et Pierre Manent. Samedi dernier 23 février, c'était Laurent Bouvet et Philippe Raynaud qui échangeaient avec Alain Finkielkraut sur le thème Qu'est-ce que la laïcité?
En arrière plan, des livres :
Comment peut-on être tolérant? - Claude Habib - Desclée de Brouwer - 2019
Situation de la France - Pierre Manent - Desclée de Brouwer - 2015
La nouvelle question laïque - Laurent Bouvet - Flammarion, 2019
Laïcité, histoire d'une singularité française - Philippe Raynaud - Gallimard 2019
Des ouvrages enrichissants, fouillés, mais dont on se demande toujours, tant la réponse à la question posée nous semble tomber sous le sens et tenir en quelques lignes, s'il n'y a pas, dans le décalage significatif entre les approches érudites et savantes et l'exigence brute d'une mise en application concrète, dans une société épanouie, de principes d'équilibre dont on voit chaque jour combien ils sont fragiles et menacés, la signature de nos impuissances essentiellement verbeuses. Faut-il tant parler pour ne rien faire?
Ils doivent parler, et nous, nous devons, par une prise de conscience collective, faire.
Il faut agir. Il y a le court terme et le long terme.
Le court terme .
Claude Habib, dans son livre, renvoie à John Stuart Mill (1806-1873). Ce philosophe anglais fut aussi un précurseur du féminisme, je le rappelle compte tenu de ce que je veux en faire. Elle cite son ouvrage De la liberté (1859) : "Les actes d'un individu peuvent être préjudiciables aux autres ou ne pas prendre suffisamment en considération leur bien-être, sans pour cela violer aucun de leurs droits constitués. Dans ce cas-là, l'offenseur peut-être justement puni par l'opinion, mais non par la loi". Or, aujourd'hui, je lis (référence : huffingtonpost.fr) que Décathlon, faisant suite à Nike qui a commercialisé un produit semblable l'année dernière, va mettre en vente un "hijab de course". Il n'y a rien là de "contraire à la loi". Mais bien, à l'évidence, une soumission aux influences convergentes de l'argent et de l'islamisme et qui s'inscrit dans le cadre de l'expansion du voile, attribut "préjudiciables aux autres", agression visuelle qui signe un abaissement insupportable du statut de la femme. Quid alors de la punition par l'opinion à laquelle en appelle Mill? A un affichage public, il faut, je crois répondre par un affichage public du même ordre. Et je trouverais logique, et potentiellement efficace, de tirer parti des beaux jours qui s'annoncent et du printemps qui vient pour porter, face au voile, des T-shirts floqués de slogans comme : "Femmes, osez le dévoilement / Sous le voile, la beauté ment" ou "Soyez donc belles et dévoilées / Dieu n'en sera pas désolé" ou "Femmes! Osez vous dévoiler / Car Dieu aime votre beauté!", etc. L'opinion a besoin d'une masse critique; atteinte et dépassée, elle bascule.
Ce peut même être un coup à faire! Un équipementier français pour relever le défi? Aigle, Lacoste, Le coq sportif, Lafuma, Millet ... Il n'en manque pas.
Le long terme .
Le long terme, c'est l'Ecole. Loin des pitreries auxquelles s'est prêté, ce dimanche 24 février, dans le 20 heures de France 2 et sous la houlette de Laurent Delahousse, face à un Fabrice Luchini dont la pertinence sur la question scolaire relève de l'envolée lyrique nombriliste et non de la proposition structurée, le ministre de l'Education Nationale (voir le billet de Claude Lelièvre qui dit ce qui doit l'être ICI), c'est sur la mise en place d'une pédagogie active de la tolérance et de la laïcité qu'il faut se pencher. J'ai largement détaillé et depuis longtemps dans ce blog les éléments de ce qui me paraît être l'indispensable refonte du système de la formation initiale, clé de voûte d'un ressaisissement de l'harmonie sociale et de l'épanouissement individuel. J'en ai même rassemblé et publié sous la forme d'une fantaisie sérieuse le bilan (voir ICI).
Je dirai seulement que pour introduire la tolérance (son enseignement et son effectivité) à l'Ecole laïque, la seule voie réaliste et réalisable est l'enseignement et la pratique de l'argumentation dans le débat contradictoire. Et que dans les perspectives que je défends, l'installation d'une dichotomie de la formation, dont un mi-temps dédié au groupe-classe, encadré-guidé par un binôme d'enseignants bien formés à polyvalence large organisant, en continu, des activités de mise en commun et en perspective des acquis en construction des élèves (acquis gagnés au long d'un second mi-temps voué aux disciplines, confié à d'autres compétences, plus classiques), des activités ouvertes sur le monde, la vie, les échanges autour des questions universelles dans lesquelles s'inscrit le vivre individuel et le vivre-ensemble, des activités relevant du débat, des argumentations croisées, de la prise de recul active, de l'explicitation des questions, de la prise en compte des différences, de la recherche du compromis, de l'arasement lucide des outrances, etc. serait l'outil optimal.
Cette démarche, qui présuppose que l'on redessine une philosophie éducative dont les résultats montrent assez qu'elle est globalement en situation d'échec, n'est hélas pas en vue. Il y faudrait autre chose que les gestionnaires sans vision qui se succèdent aux responsabilités, juste bons à manier quelques éléments de langage creux et à se prêter à quelques singeries télévisuelles. L'Ecole devrait être la colonne vertébrale de la nation, elle prend le chemin d'en être le ventre mou.
Il ne nous restera que nos yeux pour pleurer.