Ulysse - Joyce (II)
Intitulé de l’épisode: Nestor. (pages 38 à 56)
Où Stephen Dedalus, qui semble tenir et a déjà tenu dans Télémaque, le rôle principal, mi-héros, mi-narrateur, se révèle enseigner à des trublions sur lesquels il paraît avoir fort peu d’autorité. Mais on les abandonne vite.
Nestor est un roi légendaire de l’antiquité grecque ; on le trouve mêlé à l’expédition des Argonautes, il participe à la guerre de Troie et l’Odyssée le montre, rentré au pays sans encombre, donnant à Télémaque des nouvelles de son père.
Dans son « dialogue de classe », le pédagogue Dedalus évoque la figure de Pyrrhus , roi d’Epire, occasion pour Joyce de quelques allusions gréco-romaines. Le bon mot de Pyrrhus, sorti vainqueur de la sanglante bataille d’Ausculum, en 279 avant J.C. est rappelé : « Encore une victoire comme celle-ci, et s’en est fait de nous ». Ausculum, première victoire « à la Pyrrhus ».
Pyrrhus, rappelle Joyce, « tombé dans Argos sous les coups d’une mégère ». La version officielle apporte une nuance. S’affrontant aux argiens en 272 avant J.C. et entré dans Argos (au fond du golfe de Nauplie, dans le Péloponnèse) qui se défend pied à pied, Pyrrhus reçoit sur le casque une tuile que lui lance du haut d’un toit une vieille femme. Profitant de son étourdissement, un des soldats adverses le tue.
On rencontre une allusion à la parole du Christ dans l’Evangile: « Il faut rendre à Cesar ce qui est à Cesar et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ceci prononcé en réponse à la question des pharisiens soucieux d’entendre Jésus sur la nécessité ou non de payer à Rome l’impôt dû. Leur montrant un denier gravé à l’effigie de Cesar, le Christ leur fait la réponse ci-dessus. Les évangiles au demeurant ont déprécié les pharisiens, un parti important du judaïsme ancien, les accusant de ritualisme stérile, ce qui semblerait avoir été injuste, leur attachement à la tradition orale teinté d’esprit innovant et ouvert aurait permis (dictionnaire Le Robert) au judaïsme de survivre après « la catastrophe de 70 » (destruction du second temple par Titus ; le premier , construit par Salomon, avait été détruit par Nabuchodonosor en 587 avant J.C.)
Dedalus récite (et fait lire à ses élèves) quelques vers, me semble-t-il, joliment traduits :
Ne pleurez plus, dolents bergers, ne pleurez plus
Il n’est pas mort, ce Lycidas qui vous fait deuil
(For Lycidas, your sorrow, is not dead)
Bien qu’il ait fait naufrage au plus profond des eaux …
Il s’agit d’un extrait du poème Lycidas, inclus dans le Paradis perdu (Paradise lost) de John Milton (1608-1674), poème-hommage à la mémoire d’Edward King, ancien camarade de Milton au Christ’s Collège de Cambridge, mort noyé en 1637.
Un renvoi au « bouillant Colomban » ? Saint Colomban (540-615 ; fête le 23 novembre) est un moine prédicateur irlandais , fondateur de monastères en France (Bourgogne) puis en Suisse et en Italie.
Sont également cités - et repris ici pour se rafraîchir la mémoire - les deux philosophes contemporains l’un de l’autre et qui ont tous deux un temps habité Cordoue, Averroès (1126-1198 ; grand commentateur arabe d’Aristote) et Moïse Maïmonide (1135-1204 ; il fut aussi médecin)
Une allusion non référencée, enfin, à l’empereur qui s’enorgueillissait de ce que sur son empire le soleil ne se couchât jamais. On prête en fait l’affirmation à Charles Quint (1500-1558).
Une blague antisémite ( ?) pour finir (page 55):
« M. Deasy s’était arrêté, soufflant et ravalant sa respiration.
- Je voulais juste vous dire, dit-il. L’Irlande, dit-on, est le seul pays qui puisse s’honorer de n’avoir jamais persécuté les juifs. Vous le saviez ? Non. Et savez-vous pourquoi ?
Il fronçait un sourcil sévère dans l’air lumineux.
- ‘‘Pourquoi, monsieur ?’’ demanda Stephen, esquissant un sourire.
- Parce qu’elle ne les a jamais laissés entrer, dit M. Deasy solennellement.
Comme une balle, un rire-quinte-de-toux jaillit de sa gorge tirant une chaîne glaireuse et grinçante. Il fit demi-tour, toussant, brassant l’air de ses bras levés. »