Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
28 novembre 2008

Aux Amériques …

Dans un billet daté du Monde (27/11/2008) et sous le titre School is money, une « Lettre d’Amérique » de Corine Lesnes me laisse rêveur, qui mériterait la reproduction intégrale. On pourra s’y reporter.

Mais je voudrais revenir sur deux ou trois de ses informations :

« C’est décidé. Malia et Sasha iront dans le privé. Après avoir visité les meilleures écoles de Washington, Michelle Obama a choisi Sidwell Friends, un établissement fondé en 1883 par un quaker et réputé être le « Harvard » des collèges de la capitale. Chelsea Clinton y a fait toute sa scolarité. C’est là que les figures de la scène politico-médiatique locale inscrivent leurs enfants (Bob Woodward, George Stephanopoulos, Mark Penn). Les frais annuels de scolarité s’élèvent à 28 442 dollars pour Sasha, qui est en CE1. Et 29442 pour Malia, en CM2. Soit près de 45 000 euros pour les deux fillettes âgées de 7 et 10 ans.

Le choix est sans surprise. Le dernier président à avoir opté pour le public est Jimmy Carter (pour sa fille Amy) en 1976. Carter était un moraliste. Dans son discours de la convention démocrate, il avait fustigé les élites qui envoient leurs enfants dans le privé. Aujourd’hui, ce type de raisonnement paraît simpliste. Barack Obama met ses enfants à Sidwell, mais il connaît bien le problème de l’éducation dans les quartiers défavorisés, Michelle, encore mieux. Et pourquoi les Obama devraient-ils, plus que d’autres, prêcher par l’exemple ? » 

Pourquoi ? La réponse est tellement évidente qu’on est surtout surpris que la question soit posée. On retrouve ici – avec un peu de bonne volonté dans la transposition – la critique de Marx que je rapportais dans le précédent billet, formulée dans sa onzième thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières mais ce qui importe, c’est de le transformer ». On pourrait lire : « Les politiques ne font qu’interpréter le monde etc. ». Car comment comprendre le choix des Obama sinon comme un simple constat face à des structures éducatives dégradées, et surtout comme un renoncement annoncé devant l’ampleur des réformes à entreprendre.

En ce sens, ils prêchent quoi qu’il en soit par l’exemple. Mais c’est le plus mauvais.

D’autant qu’au prix où se paie cette démission idéologique, le scandale des inégalités sociales prend à la gorge. Et Obama, est démocrate ! Comme le fut le rigoureux Carter, accusé aujourd’hui dans son honnêteté intellectuelle de « simplisme », et qui, au moins sur ce point, a marqué une cohérence.

La décision des Obama est d’autant plus regrettable que « le maire de Washington, Adrian Fenty, un supporteur de la première heure d’Obama, aurait été assez content de recevoir un coup de pouce présidentiel. Il faut dire qu’il s’est lancé dans une tâche herculéenne : réformer un système scolaire en faillite depuis vingt ans. » Tiens …

La description qui suit de l’état local du système est, j’en conviens, de nature à relativiser nos déplorations hexagonales, mais ce qui frappe surtout, et que l’on ne peut que mettre à l’actif d’un pays où il est possible – quoi qu’on pense de celles retenues – de « tenter des solutions en dehors de la boîte », c’est le caractère drastique et – par rapport aux usages établis – révolutionnaire des décisions prises. On est loin de nos réformettes lénifiantes qui ne remettent rien de fondamental en cause et ratent du coup la cible.

Ainsi : « Le 12 juin 2007, Adrian Fenty, 38 ans, a procédé à l’équivalent administratif d’un coup d’Etat. Il a pris le contrôle des écoles, outrepassant le suffrage populaire (les écoles dépendent de districts scolaires dirigés par les conseils d’administration élus par la population). Et il a installé Michelle Rhee, 37 ans, au poste de chancelière de l’éducation. En un an, elle a licencié 24 directeurs d’école [il y a 146 établissements publics sur Washington], y compris celui de l’école de ses enfants. Elle a remercié 250 professeurs et 500 assistants, jugés non performants. Elle a décidé la fermeture de 23 écoles en sous-efficacité chronique [en 2007, 9% seulement des élèves accédaient à terme à un diplôme universitaire sur Washington]. Et elle est en train de négocier un système de paie au mérite, selon lequel les enseignants qui accepteront de renoncer à la sécurité de l’emploi verront leur salaire doubler. »

Il peut être utile de préciser que je suis sur le fond – a priori - à l’opposé de la philosophie ultra-libérale qui sous-tend ces mesures. Mais à défaut de connaître le dossier (des licenciements en particulier, ou des fermetures), j’admire la pugnacité d’une démarche qui, mise au service d’autres conceptions, serait indispensable pour quitter d’un vigoureux coup de rein le sillon que creusent, ici, nos laxismes frileux. Je crois à  la nécessité d’une certaine violence administrative, une fois sainement établis les attendus de ses décisions.  Il y a certes là un art difficile. Mais je ne vois guère d’autre issue.

Pour en revenir aux « solutions qui sortent de la boîte » made in USA, il en est, quoi qu’il en soit, qui laissent  au moins songeur. Ainsi de la « méthode Fryer » :

Roland Fryer, 30 ans, un jeune chercheur qui a passé une partie de son enfance dans un laboratoire de fabrication de crack en Floride, qui a vu une partie de sa famille finir en prison et qui est néanmoins devenu le plus jeune professeur de la faculté d’économie à Harvard (et le plus jeune Africain-Américain à y avoir jamais été recruté), dirige l’American Inequity Lab, un laboratoire où il étudie les inégalités .

[Sa] méthode est déjà utilisée à New-York et à Chicago. Depuis fin septembre, 3000 élèves des collèges de Washington peuvent recevoir 100 dollars de prime mensuelle (2 dollars le point)  pour peu qu’ils soient arrivés à l’heure, aient fait leurs devoirs et obtenu de bonnes notes (…) Comme l’a dit une enseignante au New-York Times, « nous sommes en concurrence avec la rue. Les enfants peuvent faire 50 dollars comme ils veulent ».

On a du mal à y croire. Il y a là évidemment un biais ahurissant, qui est celui de tous les renoncements : Allons dans le sens de la pente et tâchons d’y rouler plus vite que les autres. La réponse « Fryer » semble indéfendable, même dans sa prétention au réalisme – après quoi, ayant dit cela, il faudrait  en faire la contre-proposition, adossée au pari rousseauiste d’une nature humaine fondamentalement bonne, ce qui est « de gauche », mais pas gagné ! Car quoi qu’il en soit du fond, de ce côté-ci de l’atlantique, j’avais en 2003-2004 des classes de collège dont l’argument dirimant, face à mes exhortations au sérieux et  à mon éloge du travail, était, proféré en ricanant: « Oui, évidemment, vous, vous êtes payé pour ça, tandis que nous on nous donne rien ». Les bras m’en tombaient. Les mains m’en démangeaient. Fryer, lui, puise dans la cassette, comme un artiste qui paierait les spectateurs pour qu’ils supportent son numéro. Comment en est-on arrivé là et n’y a-t-il vraiment pas d’autres solutions, qui feraient par exemple appel à la soif d’apprendre, au sens civique et à l’intelligence ? Si ces mots ont un sens … Effrayant.

Il faut remercier Corine Lesnes de son travail d’information. Et ce qu’elle nous dit nous donne beaucoup à réfléchir. Mais dans cette dispute de la poule et de l’œuf qu’est la définition du rôle de l’école dans l’émergence  d’une société plus juste et plus équilibrée, les politiques, je le crains, n’ont pas le quart d’un début d’idée.

Pour s’en tenir aux candidats déclarés ou devinés à la fonction suprême en 2012 (c’est demain, nous a prévenus Ségolène), ils pourraient opportunément axer leurs pré-préparatifs de campagne sur l’élaboration d’un plan détaillé de refonte du système scolaire, seule façon de s’affirmer soucieux d’avenir. Un vrai plan. Prioritaire sur tout le reste puisque tout le reste en découle.

Hélas, ils vont passer quatre ans à se battre sur des questions de réduction d’impôts ou de redevance télévisuelle … ou d’enfermement de mineurs que, responsables irresponsables, leur aveuglement quant aux exigences de la mise en route d’une vraie formation initiale aura conduits – faute d’apprendre à penser – au pire.

Et pendant ce temps-là , Sasha et Malia Obama poursuivront leur éducation de petites américaines privilégiées, tournant le dos à une guerre éducative dans laquelle on aurait aimé que, sur ce premier symbole, leur père s’affirme totalement engagé, une guerre éducative mère de toutes les autres si on accepte de la perdre, et la seule qui vaille vraiment d’être menée.

Quant à nous, Martine à l’école et Ségolène au pensionnat, Nicolas au spectacle et Carla  à la guitare, et Bayrou partout et nulle part, on ira à la pêche en attendant que quelque gamin déboussolé nous pousse à l’eau. Faut le comprendre ce petit. Faut bien passer le temps quand on ne sait pas lire.

Publicité
Publicité
Commentaires
G
Quand j'ai eu mes enfants, je ne suis pas allé enseigner dans les écoles les plus difficiles. Je ne m'en sentais pas la force, ni le goût d'imposer à mes petits des violences inévitables voire multipliées.Mais je n'étais pas président. "Le hérisson" m'est tombé des mains, je l'ai trouvé tellement affecté, artificiel, faut dire que je suis très chatouilleux sur le langage des enfants à qui l'on prête des pensées d'adultes: le prétexte de la précocité n'autorisait pas forcément cet étalage de sciences très méprisant finalement à l'égard des concierges aussi.
Répondre
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité