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AutreMonde
25 novembre 2008

Deux lectures.

Muriel Barbery – L’élégance du Hérisson.

J’avais négligé le livre lors de sa parution, et du succès qui l’a accompagnée. J’avais eu tort. Il traînait sur un angle de la bibliothèque. J’y suis venu un peu par hasard voici quelques semaines. Il est excellent. On y rencontre beaucoup d’intelligence et de réflexion, percevant assez vite que l’auteur sait être ce qu’elle est, agrégée de philosophie, sans pesanteur.

Roman à deux voix, celle de Renée, concierge des beaux quartiers de son état et crypto-intellectuelle que la nature a dispensée des atouts de la beauté, celle  de Paloma, gamine lucide et surdouée que navre l’imbécillité des adultes. Roman gai, enlevé, profond, ironique, ponctué de morceaux de bravoure notables (formidables et hilarants décryptages husserliens), relevé d’aveux signant des goûts hétéroclites, du panache musculeux d’un rugbyman exceptionnel (avec en transparence Jonah Lomu) aux sonorités apaisées de la poésie japonaise et des hokkus de Bashô.

Ce livre est plusieurs fois un régal qui ne se raconte pas, ou alors il faut tout recopier. On y devine la passion de l’auteur pour Tolstoï (Guerre et Paix avant tout), pour le Japon (Muriel Barbery est actuellement pensionnaire de la Villa  Kujoyama), pour le cinéma d’Ozu et la musique de Purcell (Didon et Enée).

Pour les peintres hollandais du XVII° siècle aussi, qui nous valent de très belles réflexions sur l’art et un excellent sujet de dissertation : « L’Art, c’est l’émotion sans le désir ». Elle a oublié d’ajouter : « Commentez. »

On a droit à quelques pages étonnantes de pertinente alacrité sur les sorbonneries thésardes, avec en ligne de mire Guillaume d’Ockham, moine franciscain et philosophe logicien du XIV° siècle, préoccupé de la Querelle des universaux (débats qui ont opposé du XI° au XIV° siècle les tenants du nominalisme, pour qui les concepts universels ne sont que des mots, tant n’existent que des êtres individuels, et les partisans du réalisme de tradition platonicienne, qui leur confèrent une réalité). L’analyse concilie la profondeur et le divertissement. On ne peut que savourer et  puis applaudir.

Et tout cela tenu dans un fil narratif serré, prenant, dont la tension conduit nécessairement à la rupture, mais dans l’élargissement émouvant d’un humanisme qui évite la niaiserie et qui sait passer le témoin, de Renée à Paloma, d’une intelligence sans concession dénonçant le farcesque de nos vacations dans la pertinence sans défaut d’une observation affûtée.

Au début du roman, Muriel Barbery évoque Marx et sa onzième thèse sur Feuerbach  (Ludwig – 1804/1872 - une des références formatrices initiales du grand Karl): « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières mais ce qui importe, c’est de le transformer » . Roman refermé, on s’aperçoit que Muriel Barbery - montrant plus qu’interprétant un monde - vient un peu, pour notre plaisir de lecture, dans une dédramatisation et une complicité maîtrisées, ironiques, cultivées et distanciées, de le transformer à notre bénéfice en un théâtre étonnamment divertissant, instructif, émotion incluse.

David Lodge – La vie en sourdine.

J’étais là aussi sur le point de passer à côté. Mais il ne s’agissait que d’un évitement provisoire et  … radin. Le prix du livre décourage les porte-monnaie plats et j’étais bien décidé à attendre – pour m’éviter un débours de 21,50 euros – son inévitable parution l’an prochain en format Poche. Et puis une main amie me l’a offert. Grâces lui soient rendues.

Je n’aimais pas le titre. Maladroite traduction de Deaf sentence, jeu de mots appuyé sur Death sentence . Mais si on est habitué à  entendre prononcer Sentence de mort, le traducteur à bronché devant Sentence de surdité. A-t-il eu raison ? Tant qu’à faire, Une vie assourdie m’aurait semblé meilleur, ou moins mauvais. Voire, osant le néologisme : Une vie débruitée… ou encore Une vie qui se débruite. Oui, pas mal le dernier, pour le jeu de sens et d’assonance analogique, de « débruite » à  « délite ».

C’est un très bon roman, c’est un bon Lodge, ce n’est pas son meilleur. Comme si l’investissement autobiographique – avoué, assumé – bridait un peu la fantaisie, l’ironie des décapantes envolées de nombre de ses analyses précédentes. Il a  64 ans, il devient sourd , il faut vivre. Et pour cela le raconter. Du coup, pour nous, beaucoup de plaisir à le lire, qu’il serait sot de bouder.

Il se trouve par ailleurs que les hasards biographiques ont très sensiblement décalqué de la narration proposée nombre d’épisodes personnels (j’entends : à moi personnels) plus ou moins récemment traversés. Même âge, même situation familiale, même veuvage au même moment pour les mêmes raisons, ascendants de profils analogues dès que Lodge cadre les caractères, mère sacrifiée, père vaguement despotique devenu vieillard caractériel, même fin dans les mêmes circonstances. Tout à fait étonnant, et le sentiment de lire un compte-rendu de mes deux dernières décennies. Je néglige le piment sulfureux dont Lodge a tenu à épicer  sa ligne narrative tout en restant dans cette veine de la dérision sarcastico-universitaire qui est malgré tout partie de son fond de commerce. Peut-être d’ailleurs les similitudes notées ont-elles à la fois retenu mon attention et biaisé mon jugement…

Peu importe. Le roman est très agréable. Peut-on dire qu’il est profond ? Sereinement philosophe plutôt, dans l’apaisement mi-résigné, mi-satisfait des premières misères d’un troisième âge qui n’a pas renoncé à tout mais qui, sachant que l’heure approche, doit apprendre à savourer ce qui pour l’instant se maintient. Sans illusion et sans vain désespoir. Descendre, ce n’est pas nécessairement dégringoler. Et la pente douce peut encore réserver quelques joies. Carpe diem. Cueillir le jour … et si possible les jours, enfin, ce qu’il en reste, tant qu’il en reste, et comme ils viennent.

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