Un joli livre, émouvant ...
Vie du chien Horla - Renaud Camus
P.O.L éditeur - 12 €
J’ai abordé la lecture plein de préventions, d’irritations a priori, avec une pincée d’homophobie irréductible, ayant ouvert en librairie, le jour même de l’achat, l’épais Journal 2003 de l’auteur et retenu, d’une lecture rapide des deux ou trois premières pages, cette immédiate notation: “... [En ce] 1er janvier, Pierre a joui sur ma poitrine ...”, circonstance dont l’écrivain se demande si elle a un rapport avec des problèmes de peau dont il souffre depuis quelques jours, craignant d’être “allergique à la semence ardéchoise”.
Je fais celui qui n’a rien vu et, puisque conseil de lecture il y avait eu, il y eut acquisition de cette Vie du chien Horla recommandée. Et à mon grand dépit j’en dois faire l’aveu: C’est un joli livre, un très joli livre, et qui m’a ému, touché.
C’est un livre de chiens et qui les aime et qui en a élevé, soigné, chéri n’a guère d’autre choix que ... de l’aimer. La distance (il n’y a pas de “je”, mais seulement un “maître” à la troisième personne), la tenue (belle prose, légèrement précieuse, à un degré d’afféterie moindre toutefois que chez Quignard ou Michon), n’empêchent pas - et même permettent mieux - une sensibilité à l’être-chien, une précision dans l’observation des comportements, un délié rempli d’humour amoureux , une invention dans la peinture des attitudes et des circonstances qui réjouissent. Le livre est bref et lumineux. Il faut le lire.
Cela dit, Renaud Camus en maître-chien n’apparaît guère convaincant, et je ne suis pas persuadé - ni lui d’ailleurs - que la responsabilité d’une partie de ses déboires canins ne soit pas à lui imputer. Mais on est avec lui, tout du long, dans le regard, dans l’affection et dans la peine et il sait rendre sensible cette qualité si particulière et à dire vrai guère explicitable de la relation qu’on noue avec ce quadrupède exceptionnel qui transforme le monologue constant qu’on dirige vers lui en vrai dialogue. Il sait aussi, lucidement, en dire les limites.
Dans les marges du sens du texte, il y a les noms des chiens. Au départ, les trois nés en 1992, Homps, un Bleu de Gascogne, Horla et Hapax, deux Labradors, le premier noir, le second blond: “... c’était l’année des H, on s’en est sans doute avisé”. Pour inscrire son chiot au L.O.F. (Livre des Origines Françaises - Créé en 1885), il convient de respecter cette règle de l’initiale, qui change chaque année. Certaines lettres sont exclues (X, Y, Z, W, ... sauf erreur). En 2007, l’année est au “C”. Ce sera le tour de “D” l’an prochain. “H” donc en 1992.
Homps est un chien distant, racé et un peu étonné d’être là .. et “Homps” ressemble au “Houps” affectionné des “jeunes” pour signifier justement la surprise interloquée. Ma foi, ce n’était pas mal trouvé, assez prémonitoire.
Le terme “hapax” est connu, désignant un mot, une forme, un emploi dont on ne sait qu’une occurrence. L’hapax le plus célèbre de la poésie française est sans doute le “ptyx” de Mallarmé:
(..)
Sur les crédences, au salon vide, nul ptyx
Aboli bibelot d’inanité sonore
(Car le maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)
... dans le sonnet non titré connu par son début: "Ses purs ongles, très haut..."
Pourquoi le chien Hapax ? Renaud Camus n’en dit rien. L’animal n’est pas extraordinaire, l’exemplaire n’est pas unique, il n’est pas venu le premier, Homps était déjà en la demeure ... force nous sera donc d’en rester au: Pourquoi pas? Deux syllabes et la seconde qui sonne bien, ce qui est important pour l’appel. C’est la bizarrerie du mot qui a pu plaire, assaisonné d’un peu de snobisme et d’une pointe de coquetterie.
Pour Horla, c’est plus clair. Et c’est dit: “Le maître avait toujours aimé les trois nouvelles de Maupassant qui dans leur titre ont le nom Horla” (... sans doute les trois versions du conte publié en 1887: Le Horla). Mais Le Horla de Maupassant, histoire fantastique, c’est l’innommable qu’on ne peut voir et qui pourtant est là, se glisse en vous pour vous étreindre et vous conduire à la folie. Un brave Labrador, certes tout noir, mais qui léchait toutes les mains, Le Horla ? Las, le destin veillait et le nom n’en était que le signe, car c’est bien la folie qui guette ce Horla , et une fin tragique marquée par le “haut mal”, par des crises d’épilepsie qui le font étranger à lui-même et au monde, rejoignant Maupassant, délirant, interné pour les dix-huit derniers mois de sa vie ...
Autre détail! Ces chiens sont trop nourris s’ils ne manquent pas d’exercice! Le standard du Labrador-Retriever ne l’autorise pas à dépasser les quarante kilos.... et nous en sommes, nous dit-on, tant Hapax que Horla, “au demi-quintal” ! Excès probable de sucreries! Gaver n’est plus aimer!
J’ai possédé (une trajectoire canine de 17 ans!) un inoubliable cocker-spaniel d’un blond foncé qui le fit nommer, c’était une année vouée au “P”, Phœbus, joueur, joyeux, hyperactif et cabochard, grand massacreur de poulets fermiers devant l’éternel, qu’il fallait ensuite acheter au prix fort pour calmer l’autochtone et griller, accessoirement, et je me suis beaucoup occupé, pour l’avoir finalement à temps plein dans la dernière année de sa vie, d’une Bonnie, un basset-Hound femelle, de cette race multicentenaire dont Shakespeare disait que les oreilles “dissipaient la rosée du matin”, à la placidité sans limite, à la bonté infinie et au regard éperdu dans lequel se noyer. Ils auraient beaucoup aimé ce livre et, ce disant, je ne me moque pas, je rends simplement, dans une image un peu absurde, l’hommage qu’il mérite à ce touchant linceul de prose ciselée, factuel et méditatif, anecdotique et profond, dont Renaud Camus a entouré son Horla.
“On fit pour lui un trou sous la façade au midi, un peu à l’écart des autres chiens: c’est ainsi qu’il avait vécu. Sa tombe se trouve exactement sous la fenêtre de son maître, celle d’où vient la lumière à la table de travail, toute la journée. Et quand le maître pour mieux observer la campagne, fait quelques pas jusqu’à cette embrasure, la pensée du Horla monte vers lui, de la dépouille enterrée là, dix ou quinze mètres plus bas. Elle se mélange dans son regard au paysage, à ces plateaux et ces collines, ces bois, qu’ils ont tellement courus ensemble, l’homme et le chien.”