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AutreMonde
11 mai 2007

Sylvie (IV) ...

À revenir à mes notes de lecture, quelques petits cailloux sont encore dans ma chaussure et qui me gênent pour m’engager, libéré du recours au dictionnaire et des remords de l’inculture, dans un réexamen du texte, les commentaires du Contre Sainte-Beuve en main. Petits cailloux? Veillons à nous en débarrasser, et si possible pour de bon cette fois-ci...

Après le sang des Valois (cf. Sylvie (II)), voici la maison de Condé. C’est une branche formée au XVI° siècle de la maison de Bourbon qui remonte elle au XI° siècle et doit son nom à la seigneurie de Bourbon-l’Archambault et au Bourbonnais (approximativement l’Allier (préfecture: Moulins; sous-préfecture: Montluçon) et une partie du Cher (préfecture: Bourges; sous-préfecture: Saint-Amand-Montrond)). La branche Condé est issue de Louis 1er (1530-1569) qui va pouvoir prendre le titre de prince de Condé sur la base de ses propriétés de Condé-sur-Escaut et de Condé-en-Brie. Louis est le frère d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre et père d’Henri IV. Oncle du “bon roi Henri”, il est en quelque sorte ipso facto le grand-oncle de la poule-au-pot ....
Les Condé vont se suivre, comme il se doit de père en fils, pendant neuf générations, résolument calvinistes et toujours proches du pouvoir royal sans jamais y accéder. On trouvera successivement après Louis 1er, Henri 1er, Henri II, Louis II (Le Grand Condé, celui de La Fronde), Henri III, Louis III (en 1709, il se verra retirer - et sa lignée - la faveur royale d’être premier prince du sang avec l’appellation de Monsieur le prince), Louis IV, Louis V et enfin Louis VI-Henri de Bourbon, déjà rencontré comme protecteur de Sophie Dawes (cf. Sylvie (I)), que Nerval nous désigne comme “le dernier Condé”.
Stricto sensu, Nerval a raison. Louis VI a bien eu un fils, bénéficiaire comme tous les aînés des princes de Condé en attente de succéder à leur père du titre de duc d’Enghien, mais ce dernier, Louis-Antoine, fusillé sans descendance en 1804 dans sa trente-deuxième année et dans les fossés de Vincennes meurt quatorze ans avant son père et donc son accession au titre. La petite histoire a retenu de cette exécution l’immense chagrin de Mohiloff, son carlin au pelage café au lait, et la grande, qu’elle fut injuste et que Talleyrand y eut plus que sa part.

Maison pour maison, on fait un saut virtuel en Italie pour rencontrer la maison d’Este - que le Robert préfère qualifier de “famille” - : “J’eus l’amour-propre de déchiffrer les armoiries de la maison d’Este” ... Elle régna nous rappelle-t-on sur Ferrare de 1240 à 1597 et sur Modène de 1288 à 1797. On y trouve des protecteurs de l’Arioste et ... de Marot, des cardinaux, dont Ippolito (Hippolyte II), le responsable au milieu du XVI° siècle de la construction à Tivoli de la “Villa d’Este” aux célèbres jardins et fontaines. Hercule III d’Este, dernier duc de Modène, est déposé par le traité de Campoformio que signe Bonaparte et qui met fin en 1797 aux campagnes d’Italie.

Passant ou repassant au parc d’Ermenonville, d’autres références encore surgissent, et sur lesquelles revenir: réalisation pittoresque de l’Anacharsis ... temple de la sibylle Tiburtine ....tour de Gabrielle ... idylles de Gessner .... certains vers de Roucher ...

Anacharsis ? Je n’avais en tête qu’ Anacharsis Cloots (de son vrai nom Jean-Baptiste du Val-de-Grâce, baron de Cloots), d’origine prussienne, venu à Paris en 1776 et des premiers à se rallier à la Révolution. Il se disait “orateur du genre humain”, “citoyen de l’humanité” . Extrémiste, partisan de la déchristianisation et du culte de la Raison, Robespierre, qui ne souhaitait être débordé ni sur sa gauche, ni sur sa droite, l’envoya via le tribunal révolutionnaire à la guillotine en 1794 avec les partisans d’Hébert, un mois avant de se débarrasser par les mêmes moyens des “indulgents”, au premier rang desquels. Danton.
Et bien, ce n’était pas de lui qu’il s’agissait. La chronologie d’ailleurs ne s’y prêtait pas!

Un philosophe alors? Il en est un répondant à ce nom au VI° siècle avant JC, d’origine scythe (peuple des steppes du nord de la Mer Noire). On le donne pour précurseur de l’école des Cyniques, fondée deux siècles plus tard par Antisthène - lequel avait suivi les leçons de Socrate -, école dont la postérité a, plus que tout autre, retenu Diogène (~413 - ~327).
Mais ce n’est toujours pas le bon!

Finalement, l’Anacharsis nervalien, renseignements (mieux) pris, c’est l’enfant littéraire de l’abbé Jean-Jacques Barthélémy, auteur dans les années 1760 d’un “Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, dans le milieu du IV° siècle avant l’ère vulgaire”, présentation - à travers le séjour à Athènes et dans les provinces voisines d’un jeune scythe (tiens...) - d’un tableau des idées, mœurs et usages de la Grèce avant que le siècle de Périclès ne devienne celui d’Alexandre.

Tiburtine ? L’histoire n’est pas d’hier ... Suétone, historien latin (70 - 128), rapporte qu’Auguste, empereur de ~27 à 14, répugnait à se faire appeler dominus (seigneur) et que ces scrupules - inexpliqués - avaient frappé les premiers chrétiens. Une tradition plus tardive, au VI° siècle, installe la probabilité de cette répugnance dans l’existence d’une consultation par Auguste d’une sibylle - la sibylle Tiburtine - exerçant ses talents sur le Capitole et qui lui aurait prédit la naissance de Jésus, futur Christ. Frappé, Auguste aurait dédié à l’affaire un autel avec l’inscription Hæc est ara cœli (Ceci est l’autel du Ciel) sur lequel s’élèverait l’actuelle église Santa Maria in Ara Cœli à Rome. Toujours est-il que la légende de l’Ara cœli a eu grand succès dans tout le Moyen Âge, se transformant progressivement en représentations de Vierge à l’enfant sur un autel ...

Les amours d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées (c’est elle, la Gabrielle de la tour) étaient passées par Ermenonville, sur invitation des possesseurs en ces temps du domaine et c’est en commémoration que René de Girardin avait fait élever une tour. La Révolution - nous dit Béatrice Didier - la mit à bas, ce qui pose (reconstruite?) des questions quant à ses reflets sur les eaux du lac vers 1838, date des événements narrés ...
Quant aux amours elles-mêmes .. Gabrielle d’Estrées, fille du gouverneur de l’Île de France, avait vingt ans de moins que le roi, marié par ailleurs à Marie de Médicis. Henri IV la fit duchesse de Beaufort et songeait à l’épouser quand elle mourut brutalement en 1599, à 26 ans, lui laissant trois enfants qu’il légitima. Elle avait, sur le tableau de Lehmann que nous propose le petit Robert, le tétin menu et un peu d’estomac. Henri IV n’était pas homme à s’arrêter à ces détails! Et puis, honnêtement, à regarder les dates : Henri Lehmann, peintre français d’origine allemande, élève d’Ingres, 1814 - 1882 ... les renseignements de Lehmann sont de seconde main!

Gessner Salomon (1730-1788) est un poète suisse d’expression allemande. Il a publié en 1756 des Idylles qui ont eu un succès considérable et que Diderot a traduites. Béatrice Didier affirme leur influence très importante à la fin du XVIII° siècle, contribuant au développement de la sensibilité à la nature (Salomon Gessner - Nicolas Hulot, même combat?). Le marquis de Girardin y aurait puisé quelque inspiration pour le tracé de ses jardins.

J’y relève tristement .... certains vers de Roucher qui m’avaient paru sublimes, écrit Nerval. On relève la distance que met l’imparfait dans le jugement. Roucher (Jean-Antoine) semble aujourd’hui surtout bénéficier d’une notoriété de proximité tragique parce qu’emprisonné aux côtés d’André Chénier, il monta à l’échafaud avec lui en juillet 1794. On cite son grand poème didactique de 1779 en douze chants, Les Mois et, toujours, ces quelques vers qu’il laissa au bas d’un dessin, à la prison de Saint-Lazare, la veille de sa mort:

Ne vous étonnez pas, objets sacrés et doux
Si quelque air de tristesse obscurcit mon visage
Quand un savant crayon dessinait cette image
On dressait l’échafaud et je pensais à vous.

On ne peut s’empêcher de rapprocher cela du geste de Chénier, inspiré par la toute jeune Aimée de Coigny qui attendait la mort à leurs côtés mais pourra s’échapper, versifiant La jeune captive (L’épi naissant mûrit, de la faux respecté ....).
Réunis dans le supplice, les deux poètes le sont encore aujourd’hui car j’ai, m’informant sur Roucher, découvert la SAPRAC - Société des Amis des Poètes Jean-Antoine Roucher et André Chénier - fondée en 1980 et qui a son siège à Paris, Mairie du XVI° arrondissement. Le pauvre Roucher, qui avait perdu la tête en 1794 a par surcroît , dans l’acronyme mémoriel de 1980, perdu son prénom! Décidément ...

Allons, j’ai presque fait le tour. Que reste-t-il donc dans les marges?
Ceci peut-être, lorsque Nerval écrit: “J’ai mangé du tambour et bu de la cymbale”, comme dit la phrase dénuée de sens apparent des initiés d’Éleusis.... qu’il nous explique néanmoins: Elle signifie sans doute qu’il faut au besoin passer les bornes du non-sens et de l’absurdité ... À compulser quelques notices, il semblerait que la version de Nerval ne soit pas uniformément adoptée et on rencontre également cet énoncé moins hermétique: "J’ai mangé dans le tympanon, j’ai bu dans la cymbale, je suis devenu myste ...". Le tympanon est un tambourin et peut servir de plat, la cymbale ne semble pas être une coupe idéale, mais enfin .... et le myste est, parmi les candidats à l’initiation aux mystères, quelqu’un qui a franchi le premier degré. Dès lors, la phrase pourrait être d’interprétation beaucoup moins métaphoriquement énigmatique et définir quelque formalisation rituelle d’un principe général de communion qu’on retrouve y compris dans le christianisme (Ceci est ma chair, ceci est mon sang ...).

Et j’allais oublier Porpora, cité “en passant”:

“Anges descendez promptement
Au fond du purgatoire ...”

- C’est bien triste me dit-elle
- C’est sublime... Je crois que c’est du Porpora, avec des vers traduits au seizième siècle
....

Porpora Nicola (1686-1768). Compositeur napolitain. Il séjourna à Londres où on le considéra un temps comme un rival d’Haendel; mais après avoir connu la renommée, il mourut dans la misère.

Et bien voilà ce qu’à peu près j’avais noté pour ne pas superposer, en amont d’une dernière lecture prévue avant de reprendre le texte, le Contre Sainte-Beuve en main, à l’écoute d’une émotion littéraire, l’agacement d’une incompréhension des “renvois”.
Ces préoccupations d’ailleurs, chaque fois, font se lever - au moins chez moi - cette question: Jusqu’où va, chez l’auteur, la connaissance de ses propres références? Combien de fois n’évoquons-nous pas, imprudemment d’ailleurs, tel nom, tel fait ou tel événement, telle expression convenue, tel aphorisme à la mode, dont nous serions bien en peine de restituer le contexte, d’éclairer tout le sens, de raconter l’histoire, d’indiquer l’auteur ou le héros et qui n’est venu là que par euphonie, vitesse acquise, association d’idées, reprise à son compte d’une rumeur, d’un standard vague ?
- Allons, allons, vous peut-être, mais Nerval! ...
- Ah? C’est vrai, désolé, je n’y pensais pas, Nerval ......
Mais enfin quand on s’irrite trop de son incomplétude, c’est un soulagement - fût-il bas - d’éveiller les soupçons quant au brio de l’interlocuteur.... Là, ça m’a l’air raté. Tant pis, oublions ça. Et en tout cas, on passe au fond une prochaine fois..

À suivre....

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