Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
9 mai 2007

Sylvie (III) ...

Je disais la dernière fois: Cythère et Watteau, mais il y avait aussi, dans les mêmes lignes, Uranie, Boufflers et Chaulieu, et Horace ... avant d’arriver à Rousseau! Plus d’un siècle a passé. Deux au moins de ces noms ont disparu de nos mémoires.
Boufflers (Stanislas Jean, Chevalier de) essentiellement signalé comme “Poète français” (1738-1815), entré en 1788 à l’Académie Française et jusque-là ... Gouverneur du Sénégal.
Chaulieu (Guillaume Amfrye, abbé de), derechef poète (1639-1720), dont on signale l’inspiration anacréontique et épicurienne ... nous renvoyant ainsi à la Grèce antique, à des poèmes du VI° siècle (av. JC) dont l’adaptation de Rémy Belleau - d’ailleurs semble-t-il à partir de textes d’imitateurs alexandrins postérieurs de huit siècles! - fit la modernité d’Anacréon et l’admiration de Ronsard dans les années 1560, et à Epicure, fondateur à Athènes vers 300 (av. JC) d’une école philosophique (Le Jardin) et d’une doctrine à son nom (L’Epicurisme), sensualiste, atomiste, matérialiste, mécaniste et ... plutôt ascétiquement hédoniste.
Horace (~65 / ~8) nous est mieux resté, avec son Carpe diem néanmoins souvent mal interprété dans le sens abusif d’une recherche systématique du plaisir quand il recouvre surtout cette tranquille affirmation que le principal intérêt de la vie, c’est de vivre ... et d’en être conscient.
Alphabétiquement, Uranie est la dernière des neuf muses, divinités patronnes des chants et des sciences aux attributions évolutives et qu’Hésiode (~VIII°/~VII° siècle) présente comme sœurs, filles de Zeus et de Mnémosyne - une fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre) - avec qui il s’était uni neuf nuit consécutives: Calliope (poésie épique, éloquence) - Clio (histoire) - Erato (poésie érotique) - Euterpe (fêtes) - Melpomène (tragédie) - Polymnie (poésie lyrique) - Terpsichore (danse) - Thalie (comédie) et ... Uranie (astronomie)

Venons en à Cythère et Watteau. Cythère, c’est l’île d’Aphrodite, au sud du Péloponnèse. On la rattache souvent à la série des îles Ioniennes qui bordent toute la côte ouest de la Grèce (Corfou, Leucade, Ithaque, Céphalonie, Zante ...) alors que sur la carte, elle en paraît bien détachée et près de s’aventurer en mer Égée pour y rejoindre les Cyclades.... C’est le pays idyllique, rêvé, de l’amour et des plaisirs. Le tableau (L’embarquement pour Cythère) est connu. En 1717 Watteau le présente (sous le nom refusé de Pèlerinage à l’Isle de Cythère) pour sa réception à l’Académie (... de peinture et sculpture, fondée en 1648 par Mazarin et qui deviendra “... des beaux-arts” en 1816); il en fera une seconde version, relativement différente, pour le roi de Prusse. Nerval le rebaptise “Voyage à Cythère”, ce qui ne semble pas avoir jamais été sa désignation exacte mais est fidèle au premier titre du peintre.

Note: Je signale à ce propos une étude extrêmement complète de l’œuvre, de son interprétation et de son contexte due à des enseignants de l’académie de Créteil qu’on peut consulter à l’adresse:

http://www.ac-creteil.fr/lettres/pedagogie/lycee/watteau_analyse.rtf

Dans ses notes, Béatrice Didier souligne que probablement, derrière la référence à Watteau et compte tenu de la situation décrite, une autre allusion se cache, à un ouvrage italien célèbre de la fin du Quattrocento (1499), l’Hypnerotomachia Poliphili (dénomination française: Le Songe de Poliphile) de Francesco Colonna (Nerval cite Colonna explicitement à deux reprises ailleurs dans le texte, évoquant son mysticisme fabuleux). L’ouvrage est un songe allégorique écrit en cinq langues (italien, latin, grec, hébreu, arabe) d’accès difficile et qui mélange texte et images (gravures sur bois). Il décrit une “Quête” sous forme de rêves où le héros Poliphile recherche et rejoint son aimée absente, son amour perdu: Polia. Un monde du fantasme où la parure, l’ornement, les coiffures, les bijoux des figures féminines abondent. L’auteur est resté anonyme jusqu’à la découverte de la clef cachée de son nom par combinaison en acrostiche des lettrines des chapitres se recomposant en cet énoncé: Poliam frater Franciscus Columna peramavit (Le frère Francesco Colonna brûla d’amour pour Polia).
Nerval, qui se réfère encore à Colonna ailleurs, dans son Voyage en Orient, n’hésite pas dans les dernières pages de Sylvie à réécrire l’histoire et à transformer - peut-être à cause des gravures de l’ouvrage - le moine vénitien amoureux d’une Lucretia (devenue - dans l’Hypnerotomachia - Polia), homme d’église et humaniste, en un pauvre peintre amoureux de la belle Laura, que ses parents firent religieuse et qu’il aima jusqu’à sa mort .... On peut en profiter pour noter la fascination récurrente (et très romantique) de Nerval pour les ratages, qui remplacent au fond la difficulté du quotidien à affronter et à bâtir par le confort des déplorations inconsolables... où l’on retrouve Béatrice et Dante!

Note: là encore, on peut consulter un très intéressant article de décembre 2001 et de Corinne Bayle, maître de conférences-Université de Brest, à l’ adresse:

http://honuzim.free.fr/articles/Nerval-Watteau.doc

Et puis, voici le narrateur “dans une sente profonde qui longe la forêt d’Ermenonville”.
Nous touchons à Rousseau.
"L’air était tiède et embaumé"... et dès cette introduction et la résolution qui suit “d’attendre le matin en me couchant sur des touffes de bruyères”, Béatrice Didier nous renvoie aux Confessions et au célèbre récit d’une nuit à la belle étoile qu’on y lit:

Je me souviens même d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud ce jour-là, la soirée était charmante ; la rosée humectait l'herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille : l'air était frais, sans être froid ; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose : les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l'un à l'autre. Je me promenais dans une sorte d'extase livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m'apercevoir que j'étais las. Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse : le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi ; je m'endormis à son chant : mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux en s'ouvrant virent l'eau, la verdure, un paysage admirable. Je me levai, me secouai, la faim me prit, je m'acheminai gaiement vers la ville, résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs* qui me restaient encore. J'étais de si bonne humeur, que j'allais chantant tout le long du chemin, et je me souviens même que je chantais une cantate de Batistin**, intitulée Les bains de Thomery, que je savais par cœur.

* Un blanc est une espèce de petite monnaie qui valait cinq deniers ; mais en ce sens il n'a plus d'usage qu'au pluriel (Dict. Acad., 1762)

** Batistin (début XVIII°) : compositeur, auteur de deux opéras et de quatre livres de cantates.

Rousseau est très présent dans Sylvie avec un lien en quelque sorte anticipé qui mène jusqu’à Proust: “Parfois, nous rencontrions sous nos pas les pervenches si chères à Rousseau”, la pervenche qui a permis à Jean-Jacques une expérience mémorielle de l’ordre de celle de la “madeleine” dans la Recherche.....

Il y a d’ailleurs dans ces premières références du texte à l’auteur des Confessions un amusant clin d’œil au cours de Compagnon au Collège de France. Le narrateur récite à Sylvie des passages de la Nouvelle Héloïse et puis:

- Est-ce que c’est joli dit-elle?
- C’est sublime
- Est-ce mieux qu’Auguste Lafontaine?
- C’est plus tendre
- Oh! bien, dit-elle, il faut que je lise cela ...

Auguste Lafontaine (1759-1831), romancier de langue allemande né de parents émigrés, a laissé des récits moralisants qui ont connu, oubliés aujourd’hui, des traductions françaises. Et l’un de ces récits reçut pour titre deux prénoms: Charles et Emma. De là, incontournable, une pensée pour Flaubert et pour Mme Bovary ... dont un séminaire annexé aux leçons de Compagnon a longuement exploité, pour les rapprocher de situations réunissant le narrateur de la Recherche et Albertine, quelques passages. De Nerval à Rousseau, de Rousseau à Lafontaine, de Lafontaine à Flaubert, de Flaubert à Proust via Compagnon et de Proust à Nerval via le Contre Sainte-Beuve à l’origine du présent travail... Cette partie de billard - dans des enchaînements tirés par les cheveux - m’a séduit.

Pour revenir à Ermenonville - qui va faire plus loin dans Sylvie le titre d’un chapitre -, le domaine, parc et château, appartenait au marquis René de Girardin, grand admirateur de Rousseau, qui avait fait dessiner les jardins conformément à l’esthétique préconisée par Julie dans la Nouvelle Héloïse. Rousseau (qui devait mourir en 1778 , le 2 juillet, 33 jours après Voltaire ..) avait eu en 1777 de nombreux malaises; son médecin lui recommandant un séjour à la campagne, c’est à Ermenonville où le marquis de Girardin lui avait offert l’hospitalité qu’il passa les derniers temps de sa vie. Le marquis le fit inhumer dans une petite île (L’île des peupliers) au milieu du parc avant qu’il ne soit transféré en 1794 au Panthéon. On considéra sa mort comme probablement due à une crise cardiaque ou à une crise d’urémie, même si des bruits coururent sur la possibilité d’un éventuel suicide... hypothèse qui devait plaire à Nerval. Introduisant l’un de ses personnages, le père Dodu, il énonce: "C’était lui qui avait été le petit garçon que le philosophe employait à classer ses herbes, et à qui il donna l’ordre de cueillir les ciguës dont il exprima le suc dans sa tasse de café au lait".

D’autres notations, à propos du parc d’Ermenonville, vont nous porter à compléments, et quelques allusions annexes, mais ce sera “next time” ....

À suivre ...

Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité