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AutreMonde
20 novembre 2006

Deux mots sur Marc Aurèle ?

Juste deux mots!

Je suis tombé (Éditions Arlea - 7€) sur un Marc Aurèle au format de poche.
Ses Pensées pour moi-même y sont suivies de larges extraits des notes à son propos que Renan avait écrites pour son Histoire du Christianisme. Le bouquin n’est pas bien épais, c’est parfois un encouragement et ... . c’eût quand même été dommage de ne pas aller regarder un peu cela. Mais avant ....

Le cinéma s’est au moins par deux fois intéressé à l’empereur-philosophe, essentiellement pour le faire mourir. Le film d’Anthony Mann, La chute de l’empire romain, en 1964 et, récemment (2000), Gladiator, de Ridley Scott, articulent tous deux leur fiction sur la fin de son règne et l’arrivée au pouvoir de son fils Commode. On sait que Marc Aurèle, qui passa le plus clair de son temps, empereur, à guerroyer, est mort en 180 de maladie (la peste probablement) sur les bords du Danube, à Vindobona, qui n’était pas encore Vienne. On dit le 17 mars, et, comme le Petit cheval de Paul Fort, sans voir le printemps.
Anthony Mann s’en satisfait, mais Ridley Scott préfère réécrire la chose à sa façon et ... le fait étrangler sous sa tente par Commode. Le pestiféré, c’est Alec Guiness, le strangulé, Richard Harris, et l’étrangleur, Joaquin Phœnix.

L’Histoire par ailleurs se contente sèchement de nous signaler que, renonçant au principe de désignation (comme successeur) du meilleur qui avait fait jusqu’à lui la force des Antonins (Nerva - Trajan - Hadrien - Antonin - Marc Aurèle - Commode), Marc Aurèle est revenu au principe de filiation antérieur, peu garant pourtant, on l’avait assez vu, de qualité (et la confirmation allait suivre). D’où Commode.

Marc Aurèle avait épousé en 145 Faustine (dite La jeune), fille de son père adoptif Antonin, et en avait eu de nombreux enfants. On a jasé sur les adultères supposés de Faustine, pourtant tendrement aimée et pleurée à sa mort, en 176, Faustine qui le suivait en campagne au point que les soldats l’appelaient Mater castrorum (La mère des camps). On a même jasé jusqu’à laisser entendre que Commode, personnage grossier, cruel, d’une taille et d’une force extraordinaires, qui descendit plus de 700 fois combattre dans l’arène et, plus de 700 fois vainqueur, se prenait pour une réincarnation d’Hercule, aurait pu être le fruit d’une distraction de Faustine au bénéfice d’un gladiateur ....

Toujours est-il que Mann comme Scott, mécontents eux aussi de voir réinstallé un principe de filiation regrettable, ont jugé nécessaire, chacun pour ce qui le concerne, d’inventer à Marc Aurèle un plus juste sentiment en plaçant à ses côtés, et à qui il aurait affirment-ils préféré céder l’affaire, le premier, un tribun Livius incarné par le Messala de Ben-Hur, Stephen Boyd, et le second un général Maximus à qui Russel Crowe prête son épaisseur déterminée. Et c’est au fond la vengeance de l’Histoire, exigeant la disparition de ces rajouts pour elle inopportuns, qui fait le scénario. Dans les deux cas, tout finit dans l’arène, qui Livius, qui Maximus contre Commode, dont chacun (?) sait pourtant qu’il périt dans son bain en 192, étranglé, sur ordre de sa maîtresse Marcia, par un athlète qui l’entraînait usuellement au maniement des armes.

Encore un détail avant de devenir profond (?). Dans les deux péplums, Lucilla, une fille de Marc Aurèle, intervient, Sophia Loren chez Mann, Connie Nielsen chez Scott, on n’est de toute façon pas à plaindre. Mais le parfum d’inceste répandu plus ou moins explicitement derrière elle - Lucilla était sœur de Commode - peut laisser supposer un glissement scénaristique - la comparaison a été historiquement faite - vers Caligula (Oderint, dum mutuant : Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent), de 150 ans le cadet de Commode, dont la longue liaison incestueuse avec sa sœur Drusilla est avérée.

Marc Aurèle, donc, revenons-y, car tout ce qui précède est bien joli, mais assez peu “philosophant”. Marc Aurèle stoïcien, et non des moindres, modèle de vertu irréprochable, écrit Renan, et l’honneur de la nature humaine, Marc Aurèle pour qui l’Empire fut un fardeau et les Entretiens d’Epictète une révélation, qui, à philosopher, prit peu à peu l’aspect du philosophe, habits simples et modestes, barbe peu soignée, corps exténué et réduit à rien, yeux battus par le travail, Renan encore, et qui pensait en grec quand il réfléchissait.

On a de lui, et on n’a de lui, que ces Pensées pour moi-même, écrites sous la tente, assez tardivement, lors des interminables campagnes contre les barbares, sur les bords du Danube ou dans les plaines de Hongrie, à combattre tous ces peuples germains ou slaves qui voulaient inonder l’Empire, les Marcomans, les Quades, les Suèves, les Sarmates, les Alains, les Vandales et d’autres, aux noms plus encore oubliés, harassé des labeurs militaires du jour, seul à seul avec soi et avec “Dieu”, terme vague et fédérateur de toutes les confuses transcendances, car Marc Aurèle n’a guère plus de “religion constituée” que de “système” philosophique. Sa pensée est essentiellement morale.

Il y a là douze livres, douze cahiers, pleins d’une étonnante élévation, mais qui finalement balaient peu de thèmes, inlassablement répétés. En substance comme entre autres ...
Toutes choses participent d’un tout, dont nous sommes les parties.
Parties de la Nature, nous devons vivre “naturellement”, conformément à ce que nous sommes profondément, et à la raison, tâchant, individus sociaux, de toujours tendre vers ce qui est utile et approprié à la communauté.
Tout change, tout se transforme, la mort n’est que naturelle transformation et nous n’avons pas à la craindre, comme nous n’avons pas à nous préoccuper du passé, ni de l’avenir, mais toujours du présent.

L’extraordinaire humilité de l’attitude intellectuelle qui prévaut dans ces pensées, dans ce souci obsessionnel de toujours se mettre au service de la sagesse, de la justice, de la tempérance, de la bienveillance, d’exercer toujours sa force morale à l’écart des passions mais dans la compréhension des écarts des autres, qu’on ne saurait corriger qu’en ne les imitant pas, ce souci presque déprimant de réduire pour les dominer à des mécanismes physiologiques les deux sentiments qui bouleversent le plus les vies, l’amour et la peur de la mort, submergent d’admiration... et peuvent aussi faire se lever des doutes. Cette sagesse prodigieuse, qui veut et parvient à ne considérer en mal ou en bien que ce qui dépend uniquement de nous, cette ataraxie stoïcienne qui se refuse indifférence, cette quête exigeante d’une morale individuelle absolue articulée, arc-boutée, sur le mieux être recherché de la collectivité, est-ce encore du domaine de l’humain?

Et tant de formidable austérité en vient à arracher à Renan comme un agacement: (...) lui manqua (...) le baiser d’une fée, une chose très philosophique à sa manière, je veux dire l’art (aussi) de céder à la nature, la gaieté, qui apprend que le “sustine et abstine” (supporte et abstiens-toi) n’est pas tout et que la vie doit (également) pouvoir se (dire) “sourire et jouir”. Diable!...

Marc Aurèle: La durée de la vie humaine? Un point. Sa substance? Fuyante. La sensation? Obscure. Le composé corporel dans son ensemble? Prompt à pourrir. L’âme? Un tourbillon. Le sort? Difficile à deviner. La réputation? Incertaine. Pour résumer, les choses du corps s’écoulent comme un fleuve; les choses de l’âme ne sont que songe et fumée; la vie est une guerre et un séjour étranger; la renommée qu’on laisse, un oubli. À toi de trouver en ta pensée ce qui est raison de ton existence. Pour moi, ce qui peut faire supporter la vie, c’est la philosophie.

Mouais... La journée n’avait pas dû être très bonne....

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