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AutreMonde
20 juin 2011

Bref détour par Gide.

                                                                                 Gide   

Jean, 12/24 : En vérité, en vérité,  je vous le dis, si le grain

de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ;

mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits.

 

Je suis tombé par hasard sur le livre l’autre jour, du côté de Toulouse.

La couverture est un peu cornée, et les initiales inconnues de la page de garde ne m’éclairent pas sur le trajet qui l’a conduit sur cette petite étagère de la pièce principale, au rez-de-chaussée.  J’ai commencé à lire dans un moment de relatif désœuvrement ; je devais rentrer sur Paris, j’ai continué dans le train …

 

Il me semble que je faisais là une relecture, plusieurs passages m’ont paru familiers. Mais Gide est loin, Les Caves du Vatican au lycée, et Les Faux Monnayeurs. La symphonie pastorale, bien sûr, après avoir vu vers la fin des années 1950 le film de Jean Delannoy avec Michèle Morgan (il est en fait de 1946 ; il a dû être reprogrammé une dizaine d’années plus tard dans la petite salle de cinéma de Pessac (33) que nous fréquentions en famille le dimanche après-midi. Je me souviens d’y avoir beaucoup ri au Rosier de Mme Husson, tiré d’une nouvelle de Maupassant, avec Bourvil ; Marcel Pagnol avait adapté la nouvelle pour ce passage à l’écran de 1950). Il faudrait relire … Peut-être.

 

Dans l’immédiat, cette relecture de Si le grain ne meurt s’est presque révélée un enchantement. Presque parce  que le livre est en deux parties inégales, tant en volume qu’en termes de style. La première partie, qui en occupe les trois quarts , est une ressouvenance déliée et délicieusement écrite d’une enfance bourgeoise qui s’étire « proustiennement »  entre leçons particulières, migraines, connaissances et amis que le futur rendra célèbres, et salons . Un régal d’écriture. Un sens plein d’humour du portrait. Des tournures désuètes parfois, souvent, mais si élégantes.

La deuxième partie, un petit quart donc de l’ouvrage, centrée par Gide sur la découverte (confirmation conviendrait mieux… ce n’est pas vraiment un scoop pour lui !)-acceptation de  son homosexualité, plus précisément de son goût (sexuel) pour les adolescents, m’a semblé (le thème ? le fait que j’en sois dérangé ? cela peut avoir joué) moins joliment écrite. Voyage en Algérie, jeunes corps bruns de garçons rieurs disponibles aux jeux érotiques …. J’apprécie moins ! Mais la description du compagnonnage avec Oscar Wilde et  Lord Alfred Douglas, attirés eux aussi par ce type particulier de tourisme et présents, reste intéressante.

 

Pulsions homosexuelles provisoirement occultées, les aveux autobiographiques s’achèvent sur la mort de la mère et le paradoxe apparent – Gide s’en explique, qui dissocie entièrement la volupté et les sentiments -  des fiançailles avec une vertueuse cousine.

 

Quelques notations au fil des pages, qui m’ont amusé, retenu ou fait penser …

 

M. Hubert, un professeur qui donnait également des leçons à ma cousine Louise vint me faire travailler un peu chaque jour. Il se servait, pour m’enseigner la géographie, de ‘‘cartes muettes’’, dont je devais repérer et inscrire tous les noms, repasser à l’encre les tracés discrets. L’effort de l’enfant était considérablement épargné ; grâce à quoi il ne retenait plus rien.

 

Navré de méconnaître Amiel, j’aurais envisagé de m’y mettre. Ceci me fait douter :

 

En dehors des leçons, je lisais beaucoup. C’était le temps où le ‘‘Journal intime’’ d’Amiel faisait fureur ; M. Richard me l’avait indiqué , m’en avait lu de longs passages ; il y trouvait un complaisant reflet de ses indécisions, de ses retombements, de ses doutes, et comme une sorte d’excuse ou même d’autorisation ; pour moi, je ne laissais pas d’être sensible au charme ambigu  de cette préciosité morale, dont les scrupules, les tâtonnements  et l’amphigouri m’exaspèrent tant aujourd’hui.

 

Une fin :

 

Entraîné par mon récit, je n’ai su parler en son temps de la mort d’Anna. C’est en mai 1884 qu’elle nous quitta. Nous l’avions accompagnée, ma mère et moi, dix jours auparavant, à la maison de santé de la rue Chalgrin, où on devait l’opérer  d’une tumeur qui depuis assez longtemps la déformait et l’oppressait. Je la laissai dans une petite chambre banale, propre et froide ; et je ne la revis plus. L’opération réussit, il est vrai, mais la laissa trop affaiblie ; Anna ne put s’en remettre et prit congé de la vie à sa modeste manière, si doucement et discrètement qu’on ne s’aperçut point qu’elle mourait, mais seulement qu’elle était morte.

 

Sujet de dissertation pour concours de recrutement à l’Education nationale. Mérite l’analyse et le commentaire (ne donne pas le sentiment d’un profil pour poste en ZEP):

 

Si j’avais à gagner ma vie, je me ferais professeur (…) J’ai la passion de l’enseignement et, pour peu que l’élève en vaille la peine, une patience à toute épreuve.

 

La baronne de Feuchères, vieille cousine, accable le visiteur de la lecture de ses notes :

 

Les papiers qu’elle produisait (…) étaient aussi des conversations dont elle avait pris note et où elle avait consigné, non point tant les propos d’autrui, que ses répliques qui étaient d’une excessive noblesse, à la fois lapidaires et infinies ; je soupçonne qu’à la manière de Tite-Live, elle écrivait non point tant ce qu’elle avait dit, que ce qu’elle aurait voulu dire, et que c’est même pour cela qu’elle l’écrivait.

 

Un trait de caractère à référence nietzschéenne (amor fati : l’amour du destin de Marc-Aurèle devenu le ‘‘Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort’’ de Nietzsche):

 

Cette sorte de foi que j’avais en ma prédestination poétique me faisait accueillir tout, voir tout venir à ma rencontre et le croire provisoirement envoyé, désigné par un choix exquis, afin de m’assister, de m’obtenir, de me parfaire. J’ai gardé quelque peu de cette humeur-là et, dans les pires adversités, cherché instinctivement par quoi je pourrais m’en amuser ou m’en instruire. Même je pousse si loin l’amor fati, que je répugne à considérer que peut-être tel autre événement, telle autre issue, aurait pu m’être préférable. Non seulement j’aime ce qui est, mais je le tiens pour meilleur

 

Une juste remarque, dans un portrait, qui croise l’attitude de Monsieur de Bargeton chez Balzac (Les illusions perdues), crédité d’autant de pensées profondes que son mutisme était absolu :

 

Hérold [il s’agit d’André Jules Ferdinand Hérold, écrivain,  ami d’Henri de Régnier ; il fréquente le salon de Mallarmé, comme Gide] était parfois flanqué de son beau-frère, un Belge énorme, du nom de Fontainas, qui était peut-être bien le meilleur des êtres, du cœur le plus tendre, et pas bête, je crois, autant qu’on en pouvait juger par ses silences. Il semblait avoir découvert que le plus sûr moyen de ne jamais dire de bêtises est de ne point parler du tout.

 

Le comte de Bonnières lit en public un de ses petits contes en vers :

 

C’était, il m’en souvient, l’histoire d’un gant que laisse tomber ou que jette une dédaigneuse beauté ; le galant chevalier [précédemment] rebuté s’empresse, et, bien qu’il y ait péril, je ne sais trop lequel, ramasse le gant (n’y a-t-il pas quelque chose de ce goût-là dans Schiller ?) puis, tandis que la belle, enfin conquise, se penche, lui, dédaigneux à son tour …

                                                                       … Passe aussi son chemin, ma chère.

Ainsi se terminait le récit. Silencieux d’ordinaire autant que Fontainas, je ne sais quelle audace me prit :

« Ne craignez-vous pas le ‘‘sse aussi son’’ ? » demandai-je. Tout le monde se regarda ; et ce qui me sauva, c’est qu’on ne comprit pas d’abord. [Ensuite] que pouvait Bonnières  contre le fou rire qui s’empara de chacun ? Je crois que depuis, il a modifié ce dernier vers.

 

Une note de bas de page pour finir, je ne sais si elle est de l’éditeur ou de la main de Gide, suite à l’introduction dans le récit d’un personnage à l’élégance de pensée étonnante :

 

Mallarmé parlait d’une dame si extraordinairement  distinguée  que … « Quand je lui dis bonjour, je me fais toujours l’effet de lui dire ‘‘Merde’’ ».

 

Pour revenir à ce que je disais en commençant, oui, lire ou relire ces éléments d’autobiographie, c’est s’ouvrir une parenthèse de style et de prose comme on n’a plus l’occasion d’en trouver ; le charme s’installe et on se laisse porter par  cette narration aux trois quarts – voir mes réserves liminaires – ailée. Et comme ce serait, information littéraire oblige, dommage de se priver du quatrième….

 

J’ai dit Détour par Gide ? Et bien, Gide vaut le détour. 

 

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