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AutreMonde
21 janvier 2011

Ulysse-Joyce (VIII)

Épisode : Les lestrygons  (220-268)

Pour le petit Robert : « Peuple de géants inhospitaliers et anthropophages dans l’Odyssée. Ils détruisirent les vaisseaux des compagnons d’Ulysse en lançant contre eux des rochers , tandis que le héros s’échappait de justesse sur un navire.  On identifie le port des Lestrygons avec la ville de Formia, dans le Latium [regroupement historique assez hétérogène de provinces autour de Rome] ».

Pierre Grimal, dans son dictionnaire mythologique, détaille : « Six jours après avoir été repoussé par Eole, le dieu des vents, Ulysse aborda au pays des Lestrygons. Ce peuple était formé de géants anthropophages qui dévoraient les étrangers. Ils habitaient une ville qui passait pour avoir été fondée par un certain Lamos. Ulysse, en arrivant, pénétra avec ses vaisseaux dans un port spacieux et sûr, où la flotte mit l’ancre. Ulysse descendit à terre et envoya deux de ses compagnons reconnaître le pays. Bientôt, les deux marins rencontrèrent  à la porte de la ville une jeune fille qui puisait de l’eau. Ils lui demandèrent quel était le roi du pays. La jeune fille les conduisit chez elle et elle appela son père, Antiphatès, qui accourut de la place, où il se trouvait, et tua aussitôt l’un des deux marins. Puis il cria à tous ses compatriotes de venir. Ceux-ci s’élancèrent vers le port et se mirent à lancer d’énormes rochers sur les navires, qui furent tous écrasés sauf celui qui portait Ulysse qui réussit à s’enfuir.

Il est vraisemblable que le pays des Lestrygons doit être identifié à la région de Formies , au sud du Latium, à la limite de la Campanie. »

Nous voici renseignés.

Tout l’épisode, lui,  n’est qu’une longue déambulation de Bloom, laquelle nourrit un monologue intérieur continu mais chaotique, très chaotique, au gré du vent. On rencontre des réflexions désopilantes. On bute aussi sur des phrases inabouties, rompues d’un coq-à-l’âne. Gens croisés dans la rue, souvenirs en ricochet, un aveugle, un bistrot, un deuxième bistrot, quelques connaissances de trottoir, des femmes, qui font penser à d’autres femmes, tout fait ventre pour le mouvement brownien de ces ratiocinations.

Quelques notes :

La Liffey / Anna Liffey : La Liffey est  une rivière de l’Irlande orientale (Eire). Issue des contreforts des Monts Wicklow, elle décrit une boucle vers le Nord  et partage en deux la ville de Dublin où elle se jette dans la mer d’Irlande.  [ Voilà ce que nous dit le Robert … qui aurait alors dû (théoriquement) parler de fleuve, puisque une rivière se jette dans un autre cours d’eau tandis qu’un fleuve se jette dans la mer]

Pour ce qui est d’Anna Liffey, autre désignation joliment soudain prénommée de la rivière, l’origine, si l’on en croit Wikipedia, en serait un glissement (une anglicisation) du gaëlique, qui désignait la Liphe (ou Life, devenue Liffey) par les termes  Abhainn na Life

Parallaxe : Bloom nous dit n’avoir jamais vraiment compris ce que cela signifiait … Au sens le plus fréquent, on parle d’erreur de parallaxe chaque fois que l’on procède à une lecture oblique (en général, celle d’une graduation ; p.ex. un thermomètre sur un mur vertical et un observateur placé nettement au-dessous ou au-dessus). Le terme a, sinon, des usages plus précis en astronomie, désignant tantôt (c’est alors la même idée) le déplacement apparent d’un corps dû au changement de position de l’observateur, tantôt un angle, celui sous lequel on voit une grandeur définie (par exemple le rayon de la Terre) d’un point qui en est éloigné (par exemple un corps du système solaire (un astre)). Ainsi, grossièrement, la parallaxe (le terme est féminin) de la Lune sera l’angle aigu d’un triangle rectangle dont un côté adjacent mesure 385 000 km (distance Terre-Lune) et le côté opposé 6400km (rayon terrestre), soit un angle d’environ 1 degré.

Remarque juste et statistiquement démontrée : « … les imbéciles : une bande de jeunes clébards gueulards prêts à s’étriper (…) [et] quelques années après, la moitié d’entre eux magistrats et fonctionnaires. » Et oui, c’est le destin des révolutionnaires, quand ils ne se font pas tuer avant.

La nature a horreur du vide : … rappeler que ce principe est attribué à Aristote (IV° siècle av.J.C.) Quand, dans le traité Du Ciel, il décrit la structure de l’univers, celui-ci est formé du Ciel et de la Terre. La Terre comprend tous les corps terrestres, composés des quatre éléments traditionnels de l’antiquité : l’eau, l’air, le feu, la terre, et le ciel comprend tous les corps célestes qui, selon Aristote, sont composés d’un cinquième élément spécifique : l’éther. De vide, point.

Une réflexion qui fait … réfléchir : « Tous les événements futurs projettent leurs ombres à l’avance ».  Un écho ( ?) chez  Pierre Bayard, spécialiste du paradoxe, professeur de Littérature à Paris-8 et psychanalyste, qui a développé par exemple dans Demain est écrit et aussi dans Le plagiat par anticipation (Editions de minuit) cette idée d’une rétro-action anticipée du futur sur le présent. Une lecture amusante et … un brin provocatrice.

Art poétique (?) (page 242): « Il suivit du regard la haute silhouette portant tweed, barbe et bicyclette, à ses côtés une femme qui l’écoute. Sortent du restaurant végétarien. Rien que de la légumixture et des fruits. Ça mange pas un steak (…) Ses bas plissent sur ses chevilles. J’ai horreur de ça, tellement négligé. Tous ces littérateurs quels personnages éthérés. Rêveurs, nébuleux, symbolistes. Des esthètes, c’est ça. Je ne serais pas surpris si c’était cette nourriture-là voyez-vous qui produisait ces espèces de vagues dans le cerveau, le poétique. Par exemple un de ces sergents qui sue dans sa chemise son ragoût de mouton ; on ne lui presserait pas une goutte de poésie du citron. Ne sait même pas ce que c’est la poésie. Faut être dans une certaine disposition. »  Vigoureux, non ?

Lustral, e :  … pas inutile de rappeler que dans l’antiquité classique , on nomme eau lustrale l’eau dont on arrose le peuple pour le purifier. Par extension, l’eau lustrale est devenue l’eau du baptême. Mais le lustre est aussi une période de cinq ans, et l’adjectif peut alors s’appliquer à tout phénomène périodique qui respecte cet intervalle. Ainsi, l’Or lustral  a été le nom sous lequel on a désigné un impôt institué par l’empereur (romain) Constantin 1er  le grand (vers 300) et  auquel les artisans étaient soumis tous les cinq ans. Tant qu’on en est à Constantin, c’est surtout par le Concile de Nicée que, converti au christianisme, il convoque en 325 pour mettre fin à l’hérésie d’Arius  qu’on s’en souvient, me semble-t-il.

Dans les marges de ce Concile, la date de Pâques est arrêtée de façon quasi ésotérique, mais encore en vigueur aujourd’hui : « Pâques est le dimanche qui suit le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après ».

L’hérésie d’Arius, un prêtre d’Alexandrie, consiste, dans le dogme trinitaire, à vouloir séparer le fils du père pour le considérer comme inférieur, puisque créé.

De Constantin, on retient aussi qu’opposé pour la suprématie impériale à Maxence, et finalement vainqueur au terme de la bataille du Pont Milvius (312), il avait eu une vision peu de temps avant le combat. Lui était apparu le chrisme, symbole d’augure favorable transformé ensuite en symbole chrétien – c’est un X (le « khi »  majuscule grec) , superposé à un « rau » (le « r »  grec, à peu près un « p ») – accompagné de cette devise, semble-t-il en grec  mais que la postérité a plus facilement retenue en latin : In hoc signo vinces (‘‘Par ce signe tu vaincras’’). Il avait fait inscrire la devise sur son étendard et tracer le chrisme sur les boucliers de ses soldats.

Meyerbeer :  Giacomo, de son vrai nom Jakob Liebmann Beer (1791-1864). Compositeur allemand. Opéras, d’abord inspirés de Rossini puis tendant vers une synthèse entre les influences italienne, française et allemande : Robert le Diable et Les Huguenots semblent les plus célèbres.

Dyspepsie : terme relativement générique désignant un ensemble de douleurs ou de malaises épigastriques (région supérieure de l’abdomen).

Don Giovanni, a cenar teco m’invitasti … : un air du Commandeur dans la scène finale du Don Juan de Mozart (livret de Da Ponte) . Bloom doute : « Qu’est-ce que ça veut dire ‘‘teco’’ ? Ce soir peut-être. » Et il chantonne : « Don Juan, tu m’as convié pour ce soir à souper, Taratata, taratata ». Non. Teco est là pour Con te, c’est-à-dire, ‘‘avec toi’’ . ‘‘Don Juan, tu m’as invité à dîner avec toi …’’.

Un dicton imagé pour finir, et clairement judicieux : « Derrière le taureau, devant le cheval ». Effectivement, craindre le coup de corne (devant) et la ruade (derrière). Sage.

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