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AutreMonde
27 avril 2010

Préoccupations Orthographiques

Gamin, à l’école primaire de Pessac (Gironde), j’ai traîné tout du long l’angoisse orthographique. En ces temps où sévissait un examen  d’entrée en sixième – j’ai dû le passer, sauf erreur, en 1954 – le spectre des cinq fautes éliminatoires (souvenir mal assuré ; était-ce  la cinquième ou la sixième faute qui éliminait ?) me hantait. Je crois d’ailleurs que je me suis arrêté au bord du gouffre lors dudit examen, ayant fait le plein du toléré, une de plus, c’était la chute … À quoi s’est ajoutée une mortification fondatrice lors de ma première composition française en classe de sixième, au lycée Montaigne (Bordeaux). Nous avions un jeune professeur  de lettres dont j’ai tout oublié sauf cela que, nous rendant les devoirs par ordre de mérite – traumatisme psychologique que l’époque ne craignait pas - il énonça tous les noms sauf le mien. Ce devoir, dit-il y venant ensuite, est à part. Il aurait mérité d’être le premier, pour son invention et son allégresse, mais voilà, j’y ai relevé trente-six fautes d’orthographe. Je devrais mettre zéro. J’ai préféré ne pas le noter. Ce ‘‘trente-six fautes d’orthographe’’ m’est douloureusement resté. Et toute la suite n’a été que le long cheminement , qui connut bien des aléas, de la volonté de n’en plus faire.

Or ce souci de les éviter et cette honte de les commettre, j’y repensais ces derniers temps à travers la lecture de quelques blogs que je consulte avec intérêt ou amusement. Le zéro faute est assurément difficile, la relecture en laisse parfois passer et nul n’est à l’abri. Mais ce qui m’étonne, c’est la décontraction avec laquelle les fautifs d’aujourd’hui prennent la chose. À jouer parfois au vieux maître, il m’arrive de me fendre d’un mail amicalement rectificatif et d’avoir en retour quelque gentil et amusé accusé de réception visiblement étonné qu’on puisse accorder tant d’importance  à ces sottises d’un autre âge. Pourquoi donc, me fait-on comprendre, se fatiguer à distinguer du et , de toute façon , quand on parle, ‘‘ça ne se voit pas’’ ! Et puis l’accord du participe passé, la barbe .. C’est un machin  de vieux appelé à disparaître, sûr de chez sûr (qu’on m’écrira of course « sur de chez sur ») …

Dans son blog  du Nouvel Observateur  - Confitures de culturePierre Jourde est monté l’autre jour au créneau sur l’affaire. Un bon article, vigoureusement anti-de Closets et alii, qui en tiennent pour des réformes simplificatrices. Peut-être (sans doute) le combat est-il déjà perdu. On ne se bat que pour l’honneur. La difficulté orthographique a pourtant son charme, mais la surmonter demande des efforts qui ne sont plus au goût du jour.

Cela dit … je relisais récemment Bouvard et Pécuchet  (autant dire que je le lisais car je n’avais pas dû rouvrir le livre depuis trente ans et ne m’en souvenais plus) et je m’y suis amusé de ce long passage :

« … ils se mirent à étudier la grammaire. (…) Le sujet s’accorde toujours avec le verbe, sauf les occasions où le sujet ne s’accorde pas. Nulle distinction, autrefois, entre l’adjectif verbal et le participe présent ; mais l’Académie en pose une peu commode à saisir.

Ils furent bien aise d’apprendre que ‘‘leur’’, pronom, s’emploie pour les personnes , mais aussi pour les choses, tandis que ‘‘où’’ et ‘‘en’’  s’emploient pour les choses, et quelquefois pour les personnes.

Doit-on dire ‘‘cette femme a l’air bon’’ ou ‘‘l’air bonne’’ ? – ‘‘une bûche de bois sec’’ ou ‘‘de bois sèche’’ – ‘‘ne pas laisser de’’ ou ‘‘que de’’ – ‘‘une troupe de voleurs survint’’ ou ‘’survinrent’’ ?

Autres difficultés : ‘‘Autour et à l’entour’’ dont Racine et Boileau ne voyaient pas la différence ;  ‘‘imposer’’ et ‘‘en imposer’’, synonymes chez Massillon et chez Voltaire ; ‘‘croasser’’ et ‘‘coasser’’, confondus chez La Fontaine, qui pourtant savait reconnaître un corbeau d’une grenouille.

Les grammairiens, il est vrai, sont en désaccord. Ceux-ci voient une beauté où ceux-là découvrent une faute. Ils admettent des principes dont ils repoussent les conséquences, proclament les conséquences dont ils refusent les principes, s’appuient sur la tradition, rejettent les maîtres, et ont des raffinements bizarres. Ménage, au lieu de ‘‘lentilles’’ et ‘‘cassonade’’, préconise ‘‘nentilles’’ et ‘‘castonade’. Bouhours, ‘‘jérarchie’’ et non pas ‘‘hiérarchie’’, et M. Chapsal les ‘‘œils de la soupe’’.

Pécuchet surtout fut ébahi par Jénin. Comment ? des ‘z’annetons’’, vaudrait mieux que des ‘‘hannetons’’, des ‘‘z’aricots’’ que des ‘‘haricots’’  et, sous Louis XIV, on prononçait Roume et monsieur de Lioune pour Rome et monsieur de Lionne !

Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n’y eut d’orthographe positive, et qu’il ne saurait y en avoir.

Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion.

En ce temps-là d’ailleurs, une rhétorique nouvelle annonçait qu’il faut écrire comme on parle et que tout sera bien, pourvu qu’on ait senti, observé.

Comme ils avaient senti et observé, ils se crurent capables d’écrire (…) »

Les dernières lignes, au vu des controverses du jour, sont d’une absolue modernité ! Certains de mes correspondants gentiment morigénés n’hésitent pas d’ailleurs à défendre leur dysorthographie comme une manifestation de leur personnalité et semblent vivre le rappel à la règle comme une scandaleuse atteinte à la liberté d’expression. Oui, étonnant, et qui laisse un peu sans voix.

Chers Bouvard  et Pécuchet dont Flaubert dit, aussi tendrement que justement: « Et ayant plus d’idées, ils eurent plus de souffrances » et, plus loin, « Alors, une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise et  de ne plus la tolérer ».

Dans le numéro d’Avril du Magazine littéraire, acheté pour le dossier Proust qui s’y trouve, Anne Serre – écrivain dont je n’ai rien lu mais qui me semble une charmante quinquagénaire (photo sur le net) dont le dernier opus, à découvrir peut-être, s’intitule Un chapeau léopard (Mercure de France) - a signé justement une page instructive sur Bouvard et Pécuchet, où elle ancre dans l’amitié d’enfance de Flaubert et d’Ernest Chevalier ce fantasme d’une gémellité studieuse dont sont issus les duettistes mis en scène cinquante ans plus tard, avec en référence cet extrait d’une lettre datée du 31/12/1830 (Flaubert est né en 1821) aux savoureuses incertitudes orthographiques : « Si tu veux nous associers  pour écrire moi, j’écrirait des comédies et toi tu écriras tes rêves, et comme il y a une dame qui vient chez papa et qui nous contes toujours de bêtises, je les écrirait ».

Bien.

Je vais quand même me relire.

Ce n’est pas le moment de laisser derrière moi de trop honteuses coquilles…

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Commentaires
S
Je suis allé voir l'expo Proust conseillée.<br /> J'en dis deux mots dans mon dernier billet [sur Mémoire-de-la-Littérature: (http://www.compaproust.canalblog.com)]<br /> Très intéressant effectivement.<br /> Merci-bis.
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S
1. La réponse est "non"<br /> 2. Merci du conseil. C'est noté.
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A
A propos de Proust, avez-vous vu l'exposition "Proust du temps perdu au temps retrouvé" au nouveau musée des lettres et des manuscrits, 222 boulevard Saint-Germain?<br /> http://www.museedeslettres.fr/public/<br /> Elle est très intéressante, et on ne s'y bouscule pas...
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