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AutreMonde
29 mai 2009

De Pierre Jourde à Gabriel Chevallier

Paradis Noirs & Sainte-Colline.

Je parlais l’autre jour de notes … qui sont toujours à rédiger. Mais en attendant, je voudrais dire deux mots de deux lectures enchaînées, elles sans en prendre aucune ( aucune note, ce qui fut un tort ! mais aussi, une douce fainéantise), dont la seconde fut d’ailleurs une relecture, exhumant  de fort lointains souvenirs …

Je tenais à lire le dernier roman de Pierre Jourde : Paradis noirs. Les contacts précédents avec l’auteur avaient été des meilleurs (Pays perdu ; Festins secrets ; L’Heure et l’Ombre). Certes, ses éreintements à confrères bénéficiaires (La littérature sans estomac) s’ils m’avaient fait rire ne m’avaient pas entièrement convaincu, mais enfin ils fournissaient aussi une raison supplémentaire de retourner voir si, après la critique aisée, l’art était devenu moins difficile.

Et la réponse est non.

Le roman est dédié, outre Cécile et Agathe, qui me restent inconnues, à Eric Chevillard, littérateur contemporain (Mourir m’enrhume ; titre génial mais livre (à ce jour) non lu …), épargné  dans l’essai susdit, qui délivre à raison de trois par jour sur son blog (http://l-autofictif.over-blog.com/) des pseudo-haïkus inégalement pertinents mais assez souvent très drôles.

Ceci posé, et qui n’a pas de rapport avec la suite, les Paradis c’est vrai se sont montrés fort Noirs. Il y a, pour ce  que j’en crois pouvoir juger, chez Jourde, une véritable fascination pour la réminiscence aux frontières du fantastique, qui trouvait dans Festins secrets un épanouissement gothique et se teintait plus nostalgiquement de navrances adolescentes dans L’Heure et l’Ombre. Cela fournit, ici, l’arrière-plan d’un roman très ambitieux et néanmoins … probablement raté. Dans la scansion un peu lassante du retour imperturbablement itéré de trois vers de Baudelaire (La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse / Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse / Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs) en un ressort narratif dont on ne démêle pas le sens profond (sauf la sourde amertume qui se dégage de tout le poème, donné in extenso en exergue), le récit se déploie, celui d’un romancier – professeur de littérature (on peut supposer qu’il se nommerait Pierre Jourde),  usé d’explications de textes, que des visions -  hallucinations pluvieuses renvoient à tout un passé de collège catholique peuplé de cruautés enfantines et du secret obscur de douleurs distribuées. Il y a là comme un cantique des inaboutissements d’enfances à l’innocence factice et à la barbarie confuse mais délibérée autant que sans vrai lendemain, sauf l’échec annoncé puis vérifié de tous, dans la volonté de le cacher ou dans l’orgueil d’en faire un chef d’œuvre. De beaux passages, et puis quelques autres, à vide. Le talent des atmosphères mystérieuses. Les vapeurs méphitiques ne sont pas loin. On y croit par morceaux. On s’intéresse par à-coups.

Ici ou là, soudain, une curiosité stylistique que l’on se met à resucer  quelques pages, et puis qui disparaît, comme : « … me dit Chloé que François lui a dit. »

Ailleurs, un clin d’œil (mais là, volontaire) qu’on ennoblira en le rapprochant des vertèbres de tante Léonie qui transparaissaient sur son front  (Proust) : « … on ne peut pas manger les œufs des morts. Pour l’essentiel, c’est ce qui les distingue des poules » (j’ai ri).

Quelques chahuts homériques dessinent des calvaires enseignants qui après m’avoir semblé excessifs m’ont renvoyé, au détour d’un départ de paragraphe (« Pétunia était un vieux jeune homme. Un délicat liseré de pellicules doublait son petit costume bleu marine. Il avait le tort d’être timide, érudit, méticuleux (…) »), au lycée de Talence, Gironde, banlieue de Bordeaux, année scolaire 1960-61, classe de Mathématiques élémentaires  et au malheureux Alexis Ninérine, agrégé de Physique débutant que nous avons humilié à en perdre le sommeil et toute estime de soi.

Mais enfin, malgré tout, l’impression générale est celle d’une noirceur à ce point systématique qu’elle en vient à décrédibiliser en partie le discours tout en accentuant la mise en évidence déstabilisante d’un effort d’écriture. Avec des réussites aussi, dans l’excès, comme cette peinture d’une exposition culturelle « en milieu paysan » dont la méchanceté extrême n’interdit pas, d’expérience, la pertinence.

Quand même, à re-feuilleter le livre, puisque de notes il n’y eut pas  (et  l’oubli, terrifiant, a déjà fait en dix jours son œuvre…), le sentiment sourd, rédigeant ces lignes, de tenir des propos peut-être injustes sur un roman … qui pourrait mériter  d’être relu (?).

Enfin, ce qui est dit est dit, et je ne vais pas, là, me mettre à reconsidérer des réserves qui me sont immédiatement (et à chaud) venues, et puis restées. Baudelaire surtout. Oui, pourquoi Bauudelaire ? La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse  À qui Jourde s’adresse-t-il ? Cela sonne scolaire, pesant… et sur qui pleure-t-il ?

Lisant le roman, j’ai senti remonter, de fort loin pour tout dire, le souvenir d’une lecture ancienne de mes années de lycée, qui m’avait alors enchanté et donné l’occasion de communier avec mon père dans un goût partagé pour un livre (Sainte-Colline ; auteur : Gabriel Chevallier) où il reconnaissait, lui, et affirmait-il avec une précision qui relevait du calque, son internat au Collège de Bétharram chez les bons ( ?) pères, quelque part entre Lourdes et Pau, dans ces Pyrénées-Atlantiques qu’on appelait alors Basses-Pyrénées .

Gabriel Chevallier est l’immortel auteur de Clochemerle et pour le reste, aujourd’hui, à peu près oublié. On trouvait dans l’édition 1975 du Robert cette notice : « Romancier français (Lyon 1895 – Cannes, 1969). Auteur d’un roman prenant pour thème la guerre, La Peur, et d’un récit d’analyse, Clarisse Vernon, c’est avec les anecdotes savoureuses de Clochemerle (1934) qu’il acquit le succès. Il conserva cette veine caricaturale dans Sainte-Colline (1937) et Les Héritiers Euffe (1954). On lui doit également de charmants recueils de souvenirs, Durand, commis voyageur et Carrefour des hasards  (1936) ».

J’ai donc relu Sainte-Colline et le journal de bord en quelque sorte de l’année scolaire 1912-1913 en quoi consiste le roman, de la rentrée du 3 Octobre 1912 (les grandes vacances alors l’étaient vraiment !) à la distribution des prix du 18 juillet 1913, avec discours de l’abbé Fuche et vague à l’âme du Père Bricole. On a là l’épopée d’une petit communauté close d’enfants et de prêtres tous tenaillés par un même enfermement partagé où les dits et les non-dits  tissent des liens dont l’humanité est finalement moins amère  que les peintures culpabilisées de Pierre Jourde. Les cruautés n’y sont pas si différentes, mais elles sont, chez Chevallier, dans l’écart d’une ironie distanciée en même temps que chaleureuse qui est absente des tonalités oppressantes des Paradis noirs. La leçon de Chevallier est une leçon d’optimisme quand le bilan jourdien est à la dépression. Sainte-Colline est au fond plein d’amour. Chevallier est un généreux. Jourde est peut-être un aigri. Ils savent tous les deux la petitesse humaine, mais ils en ont tiré qui de l’empathie, qui du mépris.

Les portraits et les traits caricaturaux mais combien savoureux sont une constante de Sainte-Colline, dans la joyeuse expression d’une philosophie iconoclaste et d’une plume amusée .Le roman bien sûr est daté et l’on y baigne dans un optimisme touchant quant au devenir des cancres, dans des certitudes qui s’ancrent à une imagerie où le fort-en-thème est nécessairement infect et le mauvais élève plein d’invention. Les temps, c’est vrai, ont bien changé. Mais dans ce décalage, dans ces relations maîtres-élèves, enfants-parents, où nous ne nous reconnaissons plus, dans ces couples dominés par des imbéciles arrogants et parvenus, menés par l’intérêt, qui ont asservi des épouses terrorisées, dans cette galerie de prêtres à la pédagogie exotique et dont la foi est proportionnée à la bêtise, avec ses humbles, ses ambitieux, ses torturés, ses cyniques, souvent mais efficacement schématisés à la truelle comme parfois ciselés (le terrible abbé Marededieu que travaille la chair, le subtil abbé Fuche), on trouve bien sûr toute une époque, mais aussi de  quoi rire, et parfois réfléchir.

Quelques exemples au gré d’une ouverture aléatoire du volume ?

D’un missionnaire venu prêcher au Collège : « … le R.P. Ouabat convertissait surtout par la terreur. C’est une méthode évangélique qui en vaut une autre (…) La bonté, pensait le R.P. Ouabat, est un sentiment estimable, mais d’une faible portée d’éducation et qui n’est guère sensible qu’à un petit nombre d’extrêmes civilisés dont les instincts penchent déjà vers la décadence. Au lieu que la peur est  le grand sentiment fondamental, immuable et pleinement efficace, qui a toujours conduit les hommes et régi les sociétés. »

D’un père, tyranneau plus que porté sur les châtiments corporels : « M. Alfred Nusillon se faisait de la fonction paternelle l’idée la plus haute et la plus ambitieuse. Tous ses efforts éducatifs tendaient à mériter la réputation de père spartiate. Or les pères de Lacédémone, pensait M.Nusillon, avaient été de splendides assommeurs de leur progéniture, ce qui avait donné cette race mâle, aguerrie et vaillante, dont les entreprises belliqueuses secouèrent les assises de l’ancienne Grèce et la firent trembler de terreur, le Péloponnèse y compris.

Aux temps héroïques de Sparte – chacun sait cela – on supprimait à leur naissance les enfants dégénérés ou monstrueux. Une coutume si saine, si esthétique, s’est trouvée plus tard abolie par les sensibleries de la civilisation et la doctrine charitable de Jésus-Christ (doctrine tellement contraire aux principes de la biologie, qui veut que les forts se repaissent des faibles). Cette méthode a conduit à ce contresens que l’on conserve dans de coûteux asiles, parfois jusqu’à un âge très avancé, les scrofuleux et les déments, alors qu’on fait étriper sur les champs de bataille les garçons les mieux constitués.

Certes M. Nusillon, ataviquement attendri par l’usage déjà long que l’humanité fait de la pitié, n’allait pas jusqu’à regretter les droits du géniteur primitif, lequel pouvait à son gré accepter ou rejeter l’être qui lui naissait. Mais, autrefois nourri de forte culture classique ( dont il ne savait d’ailleurs plus un iota) (….) ». Il faut bien sûr décrypter. C’est M. Nusillon qui « pense » et dont on se moque.

Non que l’amertume ne pointe pas, mais même énoncée, elle n’a pas la désespérance jourdienne et quelques figures la sauveront, telle celle, si touchante, du bon père Bricole, qui songe, en fin d’année :

« Il se plaisait dans une humilité librement choisie, sachant que son amitié ne pouvait être de quelque secours qu’aux déshérités. Cela ne l’empêchait pas de bien voir les choses, de juger les enfants à sa manière (…) il pensait que la règle faisait  commettre pas mal d’erreurs, quand, par exemple, on décidait en son nom que tels enfants étaient bons, et tels enfants mauvais. Le cas de ces derniers, le seul qui intéressât le vieux prêtre, n’était pas assez approfondi. Peut-on soutenir, en se fiant aux seules apparences, que des enfants turbulents et moqueurs, parce qu’ils sont vifs et spontanés, sont mauvais ? Mauvais un Nusillon, mauvais un Lhumilié, et même un Pinoche ? Le P. Bricole sourit. Il murmura : « Avec leurs frimousses de petits chats ? Avec ce bon rire franc qu’ils ont ? Allons donc ! ». Et il fit aller son rabot. ».

Sainte-Colline se clôt là-dessus. Une vision bien sûr un peu sulpicienne, mais qui sait ?

Quoi qu’il en soit, d’autres leçons avaient précédé où, dans une formulation moins hautaine, pointe un peu du constat navré des Paradis noirs:

«La vie c’est d’accepter ; et peut se dire un homme fait celui qui, ayant bien pesé les risques et les profits, a su s’arranger pour se trouver bien d’avoir accepté, d’avoir choisi les profits, incontestablement supérieurs aux belles tirades.

La vie n’est pas du tout ce que peuvent supposer les enfants, qui font tant d’extravagantes suppositions. La vie est résumée tout entière dans ces regards sans espérance qu’échangent les hommes, à partir de cinquante ou soixante ans, quand, s’abordant, et se voyant pareillement chargés de déboires, de rancœurs, de maladies, de reniements, et ayant accepté tout cela, ayant accepté la décrépitude entamée, les erreurs sans retour, les lâchetés enfouies, ils se disent comme des complices : « Alors, ça va ? » et que l’autre répond : « Ben, oui, ça va … Ça va comme ça ! ».

La vie, « ça va comme ça », et pas autrement, pas fougueusement, pas lyriquement, pas loyalement, pas fièrement. La vie, c’est un déclin en marche, qui ronge l’âme et le corps, c’est un désespoir qui va grandissant, car, à dater de l’âge mûr, s’installe en nous la hantise de nos décharnements inéluctables, et dès lors nous avons pour inséparable compagnon de notre solitude le fantôme anticipé de nous-mêmes, le hideux spectre de notre corps décomposé, et la vie ne cessera plus guère d’être un dialogue, un marchandage avec la mort.

La vie, c’est peut-être de penser à la mort, et c’est peut-être d’y penser qui nous jette dans les agitations que nous nommons la vie ».

Gabriel Chevallier, lui aussi, est sans illusion. Mais dans l’intervalle, il nous a quand même davantage fait rire !

Allez, je m’en tiens là.

Les Paradis noirs  sont dans la collection blanche de Gallimard, NRF, et il en coûte 18 euros. Pour se procurer Sainte-Colline, sauf erreur existant mais épuisé en Poche, il reste les bouquinistes et Internet. Il y en a je crois quelques exemplaires sur le site Amazon, autour de 7 ou 8 euros …

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Commentaires
S
Merci pour votre intervention, mais ...<br /> <br /> Mais votre information sur ma relation à Paradis noirs est incomplète, car, suite à une réacton vive de Pierre Jourde, j'ai tout recommencé.<br /> <br /> Voir mon billet-repentir: http://ednat.canalblog.com/archives/2010/04/09/index.html<br /> <br /> Puis-je vous inciter à en faire autant?<br /> <br /> Je n'ai pas regretté, à quelques mois de distance, ma relecture.
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L
Je viens de decouvrir votre notice sur Paradis noirs de Pierre Jourde. C'est un livre que je ne suis pas parvenue à finir. J'avais beaucoup aimé pays perdu. Pourtant ces vers de Baudelaire ponctuant le texte auraient du me tenir accrochée au texte, j'ai écoutée en boucle la servante chantée par léo Férré...je me suis sentie un peu coupable comme toujours de ne pas aller au bout de ma lecture, je vous suis donc reconnaissante de mettre des mots éclairants sur cette lecture ratée d'un texte quelque peu...inabouti.<br /> <br /> Vous êtes prof? moi je suis libraire. Babayaga
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