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AutreMonde
13 mai 2008

Lettre ouverte à Brigitte Perucca ....

[Rédacteur en chef du Monde de l’Éducation] Je viens d’achever le pensum que de loin en loin je m’impose: la lecture in extenso d’un numéro du Monde de l’Éducation. Cette fois le 369, Mai 2008. La progression des chiffres est fort jolie d’ailleurs: 3-6-9. Si on les lit en nombres, elle est arithmétique, de raison 3, et le suivant devrait être alors 12. 3-6-9-12 ? Attendrai-je le numéro 36912 pour y revenir? Cela risque de nous mener un peu loin et l’on peut espérer que d’ici là (puisqu’il s’agit d’un mensuel, trois bons millénaires à attendre...) le système éducatif aura enfin trouvé ses marques... Non, je pense qu’exceptionnellement, je vais y retourner tout de suite, en Juin, pour le 370 au sommaire duquel, si j’en crois le blog de Jean-Paul Brighelli, je trouverai le compte-rendu d’un débat, organisé par la maison et dont il se vante dans son post du 10 mai dernier de sortir, entre lui-même et François Dubet, histoire de m’agacer encore un peu les dents. Brighelli est un hâbleur et Dubet relève - sur la foi de ce que j’en ai jusqu’ici lu - de la coquille vide; ce sera donc sans doute “M’as-tu-vu” contre “Moud-du-vent” ... mais enfin, puisqu’il ne faut jurer de rien, nous irons voir. Incidemment, cela m’amuse que vous ayez invité le moustachu montpelliérain et qu’il ait accepté, tant je vous lis, dans ses notes internetisées, diabolisée en suppôt du pédagogisme et en porte-flingue de Philippe Meirieu. On ne refuse pas sans doute une tribune et de votre côté, faute d’intervenants à idée, autant prendre dans les bruyants ... ça peut faire illusion... Mais enfin c’est demain. Pour aujourd’hui, revenons à notre 369 que Gainsbourg aurait assurément proclamé, 3-69 oblige, trois fois érotique! La couverture m’a bien plu; la suite moins .... Le titre de votre édito (Un Harvard européen?) installe à lui tout seul le grand malentendu des questions éducatives. Voilà donc bien sur quoi débouche le “Quarante ans après 68” du bandeau de couverture : sur la formation des élites! Et en outre quelles élites? Les bien lisses, bien sciences-politisées, bien sciences-économisées, soigneusement businessisées et marginalement énarchisées dans des perspectives à la Jean-Marie Messier, quand la caricature le faisait passer de J2M à J6M en ajoutant: “Moi-Même Maître du Monde” .... Et ces jeunes sots s’y voient, s’y croient .... Il y a, sur le fond, à la racine du mal, tous ces effondrements de valeurs qui paradoxalement recoupent entièrement ce qu’Antoine Prost (pge 35) a raison de citer d’un discours d’Alain Peyrefitte de 1969, postérieur donc aux “événements”: “La mission de nos maîtres s’exprime en un paradoxe: faire les enfants autres qu’ils sont eux-mêmes. Il n’y a pour cela qu’une méthode: c’est que les maîtres se transforment eux-mêmes, ou plutôt qu’ils transforment les méthodes d’un enseignement dont ils sont les premiers à sentir qu’il ne ‘mord plus’ sur les jeunes et les désadaptés de la vie”. Au lieu de quoi, au lieu de s’arracher à la reproduction, à la reconduction navrante de schémas éducatifs épuisés, en faisant miroiter les charmes boboïsés de formations privées à plusieurs dizaines de milliers d’euros l’année scolaire, vous laissez tomber la question et vous tournez l’attention dans la mauvaise direction, offrant un piédestal aux quelques exceptions qui confirment la triste règle du “Tout fout le camp” éducatif. Le dernier ministre intelligent de l’Éducation nationale - en ce sens où l’intelligence est la compréhension des phénomènes - a été Edgar Faure (Juillet 1968-Juin 1969). Depuis? Depuis rien ni personne! Et le navire s’enfonce lentement. Cette nécessaire solution de continuité qu’évoque Peyrefitte, elle est si difficile à organiser, elle bouscule tant d’habitudes, elle menace tant d’acquis, elle demande tant d’efforts qu’elle en est bloquée, pétrifiée, que quand bien même on en aperçoit les urgences, elle demeure inconcevable, et que donc on diffère, on mégote, on convoque des commissions, on organise des débats nationaux, on crée des Hauts Conseils, on bidouille des programmes, on bricole des emplâtres, on invente des placebos, on calme quelques excités sans vision (ni ambition) d’ensemble en leur autorisant quelques expérimentations locales et sans ampleur, aux sons de “Dugland t’es foutu, la jeunesse est dans la rue” on reçoit quelques délégations, on concède quelques grimaces, on passe la patate chaude et on retourne à ses moutons .... Numéro 3-6-9? Les articles se suivent, mollement. Des constats, toujours les mêmes, souvent en forme de “Oui-mais-Non”, avec des encadrés aux soucis marginaux, des points de vue antinomiques sur des questions de détail, en accordant de l’importance à la lettre (au programme) quand tout est dans l’esprit (la qualité du maître, du professeur, sa compétence scientifique, son ouverture d’esprit, sa capacité d’initiative...), des constats de difficultés non assortis de pistes de solution, des interviews inutiles (qu’apporte Gabriel Cohn-Bendit? sur quoi ouvre Agnès van Zanten?), etc. Rien du côté d’un renouvellement des structures de fonctionnement, de l’exigence de constitution de réseaux d’établissements accordés à l’émergence d’une véritable unité de la scolarité obligatoire, rien sur les voies et moyens d’installer l’autonomie des établissements dans la responsabilisation des équipes et la liberté méthodologique de la poursuite des objectifs nationaux dans le respect des spécificités du terrain, rien sur la nécessité absolue d’inventer la conciliation d’une part de la volonté de mettre en place une formation pour tous dans l’hétérogénéité de chaque classe d’âge qui débouche sur un vrai sentiment d’appartenance collective et de vraies compétences socialement “intégrantes” avec d’autre part la volonté de permettre à chacun de cheminer au long de ses goûts et talents vers le meilleur de son excellence potentielle, rien enfin, rien sur tout ce qui doit faire le fond d’une réelle perspective de réforme du système en vue de l’élaboration pensée, obstinée, convaincue, efficace d’une société tolérante, soudée, solidaire, digne, enrichie de chacun comme riche de tous, et regardant plus l’avenir que son nombril! Atterrissons. Xavier Darcos (Le Monde (quotidien) de Di.11-Lu.12/05/008) ... “veut assouplir le cursus des lycéens et soutenir les plus faibles”. L’affaire démarre en première page, où le ministre “envisage de remplacer le redoublement par des enseignements complémentaires” et, “s’il refuse pour l’instant d’entrer dans les détails de la réforme, prévoit de désigner au plus tard le 10 juillet une personnalité issue de la maison et pas forcément de droite dont la mission sera de la mener à bien”. Intéressant. Le ministre ne veut pas encore dire ce qu’il prévoit (traduire: n’en sait rien...), mais cherche déjà quelqu’un pour l’accomplir! Intéressant et instructif.... Belle démarche et qui va faire naître des vocations. Dans la foulée, on nous prévient qu’il “refuse de toucher au baccalauréat”, ce qui ruine par avance tous les discours qui suivent en page 6..... où l’on apprend, soulagement, que “les syndicats lycéens sont satisfaits”. Tout va donc bien et rien ne changera. La logique du système - qui est une “illogique” absurde - n’est pas remise en cause; on refuse de donner une cohérence à l’indispensable notion de “base de formation socialisante” (permettant la socialisation, la pleine intégration sociale, l’accession constructive au statut de citoyen, comme acteur éclairé de la vie de la cité) qu’il faut dissocier des formations individualisées, réellement à la carte (le ministre va “squatter” le vocabulaire et rouler le bon peuple pédagogique dans la farine des formules Canada Dry qui ressemblent à, qui font croire que, et qui ne sont pas ...), formations individualisées porteuses en elles-mêmes d’une construction au cas par cas de profils d’excellence à substituer à une évaluation bachelière en pleine hémorragie de sens, de contenus et de crédibilité. Etc. Et l’avenir continuera à se déliter. Laissons. Retour au 3-6-9. Il me restait Annie Ernaux. Entretien pages 72 à 75: “Transmettre la littérature, c’est enseigner la vie”. Pas si sûr... Lire, écrire est un bon début mais ensuite, si on prolonge, entrer dans la littérature c’est entrer dans une autre vie, une vie parallèle, qui s’accote à la vraie, qui la complète et la compense, qui l’éclaire et la consolide ou tout au moins la stabilise, qui l’oriente et la distancie, mais qui ne la constitue pas.... Le questionnement de Nicolas Truong part dans de tout autres directions et finalement, qu’est-ce qui surnage? Quelques indications superficielles en forme de souvenirs (la référence effondrée à la pérennité trop longtemps maintenue du Lag&Mich (Lagarde et Michard)), le regret sans doute sincère de la répudiation des idéaux de 1968 par une société de l’inconscience marchande, l’affirmation d’une connivence bourdieusienne, l’illusion surréaliste et référencée (André Breton) qu’écrire peut “changer la vie” et trois banalités sur le métier d’enseignant “difficile, mais aussi une belle responsabilité”. On a tort de faire parler les écrivains; il ne faut que lire leurs livres. J’ai abordé Annie Ernaux dans les années 90 par le petit côté, celui de ses amours, par “Passion simple”, horripilant et attachant, et j’ai mal supporté “L’amour et la photographie”, exercice de style assez vain écrit plus récemment à quatre mains avec un épigone zélé qui a dû depuis disparaître car, comme le chantait Brassens d’une autre, je ne la devine pas “de celles qui meurent où elles s’attachent”. Elle attire et elle agace, singulière. Il faudrait lire “Les Années”. Oui, mais le temps, toujours le temps .... Enfin, voilà, le numéro fut lu, Mme le rédacteur en chef. Je n’ai rien dit de José Garcia, qui clôt l’affaire sur son “drame (personnel) de l’orientation (scolaire)”. On sourit, et après? Tiens, Bégaudeau a disparu du mensuel. Vous l’avez remercié? Il est vrai qu’il a trouvé une rubrique hebdomadaire football dans le quotidien, en attendant la sortie en Octobre de son "Entre les murs" version Laurent Cantet, difficile gageure me semble-t-il.... Voilà. Exit le “3-6-9”. Waiting for “3-7-0”. À 4,50€ l’unité, deux fois, il va falloir casser la tirelire! Cela le vaut bien? La suite nous le dira peut-être .... et on commencera par votre édito!
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