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AutreMonde
27 mai 2008

Contresens d’une Palme?

Je crains beaucoup les conséquences de la Palme d’Or attribuée à Entre les murs. Le malentendu, me semble-t-il, va s’installer. Autant l’héroïsation des personnages de Rachid Bouchareb dans Indigènes avait (et a eu) l’utilité de concourir à la meilleure compréhension d’un problème, autant la théâtralisation fictionnelle du quotidien scolaire risque ici - et c’est je le crois commencé - d’occulter entièrement le problème de fond.

Faute d’avoir vu le film, qui ne sortira en salles que le 15 octobre, il faut bien se fier aux commentaires. Or ce que j’entends déjà valorise “une école qui ne va au fond pas si mal que ça”, à travers le positionnement (et la réussite) pédagogique “d’un professeur atypique, avec son côté Socrate, sa faculté d’amener ses élèves à décoder le savoir en leur parlant comme à des adultes, usant de l’ironie, osant en découdre avec eux” [Le Monde] ... Après L’esquive, d’Abdellatif Kechiche, qui a installé le porte-à-faux d’un parler “djeune” devenu une prouesse linguistique culturellement validée (par exemple: critiques de l’émission Le Masque et la Plume ) , on va avoir l’apologie du maître “qui sait faire” et par là dissout les difficultés, en même temps que se soulignera la ringardisation de tout regard critique sur les comportements scolaires de la jeunesse. “Ce film donne aux vieux des nouvelles des jeunes et leur montre qu’ils ne sont pas plus cons que les autres” aurait dit en substance François Bégaudeau à Libération (entendu sur France-Inter). Son livre, dont j’ai dit combien j’y adhérais, était un constat bien venu, d’une extrême justesse d’écriture. La sentence précédente me fait craindre que le film qui en a été tiré n’en biaise le sens. On verra.

Le constat, en attendant, il faut aller le chercher dans le Nouvel Observateur (15-21 mai 2008; pages 54-55) sous le titre “Les coulisses d’un désastre”. Interview par Marie Lemonnier d’un jeune professeur d’histoire et géographie du Collège Louise Michel de Clichy-sous-Bois, Jérôme Maufras. Suffisant. Et précis, mettant complémentairement en cause - à juste titre - l’impéritie des structures d’accompagnement administratif ....

Car la solution n’est pas où la question est posée, sur cette scène de théâtre que risque à sa façon d’idéaliser l’Entre les murs palmé. Si la bataille pédagogique est quotidienne dans la classe, la réussite de quelques uns et l’effondrement du plus grand nombre ne doivent pas occulter que ce sont les structures qui sont défaillantes, qui ne répondent plus à la situation créée par l’accès de tous au collège (etc.). La classe “à l’ancienne” ne correspond plus aux exigences d’un enseignement “de masse” et la maîtrise par un héros diplômé des subtilités dialoguées de la tchatch pour canaliser l’énergie de collégiens surexcités ne doit pas faire croire que le désastre éducatif que nous vivons peut se résoudre à coups de numéros de cirque. C’est en profondeur qu’il faut remanier le système et en repenser le fonctionnement, pour qu’y soient efficaces des enseignants compétents dans leur discipline et modestement doués pour les jongleries verbales. Je crains beaucoup que le film de Cantet ne fausse cette perspective.

Car dans le même numéro du Nouvel Observateur, une analyse de Caroline Brizard (Le carnet de notes du professeur Darcos) pointe avec efficacité, au détour d’une phrase de conclusion, l’une des clés de la remise en forme des missions enseignantes et de la modernisation, par là, des formations initiales: “ ... les professeurs sont mal payés (...). Il est urgent de relever leurs salaires. Mais on voit mal comment ils peuvent refuser le principe de travailler davantage dans leurs établissements, comme cela se fait partout ailleurs en Europe. À charge pour l’institution de leur offrir un meilleur cadre de travail. En clair: un bureau”. Oui, la direction est là, qui passe par le BTP et la refonte des établissements scolaires comme préalable quasi-obligé à tout véritable ressaisissement pédagogique!

De même que dans sa chronique hebdomadaire du Monde, Éric le Boucher, économiste de son état et plume acérée et lucide, a raison, lardant le P.S. de quelques nécessaires banderilles sous le titre La cavalerie socialiste et le capitalisme (Di.25-Lu.26 mai) , de parler “du problème immense de l’école et de la formation, où le P.S., appliquant tout son jeune courage [il évoque ses efforts actuels de reconversion idéologique] , doit abandonner la solution toute faite du ‘plus de profs’

Oui, revoir le métier pour sortir de l’impasse éducative, c’est un aggiornamento qui demande de l’imagination collective bien plus que de la performance individuelle ou du quantitatif moutonnier. J’ai peur que le succès (les commentaires qui vont l'accompagner) du film de Cantet n’élimine ces nécessaires directions de travail comme l’arbre cache la forêt. J’espère me tromper...

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