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AutreMonde
19 février 2008

Cliché ...

La photographie était en page 11 du Monde daté de Samedi 16 février 2008. Juste une photographie en couleurs, toute simple. On y voit un homme en costume sombre, chemise bleue, cravate rouge. Il porte des lunettes, la soixantaine mais le cheveu encore abondant et bien peigné, une décoration à la boutonnière, légion d'honneur assurément. Il sourit et tend une main largement ouverte vers cinq ou six gamins, trois casquettes dont deux style banlieue, la visière sur la nuque, plutôt souriants. L’un a la main posée sur l’avant bras de l’homme; un autre, la bouche entrouverte sur quelque salutation que son attitude laisse deviner décontractée, a armé le bras comme pour un balayage latéral et s’apprête visiblement à claquer vigoureusement la paume qu’on lui tend, façon “Ça va mon frère?”... Derrière les enfants, on voit deux adultes; l’un, un peu soucieux, observe la scène. L’autre regarde ailleurs. Les bâtiments à l’arrière plan donnent le contexte. On est dans un collège; la légende d’ailleurs l’indiquait, un collège des Yvelines. Les enfants sont donc des collégiens, sans doute de sixième ou de cinquième. L’homme en costard-cravate, c’est le ministre en visite, Monsieur Xavier Darcos. Et la photographie montre assez bien pourquoi il n’y aura pas de réforme de l’éducation nationale. La rupture complète des codes permettant d’inscrire la relation d’autorité dans ce formalisme minimal qui interdit de confondre la bienveillance avec le paternalisme et l’attention à l’autre avec la démagogie est là, résumée, explicitée, évidente et ... parfaitement regrettable. Et qu’un ministre s’y prête marque assez l’étendue des dégâts. Je ne demande pas des gosses au garde-à-vous, mais je déplore les simulacres régressifs qui mettent un homme de culture et de hautes responsabilités en position de s’aller faire complaisamment taper sur le ventre par des minots que l’on peine à sauver de l’analphabétisme et à installer dans les perspectives d’une société où le respect d’autrui et la tolérance - qu’ils sont les premiers à exiger à leur bénéfice - passent nécessairement par la maîtrise, c’est à dire la retenue, des attitudes et des modes d’expression. Rien de méchant dans ce cliché me dira-t-on. Effectivement, simplement le témoignage de cette perte consentie des repères qui a miné de l’intérieur la relation pédagogique. Nous allons fêter (?) en mai le quarantième anniversaire de 1968, le quarantième anniversaire d’un échec dont je n’ai jamais réussi à faire le deuil. Les foucades festives d’une jeunesse fatiguée de conventions excessives et de rigidités absurdes étaient parfaitement sympathiques et auraient mérité des suites plus lucides et responsables que la reprise du pouvoir lente mais inexorable des conservatismes apeurés qui a suivi. La gauche, ce jour là, a totalement failli. Au lieu de comprendre le bénéfice à tirer dans la transformation sociale de la désorientation provisoire de toutes les mentalités, elle a laissé parler le ridicule des ambitions personnelles (j’ai encore en mémoire, jusque dans ses intonations, le discours de Mitterrand disposé, les dents rayant le plancher, à tirer du feu des marrons qui n’étaient que l’expression de son carriérisme) et n’a cessé depuis de faire la preuve de son incompréhension complète du problème éducatif, clé et base de tout projet de société à long terme. Et dans le conflit de fait qui a suivi, entre la poussée maintenue d’une population scolaire que l’air de mai avait définitivement rendue impropre au dressage, les aigreurs revanchardes des adeptes du retour en arrière, le maintien pour l’essentiel de logiques de formation héritées de l’époque napoléonienne, l’ouverture du post-primaire à des masses qui ne pouvaient pas s’insérer en l’état dans des parcours conçus pour le petit nombre et ses tris élitistes aisés... on a vu se mettre en place, progressivement, une école faite d’abandons successifs dans les attentes et les comportements, traversée sans dommages majeurs par le tout petit pourcentage usuel des fortes aptitudes, mais peu à peu encadrée par un corps enseignant issu de ses non-réussites, engendrant de lui-même, par micro-laxismes successifs, les conditions de sa propre dégradation dont il attend, dans l’oubli (quand ce n’est pas le reniement) de ses responsabilités et le remuement de ses déplorations inefficaces, qu’un inespéré deus ex machina vienne en interrompre le cours. Le tout, bien sûr, dans l’effrayant aveuglement maintenu des politiques. Et au lieu de traiter des problèmes pendants, et pendant désespérément depuis quarante ans, depuis qu’on a raté une formidable occasion historique de le faire, depuis que les pseudo-révolutionnaires ont mangé leur chapeau et que les contre-révolutionnaires se sont enfoncés dans et arc-boutés sur leur incompréhension du phénomène, depuis donc tout cela, nous voilà nous préoccupant de tâcher à donner du sens à la dernière lubie du petit Nicolas national, désireux de réorganiser - et dans quelle impréparation maladroite - le mouvement brownien spontané des gamins de CM2 vers la mémoire de la Shoah, quand elle ne doit être qu’une composante, d’évidence mais composante seulement, d’une restructuration dont l’invention n’est hélas pas, elle, à l’ordre du jour, celle, globale et repensée, de leur formation à l’avenir. Mais à quoi bon râler? ... Le rôle du grincheux ratiocinant et inefficace est un peu difficile à tenir sur le long terme... Attendre l’effondrement de quelque chose qu’on a aimé, et sans avoir rien pu y faire, est une pratique dont il faut user avec modération. Tiens, à propos de rôle, je suis allé voir jouer la belle-sœur du susdit Nicolas justement, hier soir. Actrices, de et superbement avec Valeria Bruni-Tedeschi. J’ai beaucoup aimé. Tout. Tous les acteurs, toutes les idées de mise en scène. Et elle. Elle est probablement complètement “barrée”, la Valeria, mais quel charme, quel charme éblouissant dans l’incertitude tremblée d’une femme en déroute professionnelle et affective. Dans ce film où tout se mélange, Tourgueniev (Un mois à la campagne), la natation (avec un clin d’œil à Murray Rose, champion australien de mes quinze ans sportifs et inventeur du “negative split” c’est-à-dire d’une seconde moitié de course plus rapide que la première), les hallucinations crédibles de Natalia Petrovna, la mégalomanie formidablement imbécile de Mathieu Amalric (mieux qu’excellent), l’absurdité comique des obsessions amoureuses de Noémie Lvovski ... oui, dans ce film où tout se mélange, on les voit tous et on ne voit qu’elle. Et je lui dis merci.
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Commentaires
G
mais je revendique qu'on peut considérer son parcours scolaire comme une réussite, sans avoir envisagé une Grande Ecole... ni même l'accès à l'Université.<br /> ... Vous comprenez que défendant là, une vision sereinement positive de mon propre vécu, je n'accepterai aucune contradiction.<br /> Amicalement.
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S
Ce n'était pas volonté d'euphémisme. <br /> Il y a dans le système scolaire français (en termes d'insertion sociale (ou d'aptitude à l'insertion sociale), système accompagné de tous ses "a priori" classificateurs et parfois sottement humiliants, des échecs (les sorties sans diplôme ni qualification, voire sans alphabétisation complète(!))et des réussites (le petit pourcentage des surdoués / surdiplômés surfant sur les difficultés et les problèmes). Les métiers de l'enseignement recrutent majoritairement - et je le regrette - dans un entre-deux que j'ai nommé non-réussite comme j'aurais pu le dire non-échec, où les concours de recrutement signent trop souvent moins des vocations que le constat qu'on n'a pas les moyens d'une Grande Ecole. C'est une réussite "par défaut".<br /> Voilà quel était en gros le sens de la formule....trace du regret que le désir d'encadrer, de former, de transmettre, ne parvienne pas à attirer dans le système éducatif et pour le revivifier assez de ceux-là qui y ont, malgré son mauvais état, quelquefois (hélas) malgré leurs maîtres,le mieux réussi.
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G
(Confer : «…une école …peu à peu encadrée par un corps enseignant issu de ses non-réussites…»)<br /> Notre école ne génèrerait pas d’échec; seulement des «non-réussites»<br /> Ouf ! <br /> Merci Sejan!<br /> Donc, si : "Qui bene amat, bene castigat", (je fais l’intéressant, je ne comprends rien au latin, c’est Sejan lui même qui a soufflé.), carton jaune à l’auteur de ce si timide euphémisme.<br /> Malheureusement d’accord (encore) sur le fond de l’analyse et le sentiment de lassitude.
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