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AutreMonde
15 septembre 2007

Un peu de cinéma ...

Le Monde a titré sa critique: “Psychanalyse de l’économie libérale” . Une pleine page (numéro de mercredi 12/09) dont un entretien avec le metteur en scène (Nicolas Klotz) et sa scénariste et compagne (Elisabeth Perceval). Pour le 6-ième arrondissement, “La question humaine” est à l’affiche de l’Arlequin, 76 rue de Rennes.
Isabelle Régnier, qui signe l’article (dithyrambique!), n’a pas vu le film, en tout cas pas le même film que moi, ou alors à travers le filtre de tels a priori qu’elle en a dans son imaginaire personnel refait le montage et, dès lors, réinterprété le sens. Sa description de quelques plans du début est sidérante de relecture orientée et elle voit des jeunes gens “beaux, branchés, débordants d’énergie, fous d’eux-mêmes et de leur image” où on nous montre de jeunes crétins ordinaires (sauf les costards-cravates), ébauchant trois plaisanteries de potaches dans l’ascenseur avant d’aller faire les marioles devant leurs écrans d’ordinateurs.

Il y a au moins trois films dans ce film-là. D’une part, indiscutablement, un patchwork de notations brèves sur l’entreprise, avec procédure de recrutement (entretien affligeant mais possible), visiteurs japonais aux basques d’un directeur dans les couloirs, ambiance clean-feutrée, exercices allumés de type commando (d’imbéciles) sans doute pour fonder un esprit d’entreprise et pousser les aptitudes au dépassement (ridicule mais pas improbable), et jeunes gens baisouillant, soit entre deux armoires d’archives, au travail (?), soit dans des raves débridées, glauques, vociférantes et polysexuelles, aux petits matins si clochardisés qu’on doute fort de la vraisemblance des plans suivants, chemise propre, au bureau! Naviguent vaguement dans ce premier volet Mathieu Amalric (Amalric est, là, psychologue / chasseur-coupeur de têtes) et l’un de ses néo-recrutés, particulièrement immature et manipulable.

Second volet ou second film, les hoquets professionnels et privés dudit Amalric, comme toujours apparemment dépassé par ce qui lui arrive, regard exorbité, air doctoral et néanmoins déprimé, manifestant une incohérence de conduite qui doit nous rendre sensible le trouble dans lequel le jette l’épaisseur des conflits internes et externes qu’il entrevoit ou qu’il connaît, surtout guetté me semble-t-il, dans l’exigence professionnelle comme dans la décision intime, par nos soupçons d’inaptitude rédhibitoire et de totale incompétence.

Troisième film enfin, une vague histoire d’affrontement personnel et vindicatif entre deux enfants - au sens propre - de l’hitlérisme; Michaël Lonsdale, toujours indépassable dans l’entre-deux muré d’un flottement à la Modiano, dont les banalités à mi-voix se densifient, par l’opacité de son non-être, en résonances métaphysiques, fils ici (et qui ne s’en remet pas) d’un petit cadre de la solution finale, et Jean-Pierre Kalfon, accusateur convaincant et fielleusement jésuite, marqué lui par l’eugénisme nazi de sa conception dans un lebensborn (un centre de procréation programmée de purs aryens à la mode III° Reich), tous deux au sommet de la hiérarchie de la multinationale mise en scène. Affrontement-prétexte assez fumeux, en fait, pour un prêchi-prêcha pénible dans son pédagogisme outrancier et redondant qui tient à déboucher sur une interminable coda visant à transformer en litanie monstrueuse - et paradoxalement poétique dans ses ressorts formels: répétition, itération, scansion des mêmes termes - l’énoncé monologué du bon mode d’emploi des camions reconditionnés en unités de gazage utilisés lors du transfert des victimes “hors les camps” de la Shoah. Il y a là-dedans une mélodramatisation démonstrative qui par sa pesanteur nuit au but poursuivi. On s’irrite où on veut nous émouvoir!

Et reste la question de fond: peut-on raccorder ces trois films et en faire un projet cinématographique à la cohérence signifiante? Isabelle Régnier, dans Le Monde, portée par son fantasme de golden boys déjantés, pense visiblement que oui; malgré l’absurdité d’une assimilation de l’entreprise génocidaire, ou même plus faiblement d’un raccord, aux procédures actuelles dites de plans sociaux; malgré la dérision de ce folklore d’entreprise: raves de cadres sur-énergisés, expériences commandos bidon, local d’archives-baisoir, folklore qui ne fait que signer la bêtise d’un monde tout entier embarqué dans l’éperdu du divertissement pascalien et non poser les prémices d’un resurgissement de “la bête immonde”, folklore qui ne fait qu’annoncer l’implosion à venir des crétins; malgré les hésitations, entre la componction et l’ahurissement, d’un psychologue incertain qui s’aperçoit qu’on le paye à écarter des incapables pour recruter des imbéciles, où on lira, plutôt que la préfiguration du prochain Auschwitz, l’épouvantable vide d’une course à l’efficacité productive et marchande qui s’affaissera tôt ou tard sur ses propres effondrements.

Nicolas Klotz se veut “guetteur”. Sauf que Sœur Anne ne peut rien voir venir, à regarder dans la mauvaise direction... Sinon, formellement, ce Nicolas est un as du gros plan, ses trouvailles de cadrage sont étonnantes, et dans sa bande son, le Schubert de La jeune fille et la mort (lâchons-nous: Der Tod und das Mächden) porte éternellement ses accords sublimes .... Mais enfin, voilà 2h24 de projection qui pouvaient aisément se réduire du tiers, tant on s’englue dans des plans à la pérennité hypnotique. La vision / écoute d’un flamenco a capella, délivré par un malheureux sans doute talentueux mais que son texte investit et déprime au point qu’il nous l’offre en mimiques dévastées et grimaçantes qui font de Dominique Pinon un modèle de grâce expressive, est aux limites du supportable, là, en temps réel étiré... On avait compris le message en moins d’une minute, pourquoi - sauf sadisme - prolonger la torture?

Un coup d’œil sur d’autres “lectures” du film? Télérama n° 3009 est partagé. Cécile Mury a aimé (“ ... une formidable expérience”); formidable, je lui laisse cette responsabilité, mais expérience, assurément. Pierre Murat est contre (“... la lourdeur de la mise en scène et l’incommensurable ennui qu’elle finit par susciter ...”). Il trouve, à juste titre me semble-t-il et en fait assez près de mes impressions, “le scénario extravagant”, parlant, à propos des intentions du film, de “générosités maladroites” qui n’opèrent in fine pas plus efficacement que “le silence et l’oubli” contre lequel elles veulent lutter. Le magazine Première (Isabelle Danel) met deux étoiles sur trois à l’opus et a vu le film comme le parcours rédempteur d’un psychologue d’entreprise prenant conscience du crypto-nazisme de sa tâche et s’éveillant “au refus d’aliéner et d’âbimer les hommes”. À la fois possible, inattendu dans sa réduction, et séduisant. La thèse peut se défendre.

Le point de départ du film est un roman de François Emmanuel. Même titre: La question humaine. Le lire, pour voir ?

Post Scriptum: Vu aussi Ceux qui restent d’Anne Le Ny, avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos. Vraiment très bien. Très recommandé.

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