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AutreMonde
17 juin 2007

Philosophie Bachelière ...

Lundi 11 juin dernier au matin, les candidats au baccalauréat [séries L (littéraire), S (scientifique), ES (économique et sociale), TMD (technique et musique de la danse)] planchaient sur huit sujets de dissertation et quatre textes à thèmes.

Les sujets, comme toujours en forme de questions:

- Toute prise de conscience est-elle libératrice?
- Les œuvres d’art sont-elles des réalités comme les autres?
- Le désir peut-il se satisfaire de la réalité?
- Que vaut l’opposition du travail manuel et du travail intellectuel?
- Peut-on en finir avec les préjugés?
- Que gagnons-nous à travailler?
- L’art nous éloigne-t-il de la réalité?
- Peut-on se passer de l’Etat?

Les thèmes:

- La responsabilité (sur un texte d’Aristote)
- La justice (sur un texte de Hume)
- La morale (sur un texte de Nietzsche)
- La liberté (sur un texte d’Epictète)

Laissons de côté les thèmes, puisqu’il faudrait en fait partir d’abord des textes proposés. On notera simplement le sage échelonnement chronologique, et on pourra jouer à faire comme si c’était la Grèce antique du IV° siècle avant JC, après avoir sacrifié Socrate, qui s’interrogeait sur la responsabilité, à trouver normal qu’il revienne à Épictète, ancien esclave à Rome cinq siècles plus tard, de nous parler de liberté, à laisser Hume, en plein XVIII° siècle, brouillé avec Rousseau, demander justice et enfin à comprendre que Nietzsche, quelque cent ans plus tard, perturbé par le comportement de celle-ci, se demande si les agissements de Lou Andréa Salomé étaient bien conformes à la morale ....

Laissons les thèmes donc, et voyons les questions. On pourrait je crois assez facilement soutenir que la philosophie, ce n’est que l’art de compliquer les choses simples, l’art - pour parler “djeune” - de la “prise de tête”. Fernand Raynaud, il y a plus de quarante ans, développait la thèse dans un de ses sketchs et plaignait/moquait les insomnies d’un sien parent qui philosophait dans l’abscons en ponctuant son discours du refrain: Et pendant ce temps là, moi, je dors! Et il est fort probable que le philosophe, mis devant la question-gag volontairement tronquée de Coluche: Quelle différence y a-t-il entre un pigeon? lui trouverait des résonances métaphysiques suffisantes pour en tirer un long développement existentiel.

Car enfin, que répondre et dans l’ordre aux huit questions posées, le seul présupposé étant, mais là elles sont nettes et le doute n’est guère permis, qu’on les comprenne? Sans doute et successivement:

- Non, en général
- Oui, au bout du compte
- Non
- D’être tranformée en synergie
- Non
- Un salaire et le mépris des paresseux
- Non, il en fait partie
- Non, hélas.

Bien sûr, j’en suis d’accord, on peut développer, un peu. Mais que veut dire, et c’est ce qu’on demande aux candidats, le faire “philosophiquement”? Essentiellement ceci: plaquer sur le sujet fourni des opinions relevant souvent (la profondeur est une denrée rare) de la brève-de-comptoir, mais qui aient été émises par des autorités reconnues (et qu’on cite!) de la chose philosophique et si possible encore confirmées par un auteur antérieur dans une langue noble parce qu’étrangère, l’allemand pour les âges modernes, le latin ou le grec pour les âges classiques, plus rarement l’anglais (sauf le “Man is a wolf for man” de Hobbes, incontournable). Sur cette manie, le “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement...” de Nicolas Boileau sera de préférence remplacé par le “Mehr licht” de Gœthe, et évoquer le “travail de la mémoire” dans l’émergence du souvenir ne prendra probablement un sens profond qu’en le présentant comme un Erinnerungsarbeit freudien, etc.

Cela dit, le Figaro, dans son supplément “Littéraire”, avait pris une initiative plaisante et dont les fruits se retrouvaient dans le numéro daté du jeudi 14, trois jours plus tard, sous le chapeau: “Ils ont repassé le bac de philo”. Peu lecteur du quotidien, j’aurais dû l’ignorer mais j’ai été alerté le matin même par Nicolas Demorand (France-Inter / 7-9.30) qui s’en était amusé. Je n’ai pas regretté mes 1,10 €..

Jean d’Ormesson, Raphaël Enthoven, Paul-Marie Coûteaux, Eliette Abecassis et Alexandre Jollien, candidats d’un matin, voilà l’affaire. Le correcteur? Paul Clavier, qui enseigne rue d’Ulm les arcanes de la réflexion philosophante. Cela faisait trois agrégés de la chose (d’Ormesson, Enthoven, Abecassis), un énarque (Coûteaux), et un pratiquant hors-les-normes car IMC - Infirme moteur cérébral- (Jollien), pour ce qui tenait un peu du numéro de cirque mais qu’ils ont très scolairement pris à cœur, sauf d’Ormesson bien décidé, puisque cirque il y avait, à faire le clown, brillamment d’ailleurs (mais sait-il ne pas être brillant?).

Finalement, c’est ce sérieux très majoritaire qui “interpelle”. Etonnant cette fascination française pour l’épreuve d’examen, portée ici au niveau du concours, cette soumission aux codes scolaires en toute gratuité, cette nostalgie de l’ivresse de la bonne note, du jugement élogieux du “maître”, de la couronne de lauriers.
Céline vomissait les formations académiques et leurs conséquences : "Puisque tous nos grands auteurs, ceux qui donnent le ton, la loi du bon genre, sortent tous du lycée des langues mortes, qu’ils ont appris dès le biberon à s’engraisser à la bonne alimentation mixte, stérilisante parfaitement, racines grecques, parchemins, maniérismes, mandarinades, examinimes et plutacrottes de Dictionnaires, ils ne sont plus du tout à craindre, émasculés pour la vie. Rien d’imprévu, de déroutant, ne peut plus jamais jaillir de ces eunuques en papillottes humanitaires. Ce ne seront pour toujours qu’autant de bébés prétentieux, voués aux choses défuntes, strictement amoureux, passionnés de substances momifiées. Ils prendront toute leur expérience dans les traités académiques, les cendres psychologiques, salonnières, médicamenteuses, les préparations. Ils sont voués dès la nourrice à l’existence par ouï-dire, aux émotions supposées, aux fines embuscades pour tricheurs passionnés, aux couveuses en cénacles, bibliothèques, instituts etc. ... "

Céline, comme d’habitude, exagère, pousse trop loin le bouchon et pas toujours dans la bonne direction. Mais enfin là, sur ces copies léchées de vieux élèves appliqués, on prend davantage conscience du caractère décalé des jongleries scolastiques et de la vanité au fond des efforts qu’elles réclament. Et c’est toujours et seulement: L’ai-je bien descendu?

Mettons d’Ormesson à l’écart, spécialiste de la pirouette. Ils sont touchants sinon, dans leur inquiétude studieuse, et leurs “devoirs” très réussis, voire attachants (Eliette Abecassis en plein effort de sincérité ... ou Alexandre Jollien, chantre du bonheur malgré tout), mais enfin, également, tout en étant savants, bien “convenus” (Enthoven), et la précision de quelques longues citations (Enthoven bis) sans la réserve d’un prudent “en substance” me porterait à l’expectative ...

Le correcteur a tranché. Ce sera Enthoven (1er), Abecassis (2ème), Jollien (3ème), Coûteaux (4ème) et, revendiquant le statut du cancre qui s’amuse hors des sentiers battus, d’Ormesson, bon dernier, ou bien frappé d’indignité pour son refus de composer ou bien chaleureusement remercié pour nous avoir fait rire en moquant in petto l’application des concurrents. Son choix était évident: Mieux vaut potache cultivé que singe savant! Petit reproche néanmoins: il avait certainement préparé son coup et rédigé d’avance les deux premiers tiers de son papier, totalement et par définition “hors-sujet”, se réservant le dernier tiers pour bâcler par dessous la jambe mais avec l’élégance qu’on lui connait, l’exécution des questions à traiter dès que découvertes ...

Je critique, je jette la pierre, mais au fond j’ai bien tort. Ils m’ont tous diverti, ils m’ont même nourri, soit d’anecdotes (Coûteaux avec Pompidou-Malraux), soit de rappels (Enthoven, très didactique) et, me donnant envie d’écrire, ils m’ont surtout procuré un dimanche matin de bureau comme au fond je les aime, entouré de papiers, vaguement hors du monde .....

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