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AutreMonde
26 avril 2007

L’amour de la haine ... Exposé-Débat : Alain Finkielkraut

C’est sous ce titre qu’Alain Finkielkraut présentait, le 5 Avril dernier, une “Réflexion sur les passions politiques” devant un auditoire d’anciens élèves de l’École Polytechnique, de l’ENA et d’HEC. Salle ASIEM. 6 rue Albert de Lapparent . 75007. Paris.

Il est monté sur l’estrade en portant à bout de bras un vieux sac en cuir d’apparence un peu fatiguée, comme lui, dont il a extrait quelques bouquins, parmi lesquels un épais volume de la Pléiade et un paquet de documents. Il a ôté ses lunettes pour feuilleter le gros volume et y choisir une référence. Il s’est assis à une petite table avec verre d’eau et bouteille de Vittel, sur une chaise en bois.

19h10. Un quidam, disant bien entendu qu’on ne présente pas Alain Finkielkraut, le présente. Il s’agite un peu sous le tsunami des compliments pendant que l’intervenant s’autorise entre deux hésitations un “Nous avons convenu ...” en lieu et place de la forme correcte: “Nous sommes convenus ...”. Il ôte sa montre, la pose devant lui. Applaudissements. Le geste était élégant certes mais quand même ... Ah! Non, c’est simplement que le présentateur s’est tu.

Merci de m’accueillir... et puis il lit : “Toute la valeur qu’un opprimé peut avoir à ses propres yeux, il la met dans la haine qu’il porte aux autres hommes...”. C’est de Jean-Paul Sartre (Situation IV - 1952) dans un article-réponse à Albert Camus. 

Il veut d’abord parler de cette querelle cruciale et qui reste riche d’enseignements encore aujourd’hui, de cette brouille entre les deux hommes qui fait suite à la publication de L’Homme Révolté.
Sartre voit l’opprimé enfermé dans son oppression, et pour qui le monde se réduit à sa servitude. Rien qui vaille et rien d’autre qui vaille pour lui; pas d’art de vivre, pas de quant-à-soi, pas de sanctuaire, pas de refuge: rien pour échapper à son inégalité.
Nul ne niera que des situations paroxystiques existent, mais pour Sartre il n’y a pas d’exception, le paroxysme est la règle, la vérité de l’histoire. Marx parlait de “lutte des classes”? Le mot “lutte” lui paraît trop faible et il l’aggrave, dans son texte dont on a lu deux lignes, en affirmation d’une “société déchirée par la guerre civile”. Le paradigme de la “guerre civile” est pour lui essentiel et rien n’échappe à la confrontation, à l’affrontement des oppresseurs et des opprimés, rien!

Dans cet article de Situation IV, Sartre reproche à Camus d’avoir écrit que les allemands l’ont “contraint à entrer dans l’histoire” et il dit: Non! Nous sommes dans l’histoire, nul de nous ne peut s’abstenir d’y prendre sa part et d’y prendre parti; le refus de cette attitude nécessaire n’est rien d’autre que le choix du parti du plus fort.

Pour Sartre, l’engagement se substitue au choix et dire qu’on choisit de ne pas s’engager, c’est choisir l’oppresseur. L’engagement n’est pas un choix mais une situation. Dès lors, la haine est à la fois inéluctable et légitime, et l’engagement est total: “Même l’amitié de l’opprimé est commandée par sa haine”. C’est ainsi qu’il fait face à sa “situation” , qu’il peut lui faire face. Du coup: “L’amitié tend à devenir totalitaire: tout ou rien”.

Camus a certes fait, dans L’Homme révolté, l’éloge de la révolte, mais d’une révolte qui a peu à voir avec le contexte qui s’incarne dans les intellectuels de gauche de l’époque. Il a énoncé que l’analyse de la révolte (le) conduisait au soupçon qu’il existait une nature humaine: si tout est dans l’histoire, si rien n’est permanent, pourquoi sinon se révolter? Propos, pour Sartre, obscène.

Camus (se) pose la question: Comment une révolte légitime peut-elle déboucher sur le totalitarisme? Tout n’est donc pas simplement “historique”? Mais si tout n’est pas “historique”, nulle raison pour que l’âme du révolté ne soit que “haine”, il doit y avoir “autre chose”, une “nature” ... Propos sartriennement horrifiques ... mais Camus insiste, il élargit, il affirme: “Je me révolte, donc nous sommes”. Il proteste contre la divinisation de l’histoire, il se met en porte-à-faux des régimes totalitaires qui affirment que tout est historique, que tout est politique, il prend le contre-pied de Sartre pour qui tout est du registre de l’histoire, à preuve: même la mort, tant on ne meurt pas de la même façon selon la classe à laquelle on appartient. Dans cette logique sartrienne, il n’y a donc pas place pour une amitié a-historique; il n’y a que des camps et la rivalité, l’affrontement, l’opposition, la différence couvrent tous les champs, mort comprise. La clairvoyance, la compréhension même de la situation conduisent à la haine et pourrait-on presque dire, réciproquement, tant la haine aidera à l’émergence de la clairvoyance. Et il n’y a rien d’autre. Allégeance complète à la philosophie totalitaire du “tout est historique”.

Camus avait en fait répondu par avance, dans un texte de 1945 intitulé “Défense de l’Intelligence”*, une allocution consacrée au thème de l’amitié française (au sortir du conflit mondial), réfutant une approche de type sentimental et dénonçant le péril des suites du déferlement de haine (anti-allemande) des années de guerre, temps où le choix imposé par l’occupation était clair et dichotomique: Haïr ou Accueillir, et du coup, la haine légitime. Légitime mais circonstancielle. Las, l’occupation terminée, il nous restait, maintenue, la haine, et il voulait que nous en triomphions. Nous devions désapprendre à haïr ... “Il s’agit d’admettre que notre contradicteur peut avoir raison”; “Il s’agit de refaire notre mentalité politique” ... C’est de l’anti-Sartre, de l’anti-Merleau Ponty. Camus veut, après le paroxysme, revenir à autre chose, et il est, là, presque seul. Tous les autres (intellectuels) vont simplement passer de la guerre à la guerre froide. Parmi les rares de son bord, il y aura René Char: “On ne prolonge pas un climat exceptionnel / Il y a eu un incendie, il faut effacer les traces / (... honnir ceux qui (?) ) font lever sans cesse des moissons d’ennemis pour que la faux ne se rouille pas” . Char sera le premier lecteur de Camus.

* Finkielkraut développe une incidente sur cet intitulé, soulignant que le texte lui-même est lumineux d’intelligence et fait par là justice de la condescendance avec laquelle, Sartre en tête, on traitait la philosophie de Camus, qui en souffrait. Il témoigne personnellement de ce que, khâgneux dans les années 70, malgré le déclin de l’étoile de Sartre, supplanté par Foucault (la grande référence de Surveiller et punir ..), il a pu voir les moqueries dont on accablait encore Camus, donné pour simpliste et qu’aujourd’hui encore, ajoute-t-il, les “philosophes” manient avec commisération et des pincettes.... J’ajouterai avoir dans les années 60 lu des commentaires sartriens négatifs dont l’argument fort était que Camus “n’était pas agrégé”, voulant ignorer, par delà la sottise d’un tel critère (quel rang d’agrégation, Platon?), que tuberculeux, Camus ne pouvait être candidat aux concours de recrutement. Il enseignait à Oran dans un institut privé pendant qu’il écrivait La peste....

L’amour de la haine, dit Finkielkraut, c’est Sartre et sa doctrine de l’historicité. Sartre et alii s’inscrivent dans la logique de Clausewitz, qui reviennent à la politique en restant dans le modèle de la guerre, en la structurant sur le modèle de la haine. Camus est contre.

Quand il est question de l’Holocauste, la haine des bourreaux est un mal nécessaire. René Char aussi en était bien conscient en 42, et d’accord : “On a fait de moi un simplificateur claquemuré”. “On”, ce sont les circonstances. Il l’assume, mais il ne veut pas oublier - ce qui n’est pas regretter - qu’il a sacrifié la nuance. Sartre, lui, veut lire une clairvoyance supérieure dans ce “simplificateur claquemuré” qu’est l’opprimé. Et quand Char dit: “C’était horrible”, l’écho sartrien répond: “Non, c’est notre condition”.

L’amitié Sartre-Camus ne pouvait résister à de telles divergences. Qu’il ait fallu haïr, dit Finkielkraut, est un fait, il y avait là une nécessité, un devoir, mais on a prolongé l’affaire et faussé le sens de cette haine en y voyant la vérité du politique; et c’est cette position de Sartre qui, au moins un moment, a gagné. Un moment. Après quoi, pense-t-il, il y a eu un mouvement anti-totalitaire, où la sagesse humaniste de Camus a eu sa chance. 

Mais, croit-il pouvoir affirmer, la parenthèse se referme et aujourd’hui, de nouveau, Sartre reprend le dessus.

Il évoque 2002 et le livre de Daniel Lindenberg: Le rappel à l’ordre / Enquête sur les nouveaux réactionnaires , dont les attaques l’ont visiblement affecté, avant leur aggravation par la suite. Se retrouver sur une liste noire, fût-ce dit-il en position seconde, et accusé de ne rien comprendre au sens de l’histoire .... Il évoque Tocqueville, et son analyse déjà fort critique de la démocratie aux Amériques .... Il souligne ce trait de la démocratie “moderne” et qu’on lui (leur) reproche de méconnaître ou de contester, où c’est l’idée de la similitude qui doit fonder la démocratie. À Athènes, dit-il, c’était “l’athénianisme” ... On lui reproche de ne pas comprendre cette idée du semblable comme égal. Il rappelle que, et c’est Tocqueville qui le relevait , la démocratie comme idée d’égalité risque de voir le progrès même de l’égalité détruire à terme les composantes du monde humain; Tocqueville plaidait pour une modération du processus démocratique à ce niveau. Et il affirme qu’on lit aujourd’hui les excès du tout-se-vaut dans l’École, lieu même du relativisme du tout-est-égal, où tout est pluriel: les musiques, les cultures, faisant du singulier une insulte à l’égalité et soumettant l’esthétique (le jugement dans ses différenciations) à la morale. C’est selon lui l’École ruinant l’École. Et il y a là une attitude de nature à défaire la mentalité politique, qui exige que des thèses s’affrontent. Il y a là une démarche de la démocratie qui conduit la démocratie à sa perte... Mais il n’y avait pas encore la haine.

La haine, elle, intervient quand de l’accusation de (nouveau) réactionnaire, on passe à celle de raciste. Prenez dit-il le rap. Vous pouvez insulter les hommes politiques et traîner dans la boue les partis, on ne trouve rien à redire, mais ne touchez pas au rap! Dites du mal du rap et vous êtes un homme mort, la pancarte “raciste” autour du cou. Il a un petit coup de sang autour de ça... Et il évoque Diam’s, référence quasi rimbaldienne de Ségolène Royal. Soucieux de parfaire sa culture, il a lu ses textes: nullité et vacuité rares, probablement indépassables. Et Ségolène signe: Diam’s, c’est ma France à moi (?), et Fred Vargas la voit en Victor Hugo ... Il évoque un article du Monde (une pleine page) tout à la gloire de la chanteuse et dont le “jeunisme” ridicule m’avait moi aussi laissé pantois. L’indignation épuise et il s’épuise.

Il voudrait conclure sur l’antiracisme. Il dit que le racisme étant au fond un regard porté sur la dissemblance, l’idéologie contraire a voulu prendre le contre-pied, en venant à conclure qu’il faut affirmer l’égalité de tous et de tout tout le temps, l’antiracisme revenant ainsi à opérer une division du monde où ne subsistent que deux catégories antagonistes, les racistes et les exclus, dans une haine à la Sartre et qui même va plus loin, dans un principe qui ne tolère aucune réalité de nature à le mettre en péril. 

Il évoque les émeutes de novembre 2005, grand moment de haine, sachant que la haine partagée crée l’euphorie. “Ils” disaient leur haine, que l’antiracisme a validée: par compassion pour les relégués, par contrition car nous sommes les héritiers d’une France coloniale, par identification car se réveillait là l’esprit des barricades, de la Révolution Française. Validation aveugle, à l’écart de tout recul, de toute réflexion, de toute recherche de sens, en fournissant des interprétations exogènes valorisantes à un mouvement non analysé.

A-t-on, demande-t-il, le droit de poser la question de savoir si cette haine n’était pas condamnable? Et n’y avait-il pas là une haine de l’école? La haine de constater qu’on ne devient pas patron avec un BEP de mécanicien? La haine de ne pas disposer de tout tout de suite? La haine née de ne pas supporter cette longue patience qu’est l’étude? La haine de ne rien savoir pour n’avoir rien appris? Une haine qui le renvoie à Sartre, se félicitant de la mort de son père “en bas âge” ....

Du coup il repasse à Camus, à son roman non publié suite à sa mort accidentelle, “Le premier homme”, à ce qu’il y rapportait de son père, mort lui aussi d’ailleurs “en bas âge”, qui avait vu en 1910 des cadavres suppliciés, le sexe tranché dans la bouche, et qui répondait à tout essai de justification: “Un homme, ça s’empêche”.
Oui, un homme, ça s’empêche.... Camus a voulu concilier la révolte et la mesure. Il était obsédé par l’idée de limite. Il a senti, il a dit: il y a la haine et autre chose, il y a une limite et il faut savoir faire honte pour humaniser (et pas pour exclure).
Il ne conclura pas au delà, sauf pour dire ceci: il est inquiet.

COMMENTAIRES (I).............

J’avais trouvé l’exposé passionnant. Finkielkraut est un excellent “locuteur”... À le relire - à relire mes notes avec trop de retard, vingt jours après - je le retrouve un peu brouillon, brouillé. Finkielkraut est visiblement très touché par les attaques dont il a été l’objet depuis 2002 et l’essai de Lindenberg, et dans son souci plus ou moins assumé de justification, il perd parfois son recul de grand intellectuel et déstructure sa pensée.... comme l’autre matin (mi-Mars ou début Avril), un peu caricaturalement, sur France-Inter où le questionnait Nicolas Demorand. Sans aller ici jusque là, le contenu de l’exposé ne répond pas entièrement à son intitulé, ne le développe pas me semble-t-il complètement, parasité par le glissement pro domo du discours, même si la thèse posée qui installe la haine “moderne” - critiquable - en politique dans le prolongement des haines - légitimes - du second conflit mondial tout en l’articulant sur le conflit Camus-Sartre est intéressante. 

On sent bien son écœurement devant les effondrements culturels et qu’il comprend que la haine est aussi, un échec de l’école. Mais le problème reste : quelles solutions?
On pourra se reporter à un texte de Pierre-André Taguieff de 2005 qui recoupe assez largement nombre des préoccupations abordées ici et qu’il me parait fructueux de consulter en parallèle ou en illustration ...

................. & SEANCE DE QUESTIONS ..............

Il y eut quelques questions de la salle, plus ou moins liées aux thèmes de l’exposé, et des réponses où l’on a senti la sincérité, le souci d’honnêteté intellectuelle de Finkielkraut, sa recherche d’un discours qui ne soit pas de façade.

Quid de la prescription des crimes (ou de leur imprescriptibilité) ? ...

Camus en 45 se place probablement déjà dans la perspective d’une amnistie, qui paraissait probable, coutume au fond des “après-conflits”. Mais l’ampleur du génocide a finalement poussé à l’exigence d’imprescriptibilité. Il y a eu là une exception et du coup une difficulté. Ainsi le procès Papon en a été gênant parce qu’il s’y est retrouvé son seul contemporain et que seuls au fond, ce sont ses contemporains qui auraient pu le bien juger. Toutefois, on comprend que sur quelques sujets, l’imprescriptibilité s’impose, sachant toutefois que c’est la prescription qui est la juste prise en compte de la finitude de l’homme ...

Quid du Silence de la mer ? ...

Grand livre mais trop loin dans le temps des lectures; trop peu présent à l’esprit. Ce serait malhonnête d’en vouloir parler sur le fond. On passe.

Quid des violences révolutionnaires? ...

C’est peut-être le malheur de la France d’être entrée en démocratie par la Révolution. Robespierre est plus vivant chez nous que Marivaux. Robespierre et Saint-Just ont réellement initié la haine. “On ne règne pas innocemment” disait le second ... et Robespierre a fait de l’amour de la haine une passion politique . Donc ....

Quid de l’affirmation dans l’exposé d’une nécessité de la haine? ...

Il faut l’assumer: la haine est nécessaire; mais elle doit être de circonstance et il faut en rejeter le culte. Note: Ici, la question a été mal comprise. Le questionneur suggérait que l’on puisse éliminer les bourreaux avec efficacité et détermination, mais sans haine.

Quid de la “francité” (ou d’une identité française) ? ....

Finkielkraut évoque Emmanuel Levinas (juif de Lituanie) et Maurice Blanchot, proche en 1930 de l’extrême droite, le second disant du premier: “Il était pour moi l’expression même de l’excellence française” ... ce qui ouvre des perspectives sur les possibilités et les réussites d’une assimilation culturelle. Il y a dans le jugement de Blanchot l’ouverture vers un accès à l’identité sans lien avec les origines. Et il glisse de là au regret de ne plus sentir de gratitude, chez ceux qui se sont assimilés, à l’égard du champ d’assimilation qui leur a été offert , déplorant que cette gratitude ne soit plus même attendue, moins encore demandée et qu’on trouve des justifications à son refus, ce qui lui semble promettre le pire.

Il évoque incidemment - à quel titre logique ici ? ... ou bien j’ai perdu les articulations du discours - le Spartacus de Kœstler et le film de Kubrick, avec Kirk Douglas, en faisant semble-t-il la confusion de les croire liés alors que le film ne s’appuie pas sur le roman de Kœstler mais sur celui, homonyme, d’Howard Fast, intéressant mais considérablement inférieur. 

Et il dérive vers Prométhée, par qui d’une certaine façon une certaine modernité arriva, de Prométhée, incarnation de la modernité, outrepasseur de limites (Spartacus-Prométhée en ce sens, ce qui pourrait être un lien logique avec l’incidente précédente, disparu de mes notes (?) ...) , disant que la modernité est une “Ubris” (une démesure, un excès) et que pour cela, justement, l’homme moderne doit savoir aussi se mettre à repenser en termes de limites...

Quid des difficultés d’assimilation ? ...

Finkielkraut, à propos des lointains descendants des esclaves africains ou des victimes au XIX° siècle du colonialisme dénonce leur éventuelle propension à se poser en victimes renouvelées et refuse de mettre l’histoire au service d’un ressentiment fantasmé sans signification contemporaine concrète. De quoi sont victimes les arrière-petits-enfants? Au delà des valeurs à reconnaître dit-il, il y a une civilisation à intégrer et il se dit choqué par cette affirmation entendue au détour d’une enquête sociologique: “Je fais partie de la diversité française”, déniant à un tel concept (diversité française) tout sens quand il se lit comme juxtaposition de communautarismes auto-maintenus, affirmant que la réalité de l’assimilation homogénéise et que l’affirmation de cette diversité c’est le nivellement du tout-se-vaut.

Et pour finir: Quid de l’École? ...

La situation est terrible dit-il, mais le remède serait aisé, sans mobilisation de moyens. Il faut opposer le discours au désastre et redonner courage et foi au corps enseignant en redonnant sens au concept de sélection, concept nécessaire et démocratique. Il se réclame là des positions de Laurent Schwartz. Il parle de redonner vie et voix à la Culture, non aux cultures (il veut combattre le relativisme culturel) et affirme que la classe médiatique est sourde à ce nécessaire ressaisissement. Il se moque des discours sur la fracture numérique, prétexte abusif à une condescendance dommageable de l’enfant (qui bidouille sur l’ordinateur comme poisson nage dans l’eau) vers l’adulte (impotent). Et termine en déplorant les effets pervers de la toute puissance du sentiment d’égalité, du souci de ne laisser personne au bord de la route , de la fascination humanitaire, concluant par cette question, effectivement à considérer: Comment gouverner face à des enfants-citoyens? ...

COMMENTAIRES (II) .............

Cette mise au propre de notes, que j’achève, me laisse perplexe. Finkielkraut réactionnaire? Le problème de l’intelligence, quand elle ne se veut pas partisane, c’est qu’elle ne simplifie pas et, partant, dérange les classifications. Finkielkraut sauf erreur était maoïste en 68 et le monde alors pour lui était sans doute plus simple. Depuis, il a réfléchi et du coup, le monde s’est compliqué. Et plus il a réfléchi, plus il a lu, plus sa culture s’est étendue, plus sa réflexion s’est sans qu’il le sache coupée des problèmes initiaux d’un enseignement dont il constate navré la dévastation, mais dont il sait encore que c’est par lui que passent les solutions à tous les autres problèmes - haine comprise - qu’il a effleurés.

Toutefois sa réaction face à la dernière question montre les limites de son approche. Écœuré, il ne hausse pas son inventivité au niveau de ses déceptions et ne fait que rejoindre le camp inefficace des déplorateurs obsessionnels. Il y a des voies de recours. Elles ne sont ni faciles à dessiner ni aisées à emprunter. Le problème ne peut s’aborder que par une révision globale des conceptions enseignantes, renouvelant les modes de fonctionnement du système en s’appuyant sur un renforcement-élargissement très exigeant de la formation des maîtres et sur la décentralisation pédagogique organisée d’établissements autonomes confiés à des équipes qui ne le seront pas moins. Voilà de vastes horizons confus à éclairer et à remplir, mais le lieu de ce débat n’est pas ici. En tout cas, le primat de la sélection énoncé ne peut être, en soi et à lui seul, une réponse. La sélection ne peut être que la conséquence d’une recherche de la qualité pour tous et d’un épanouissement formatif optimal pour chacun.

Sur le reste, on sent quand même beaucoup l’homme de culture dépité devant le refus obstiné des faits et des hommes à entrer dans les perspectives que l’intelligence et les connaissances lui dessinent. L’inculture et la bêtise, qui vont de pair, qu’il constate accablé partout dans les effets de mode, la petitesse et la mesquinerie haineuses qui sont sans doute au fond de la nature humaine et à quoi nul n’échappe, pas même lui, tout cela se mélange pour hacher la réflexion et ruiner les espoirs d’humanisme dans les repliements communautaristes imbéciles. Comment, devant cela, ne pas rester soi-même idiot?

On ne pouvait pas, en quatre-vingts minutes, faire vraiment le tour de la question. De là peut-être le sentiment d’insatisfaction, d’incomplétude, qui émerge, à rédiger ces notes. La haine s’acquiert très vite, la tolérance s’apprend lentement, la première est à la portée du premier imbécile venu, on a toujours l’espoir de voir la seconde découler de la réussite d’une éducation ... Truismes. Il faudrait aller nettement plus loin ...

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Commentaires
S
Oui, de Mac Lean à Sarkozy, le saut est amusant. Cela dit, je vous confirme qu'il est déraisonnable de se laisser aller à haïr. En haïssant ceux qui le haïssent, Finkielkraut n'a pas donné le bon exemple. Il faut prendre de la distance et, s'il se confirme que nous n'échapperons pas à une présidence Sarkozy, attendre et voir avant d'appuyer sur la gâchette.<br /> Dans un blog que vous fréquentez (JPB), Arto Paasilinna a été un jour recommandé. Son "Petits suicides entre amis" est, sur la nécessité en toutes circonstances de différer, éclairant.
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C
Amour de la haine.<br /> <br /> J’aime me simplifier la vie.<br /> J’essaie donc d’analyser nos comportements au filtre d’une schématisation de leur gestion cérébrale.<br /> Ce modèle des années 70 (Mac Lean) est sans doute aujourd’hui scientifiquement dépassé mais il m’arrange de ne pas chercher à le savoir.<br /> Donc, classiquement, cerveau reptilien pour le pulsionnel déclencheur des comportements, cerveau limbique pour la modulation affective et néo cortex pour l’analyse rationnelle.<br /> Avec cette représentation :<br /> - Invoquer un « amour de la haine », c’est donc réduire son analyse à un registre totalement affectif et s’interdire une analyse rationnelle qui permettrait de « comprendre » la haine.<br /> - Et vouloir la légitimer, c’est lui chercher une explication justifiante et donc exclure une vision « amoureuse » irrationnelle.<br /> Le thème ne me paraît donc pas logiquement jouable.<br /> <br /> Je me serai contenté de « Utilité de la haine ».<br /> En ce moment ci, je le vois bien, j’ai envie de haïr Sarkozy.<br /> Ce n’est ni légitime ni condamnable puisque ce n’est pas raisonnable.<br /> Mais c’est compréhensible.<br /> Je l’attribue à la «douleur affective psychologique» générée par mon impuissance à m’opposer efficacement à son ambition, malgré la rationalité des arguments qui légitiment mon point de vue.<br /> Et plus les raisons de cette opposition m’apparaissent justes, plus je me convaincs<br /> de la pertinence de mon opposition, plus je m’insurge qu’elle ne soit pas partagée par moins nanti que moi,… et plus la rage de cette impuissance s’élève. <br /> Haïr le «responsable» de ce mal être permet donc un exutoire affectif à la frustration de mon impuissance.<br /> Et le haïr en groupe me permettrait de me donner bonne « inconscience» puisque mon irrationalité partagée, elle serait moins culpabilisante.<br /> Donc j’essaie de me raisonner et d’être sage.<br /> Mais la Sagesse n’est elle pas le meilleur alibi de l’impuissance ?
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