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AutreMonde
14 avril 2007

Bruits de fond .....

De vagues rumeurs de réflexion, mais enfin, rien ne bouge. La campagne présidentielle avance, les arguments vont se simplifier et s’appauvrir, il ne restera presque rien sur le fond dans huit jours et nous irons voter sans certitudes, au doigt mouillé probablement, au feeling, sur ce qui nous restera d’affinités floues pour une image entrevue, une remarque retenue, un agacement inoublié, le souvenir d’un choix dont les raisons ont fini par s’effacer....

J’étais dans le midi là, quelques jours, du côté de Toulouse. J’avais emporté un enregistrement de la leçon inaugurale d’Antoine Compagnon qui s’installait, fin 2006, au Collège de France, dans sa nouvelle chaire de “Littérature française moderne et contemporaine” Je voulais en mettre en ligne un compte-rendu commenté (c’est fait, non sans peine; pour amateurs ...). Compagnon y a présenté une “Défense et illustration de la littérature” qui ne m’a pas totalement convaincu.

Si je reprends ma conclusion:

.... Mais court en filigrane me semble-t-il une sorte d’élitisme latent, constant, à travers une approche à l’individualisme exacerbé, s’appropriant une littérature avec laquelle le lien tissé relève du magique, de l’irrationnel, de l’idiosyncrasique, affirmant sans le dire qu’on est ou pas lecteur, qu’on naît ou pas lecteur, et soulignant beaucoup plus l’émergence d’une aristocratie du livre par le livre que - malgré quelques références à l’école - la nécessité absolue de faire aujourd’hui de la littérature, de reconnaître aujourd’hui dans la littérature, l’indispensable outil de la construction, par l’éveil et le dialogue maîtrisé - dans l’analyse des textes - des intelligences individuelles, d’une démocratie de l’ouverture d’esprit et de l’intelligence collective.

J’aurais au fond souhaité qu’ici, au Collège de France, puisqu’on en était dans cette leçon inaugurale aux généralités, on trace davantage de perspectives vers ... les collèges de France. J’aurais espéré, en quelque sorte, un Compagnon plus... “Jaurésien”, pour ne pas dire simplement, plus “à gauche”.

J’ai déjà évoqué Compagnon, dont la trajectoire m’intéresse; mais je suis toujours naïvement étonné et déçu que ces intellectuels, que leur réussite éventuellement médiatique fait accéder à des tribunes d’où parler peut avoir du poids, s’ils sont sensibles à un problème, réduisent le champ de sa solution - et c’est là que je suis naïf puisqu’au fond ce n’est que logique -à l’aire de réflexion de leur propre parcours.
Compagnon est venu à la littérature et aux enrichissements qu’elle apporte par un cheminement tellement ancré dans des dispositions personnelles qu’il ne la lit qu’en ces termes et n’en conçoit pas complètement la possible et exploitable dimension collective de l’ordre du pédagogique et de l’éducatif “de masse”, puisque massification de l’enseignement il y a. “La littérature me rend meilleur” ...? Ce n’est pas une affirmation négligeable, mais quel en est l’intérêt social ou sociétal? “Meilleur” .. mais pour quoi faire? Pour quelle “utilité sociale”?

J’ai eu une impression voisine l’autre jeudi soir - le 05 / 04 -, en écoutant un exposé d’Alain Finkielkraut dans le cadre d’une association d’anciens élèves de grandes écoles sur le thème: “L’amour de la haine”, sous-titré “Réflexion sur les passions politiques”, exposé d’ailleurs ... passionnant et sur lequel je compte revenir plus amplement. Mais enfin, en réponse lors du court débat qui a suivi à une question annexe sur l’école, Finkielkraut a soudain réduit tout son propos sur le sujet soulevé à ceci: “Il faut en revenir à la sélection”, panacée telle qu’énoncée trop réductrice mais qui sans doute correspond à la survalorisation - je le redis, compréhensible, mais ... - d’un système qui lui a été personnellement bénéfique.

Je reviens à Compagnon. Il a été nommé membre du HCE (Haut Conseil de l’Éducation) voici environ dix-huit mois et à la place, après la tempête dans un verre d’eau de son éviction, de Laurent Lafforgue, éminent mathématicien de l’IHES (Institut des Hautes Études Scientifiques - Bures / Yvette) aux foucades conservatrices excessives et juvéniles, capable successivement d’abstractions fulgurantes et de momeries, qui avait assimilé, dans le domaine de la pédagogie, les “Experts en Sciences de l’Éducation” à ce que furent les Khmers Rouges dans le domaine des droits de l’Homme. C’était amusant, polémique, ma foi non dénué de tout fondement, mais ça n’avait pas fait rire tout le monde. Exit donc Lafforgue.
Dix-huit mois après, à quoi a réfléchi Compagnon dans ce Haut Conseil? En quoi cette possible réflexion sur les conditions actuelles de l’enseignement et surtout sur les moyens d’améliorer une situation dont la dégradation relève du truisme se traduit-elle dans sa prise de parole de professeur au Collège de France inaugurant sa chaire? Ernest Renan, nommé à quarante ans dans la même maison, en 1863, y fit scandale dès sa première intervention - et en fut derechef chassé - pour avoir dit beaucoup de sa conviction profonde en une seule formule: “Jésus, cet homme admirable...” (ou incomparable ; ce serait à vérifier). Une tribune était là, prestigieuse, et une chose urgente à dire, un homme, pas un dieu, il s’en était saisi. C’est cela, un peu, que j’aurais attendu. Non pas nécessairement jusqu’au scandale préalable à la radiation, mais enfin jusqu’à l’écho suffisant de quelque affirmation forte et si nécessaire iconoclaste quant aux errements des politiques éducatives successives depuis trente ans et sur les possibles voies de remédiation.
Mais non, on nous a seulement dit l’enchantement de la littérature, et ce qu’elle nous murmure à l’oreille, depuis Pindare et jusqu’à Nietzsche: “Deviens qui tu es”.
J’espérais: “Voilà - et je vais te dire comment, et comment je vais t’y aider - ce que la littérature pourrait te permettre de devenir et, partant, nous permettre de devenir”.
Non pas: “La littérature me rend meilleur”, mais “La littérature peut rendre le monde meilleur”.
Non pas: “La littérature permet de mieux supporter la vie”, mais “La littérature peut changer la vie”, et dire en quoi, et dire comment.

Ah, Culture, Culture! De combien d’œillères on te paie!

Ces intellectuels sont gens curieux, et trop souvent inefficaces, et quelquefois vindicatifs. Alain Etchegoyen vient de mourir, je l’apprends par la radio et Le Monde lui consacre une “nécro” fort élogieuse. Vindicatifs disais-je. Celui-là haïssait Ségolène Royal. À un point qui m’avait étonné quand je l’avais vu par hasard dans une émission télévisée lâcher la bride à sa détestation. On ne démêle jamais entièrement les motifs des réactions excessives; l’amour et la haine vont de pair au moins pour cela, mais apparemment, la haine dure plus longtemps et la sienne ne passait pas. Étonnant. J’ai dit aussi inefficaces. Quand Etchegoyen a été nommé commissaire au plan, j’ai essayé, par le biais d’une relation qui y travaillait, de le contacter pour lui suggérer de se saisir de la question du Socle Commun des connaissances qui me semblait d’une telle importance qu’il pouvait à juste titre figurer en auto-saisine à son programme de travail comme thème d’étude lourd de conséquences pour l’avenir. Déception: aucun écho.
La question éducative dans ce qu’elle nécessite de réflexion de fond n’est pas comprise. Les grands commis, comme l’était “au Plan” Etchegoyen, comme l’avait été Claude Thélot ailleurs, ne savent ni se l’approprier, ni en pénétrer les arcanes, trop coupés qu’ils sont de sa vérité, qui ne se lit que sur le terrain et sur le long terme. Alors ils font des ronds dans l’eau, et au mieux - mais seulement si on les sollicite - des rapports, emplis de statistiques et conceptuellement exsangues. Des livres quelquefois. Mais c’est juste “pour vendre”. Dommage.
Un autre et qui m’a fort déçu, c’est Jean Clair. On m’avait chaleureusement recommandé son “Journal atrabilaire”. Je ne savais rien du bonhomme, preuve que je ne lis pas les bonnes revues, puisqu’il semble qu’entre autres directeur du Musée Picasso et autorité muséale, il ait pignon sur rue dans la gentry artistico-pensante. Tant pis, tant mieux, cela au fond permet d’avoir, à le lire, un regard moins alourdi d’a priori. Et je n’ai pas aimé. Trop d’afféterie systématique dans la recherche du “grand style”. On retrouve là une famille de gens de plume qui se piquent de prose avant tout, et se veulent tous Saint-Simon (le duc, pas l’économiste). C’est un peu fatigant, malgré quelques réussites. Il me semble que Pascal Quignard est de ceux-là, et Pierre Michon. Mais je ne lis pas assez ...
Et puis l’atrabilaire du Journal a cette détestation précieusement branchée du Tout fout le camp qui m’agace parce qu’elle se dispense de réfléchir et de proposer. Des notations sont justes, mais c’est souvent assez gratuit, et pédant, avec ce snobisme de la classe sociale aisée et voyageuse qui se gargarise d’exotisme vénitien, new-yorkais, berlinois ou viennois, comme si, pour ajouter Amsterdam à la liste, on ne pouvait plus fréquenter “Chez Mimile”, en bas de chez soi, quand on avait connu le petit café “Hans & Gretje” au coin de la Spiegelstraat et du Prinsengratch....
Il y a là, trop présente, cette lassitude luxueuse et distanciée des gens pour qui l’argent est si peu un problème qu’ils ne comprennent pas que l’on puisse en manquer. Leur ennui cultivé, ampoulé, narcissique et distingué use un peu l’indulgence et, si l’on eût été prêt à s’intéresser avec eux à quelques problèmes d’endormissement, de les entendre disserter sur leurs “hypnagogies” sans fournir le glossaire finit par agacer les dents .... Pour information: l’hypnagogie désigne l’état de conscience atténuée qui précède immédiatement le sommeil.
Et puis, savoureux étonnement par référence aux jugements de valeur qu’il porte sur d’autres productions, il est vrai non littéraires, il a la douce manie de nous offrir de loin en loin de très regrettables vers de mirliton dont on comprend, compte tenu de leur inexistante qualité, qu’il soit contraint d’assurer lui-même la promotion.
Enfin, tout n’est peut-être pas perdu : Jean Clair prend quelquefois le RER B puisqu’il y a connu, pour cause de “malaise voyageur”, une heure et demie d’attente dans un tunnel.

Voilà. De tout un peu au fond ... Et pour finir, même si je n’en suis qu’aux deux tiers, un roman noir de Pierre Siniac que m’avait, par la bande, recommandé la lecture du bouquin de Pierre Bayard dont j’ai parlé l’autre jour, sur les livres “... que l’on n’a pas lus”. Le titre de Siniac: Céline Ferdinaud. Sauf un court flottement vers les pages cinquante, c’est un excellent divertissement. Très recommandé.

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S
http://devoirsmaison.canalblog.com/<br /> <br /> :-)
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