Cinéma, lecture ... Brèves remarques.
À trop différer, on n’est plus dans la disposition d’esprit qui vous somme de donner aux impressions une expression écrite. Alors, les retards, en s’accumulant, perdent de leur exigence, et puis d’ailleurs, discrètement, les impressions se sont évanouies...
On avait vu quelques films, on avait traîné sur un gros livre, on se dit qu’il faudrait y revenir, mais pourquoi pas plus tard, car ce furent en leur temps des activités marginales, on était pris par autre chose, qu’on tenait à rédiger, pour un projet qui n’aboutira peut-être pas, mais quand même, on s’enlisait un peu dans un quotidien agaçant, de saison, un coup de froid et la batterie de la moto qui rend l’âme, ou, plus plaisant, le souci (à défaut de l’art) d’être parfois aussi grand-père et le coup de main à donner pour quelque repas de fêtes, sans compter les cadeaux de dernière minute, qu’on s’était bien juré de ne pas faire et qui vous font courir à La Procure la veille du grand jour acheter Croc-Blanc et le Livre de la Jungle, galoper à la Fnac pour un coffret de DVD et vingt-cinq minutes de queue aux caisses, et enlever de haute lutte dans une officine encombrée d’un régiment d’autres retardataires affolés et d’un bric-à-brac invraisemblable de gadgets made in China deux sacs à dos en forme de peluches qu’on va commencer à garnir de pâte d’amande et de chocolats pour ne pas malgré tout laisser les plus petits sans rien .....
Le temps s’est radouci, les gamins ont retrouvé leurs classes, les chocolats sont mangés, les molles résolutions tâchent à se ressaisir et à devenir bonnes, on se dit qu’il vaut mieux, on en sera débarrassé, on n’y pensera plus, les dire, ou essayer, ces deux mots sur un peu tout qu’on gardait en travers, s’il nous en reste quelque chose .......
Un peu de cinéma ........
Plein d’ambition, avec ou sans épouse selon les disponibilités, je voulais boucler 2006 par un programme de rattrapage pour amateur de salles obscures si possible cohérent. Le retard était considérable. Dans une démarche très Ségolénoforme, Télérama et Le Monde en main, j’exigeais qu’on me dise ce qui méritait le déplacement pour sentir monter en moi, dès lors irrépressible, l’envie de le voir .... Bon, je n’ai pas tout vu de la liste arrêtée, mais quand même ce qui suit (avec essai de jugement lapidaire ... ):
Cœurs (Alain Resnais) : Grosse déception. De très bons acteurs, une succession de saynètes réussies, la délicieuse Laura Morante, Sabine Azéma en bigotte foldingue (de son corps), on est content individuellement de les (re)voir (Arditti, Dussolier), mais tout ça ne fait pas un film, outre quelques fausses idées de mise en scène qui frôlent (où tombent dans) le ridicule: quand il neige dans l’appartement .... Peu de choses crédibles là-dedans et quelle idée cette coiffure d’Azéma! D’autant qu’elle semble la garder à la ville, elle était telle quelle à l’enterrement de Noiret, à moins qu’elle n’ait confondu ça avec un film ...
Prête-moi ta main ( Eric Lartigau) : C’est un très bon moment de cinéma. Je n’aime pas en général Charlotte Gainsbourg mais elle s’en sort bien et on rit beaucoup des déboires d’Alain Chabat, excellent. Le film est peuplé de femmes castratrices et d’hommes qui n’ont pas su résister. On ne regrette pas la séance. Réjouissant.
Babel ( Alejandro Gonzalez Iñarritu) : Un très bon film. Illustration peut-être un peu appliquée et improbable de la “Théorie du papillon” (... ou de l’Effet-Dominos), où l’on voit l’inconscience d’une gaminerie se déployer dramatiquement en tragédies privées planétaires et en incident diplomatique, mais une illustration attachante. Les acteurs sont tous excellents et on ne s’ennuie pas un instant. En termes d’impact cinématographico-psychologique sur le spectateur, un peu en retrait quand même du précédent film d’Iñarritu, 21 grammes (avec Sean Penn).
Casino Royale (Martin Campbell) : La critique a raison. C’est un James Bond formidablement revivifié. La course poursuite d’introduction est certes invraisemblable, mais avec une débauche physique d’énergie qui cloue au fauteuil. Le scénario est maîtrisé de bout en bout, qui laisse penser qu’on en a terminé alors que le film va rebondir pour un dernier quart-temps spectaculaire, et, s’il se maintient malgré tout dans les stéréotypes du genre, il permet néanmoins aux acteurs quelques numéros amusants (Daniel Graig, qui parvenait à se faire remarquer dans le tiède Munich de Spielberg, est une très bonne idée de casting après le fadasse Pierce Brosnan). L’Aston-Martin, même sous-employée, reste une voiture fascinante. Fucking film!
Les infiltrés (Martin Scorsese) : Ce n’est pas le quasi chef-d’œuvre annoncé. Les acteurs sont bons, y compris Nicholson dans son numéro de cabotinage et d’autodérision, mais la lisibilité des événements n’est pas complète et ce remake d’Infernal Affairs (Alan Mak et Andrew Lau) n’a pas la force étonnante du polar de Hong-Kong qu’il “américanise”. Le spectacle reste de qualité, mais avec une pointe nette de déception.
Black Book (Paul Verhoeven) : C’est la meilleure surprise et le meilleur film du lot, malgré les réserves de Télérama. Après avoir oté sa culotte à Sharon Stone dans Basic Instinct (la scène, dont l’érotisme ne m’avait en rien semblé évident, avait fait jaser), Verhoeven récidive avec la délicieuse Carice Van Houten, mais cette fois dans un contexte qui n’est en rien sulfureux et qui témoigne plutôt de l’étonnante vitalité du film. Tout est formidable de bout en bout et on se régale d’une extraordinaire aventure plus romanesque que romantique (une pointe quand même, mais sans aucune mièvrerie), pleine de suspense, d’action et de rebondissements. Plus que recommandé!
The Host (Bong Joon-ho) : J’avais adoré il y a deux ans, du même, Memories of Murder et, à cette aune là - outre que j’ai peu de goût pour le fantastique - j’ai été déçu. Mais cette saga d’une famille de bras cassés à la poursuite d’un monstre fluvial accumule tant de situations qui mélangent le burlesque et la farce à l’émotion, dans une parodie débridée de film de genre dont ne sont pas absentes des notations psychologiques réellement touchantes, qu’on ne peut pas lui tourner le dos. Étonnant . Un seul conseil: à juger par soi-même. Les acteurs, dans des spécificités de jeu coréennes auxquelles nous ne sommes pas habitués, sont excellents.
Lady Chatterley (Pascale Ferran) : Celui-là, vraiment, devait être vu avec épouse. Avis contrastés et, à ma grande surprise, les réserves ont été du côté où on ne les attendait pas! J’ai été, moi, plutôt pour!... même sans partager l’enthousiasme de la critique. Ce n’est pas l’hymne à la liberté et à la sensualité qu’on nous promettait (Télérama sous-titrait L’appel de la forêt ... d’ailleurs dans un complet contresens marquant sans doute que le signataire n’ a jamais lu le roman de Jack London); l’éveil de la nature y est stéréotypé dans des paysages de carte postale; quoi qu’il en soit de ses frustrations victoriennes, je doute qu’on frôle la syncope au spectacle d’un solide gaillard procédant, pour se réveiller, à quelques ablutions rapides du buste, ledit gaillard, d’abord garde-chasse mutique, devenant invraisemblablement (dans les dernières scènes) un prolixe de l’auto-analyse etc. On peut multiplier les réserves. Mais néanmoins... j’ai été tout à fait convaincu et séduit par le jeu étonné de Marina Hands, par sa passivité sexuelle bienveillante et interrogative, par la fraîcheur timide de ses attentes plus maternantes qu’affamées, par l’obstination têtue de sa quête de partage, beaucoup plus m’a-t-il semblé que de plaisir... C’est pour elle et pour elle seulement qu’on peut aller voir ça, mais alors me semble-t-il, sans avoir à le regretter. Quant à D.H. Lawrence, je crois confusément qu’on en est très loin. Il faudrait relire le roman .... Si je trouve le temps ....
Et un peu d’autre chose ......
Par fidélité, parce que depuis Le Monde selon Garp et L’Hôtel Newhampshire, je ne parviens pas à abandonner à son triste sort John Irving, je me suis imposé d’acheter et de lire Je te retrouverai (Until I find you) , son dernier (et je l’espère ultime!) pavé. Misère! Quel affreux pensum!
Je suis passé l’autre jour à la librairie Compagnie, rue des Écoles, pour prendre Le sexe et l'effroi de Quignard, que je veux regarder un peu sur un autre thème. J'en ai profité pour poser quelques questions sur la vente de l’Irving. Ça marche paraît-il bien, "comme d'habitude". Sidérant! Ils ont fait comme moi, allant sur la vitesse acquise! Je voudrais bien savoir, parmi ces acheteurs, quel est le pourcentage réel de ceux qui, comme je viens d'en accomplir l'exploit, ont commencé, continué et terminé l’affaire sans en sauter un mot. Combien de héros? Allez.... je parie pour moins de 5%.
Ce bouquin est un cauchemar! De qui se moque-t-on ? Car, sauf Le masque et la plume qui l’a à juste titre descendu, la critique n’est pas si mauvaise, bonne même quelquefois! Irving a fait comme d'habitude beaucoup de compilation, peut-être de nombreux voyages et moult relevés de terrain (à moins qu'il n'ait lu beaucoup de guides ...), il a établi un annuaire sans doute presqu'exhaustif des tatoueurs de quelque renommée (on tatoue beaucoup dans le livre) , etc. ... mais il ne sait plus rien faire d'autre et en tout cas plus un roman.
Il s'accroche à ses tics de rédaction et à des méthodes qui lui ont réussi, mais qui ne reposent sur rien, qui sentent le mauvais étudiant de ses prores ateliers d'écriture. On prend un truc, une expression supposée “faire sens” (ici: Pas devant Jack, par exemple), et on resuce à satiété. Il adore l'ante-projection (Il saurait plus tard que, Il apprendra que....) mais ça ne fonctionne plus. Les personnages sont dépourvus d'épaisseur psychologique, leurs motivations sont inexistantes ou ineptes et tous les caractères sont mythifiés, réduits à des comportements mécaniques dont la répétition est censée par ailleurs créer le rire par le retour de l'attendu. On a droit aux palmarès divers et variés des Oscars et autres spécificités cinématographiques, Jack Burns (le héros, son soi-disant double) nous offre le privilège d'un urinoir voisin de celui d'Arnold Schwartzenegger, etc., etc., non, c'est pitoyable.
Et de la sexualité totalement immature qui inonde obsessionnellement les pérégrinations de ce pauvre Burns (et l'imaginaire d'Irving? Pas terrible!) émerge cette impérissable trouvaille romanesque de la chère Emma (amie d’enfance du héros) qui partage régulièrement et “chastement” son lit, mais “dort en lui tenant le sexe” ! Comment faire pire? Voilà désormais le challenge qui s'offre à lui s'il insiste dans cette voie.
D'ailleurs pourquoi ce choix patronymique pour (paraît-il ... crypto-autobiographie oblige) s’auto-désigner: Burns? Oui, pourquoi Burns? Parce qu'il est “brulé” de l'intérieur (ou soi-disant tel) par l'absence du père (grand thème traité... Traité?)? Marrant d'ailleurs de rapprocher ça de l'argot français et donc de nos nationales "burnes" (à une lettre près... on y est!) qu'il a peut-être plus développées que son “petit” sexe (c’est lui qui le dit)... À l'appui de cette hypothèse, on notera, pour parler comme Bernard Tapie, que quand il démolit un gros McSwiney qui ne lui revient pas, le Jack Burns en question se montre effectivement “sévèrement burné”.
Bref, profondément navrant. Après Agésilas, hélas! Mais après Attila, holà! . Qu'allons-nous dire ici? Beaucoup plus platement, ne luttons pas avec Boileau jugeant Corneille vieillissant, qu'à rebours sûrement du titre, on ne retrouve rien de l'Irving qu'on aimait et qu'il serait temps sans doute, pour lui, d'arrêter. Quel pénible naufrage!
Un signe amical pour finir à un commentateur qui me conseillait une “BD pédagogique”, en l’occurrence Jours de classe , par Big Ben (Ed. Le potager Moderne. 15€ - J'ai trouvé ça en librairie spécialisée, à l’angle du Bvd Saint-Germain et de la rue St Jacques, après un échec dans une boutique de la rue Monsieur le Prince). À quelques planches près dans le premier tiers, qui m’ont moins plu, c’est effectivement plutôt attachant, attendrissant même car le collègue-auteur, qui raconte son année scolaire 2005-2006 en collège, aime visiblement son métier et ses élèves, dans une observation pleine de justesse des incertitudes tant de l’enseignement que des enseignants d’aujourd’hui. Un peu trop gentil, sans doute, mais on ne peut pas être tous les jours le mors aux dents. Les professeurs souriront, les autres peuvent aller prendre quelques informations.