Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
7 novembre 2006

Bavardages didactiques : l’impossible, l’absurde et le hasard …

L’enseignement des probas-stats (Probabilités et Statistiques) à un niveau élémentaire ouvre des possibilités d’échange et de réflexion qui ne laissent pas d’être intéressantes. C’est ainsi que des notions comme celles d’impossibilité ou d’absurdité y trouvent des occasions de s’y discuter et d’y acquérir de nouvelles couleurs.
On peut faire dès le collège des raisonnements « par l’absurde ». Démontrer par exemple que la racine carrée de 2 (le nombre positif dont le carré, c’est-à-dire le produit par lui-même, est égal à 2 ; notation √2) ne peut pas être un nombre rationnel (qui peut s’écrire comme fraction p/q, avec p et q deux entiers, toutes simplifications faites, sans facteur commun (sans diviseur commun)).
Si c’était le cas, on pourrait écrire : (p/q)2=2 soit p2/q2=2 soit p2=2
xq2
2 serait donc un diviseur de p2=p
xp, et apparaîtrait alors nécessairement comme déjà diviseur de p; on pourrait écrire p =2xp’
On écrirait donc : p2=(2
xp’)2=4xp’2=2xq2 et en simplifiant par 2 : 2xp’2=q2 ce qui cette fois fait apparaître 2 comme un diviseur de q2 et donc nécessairement de q.
Finalement, 2 serait à la fois diviseur de p et de q … dont on a affirmé qu’ils n’avaient pas de diviseur commun.
Voilà un résultat absurde ! Or nous croyons à la logique ! Et à la rectitude de notre raisonnement ! Donc, que nous reste-t-il comme seule issue ? Ceci : notre hypothèse de départ était fausse !
Quelle était-elle ? Que la racine carrée de 2 est un nombre rationnel.
Sa négation, puisque cette hypothèse est incorrecte et que nous sommes dans une logique bivalente (deux valeurs seulement: une affirmation y est ou vraie, ou fausse), sa négation donc est vraie : √2 n’est pas un nombre rationnel.
Voilà un raisonnement dit «par l’absurde» :
On pose une hypothèse H. On déroule un raisonnement respectant les règles de la logique. On aboutit à une conclusion «absurde». On en déduit que l’hypothèse H est fausse, ce qui démontre ou valide non-H.

Digression : la rigueur mathématique ne devrait pas avoir grand chose de commun avec les choses de la foi. Et pourtant….
Pour nombre d’élèves de troisième, le raisonnement ci-dessus, présenté par l’enseignant, obtient un acquiescement fondé plus sur la révérence au principe d’autorité que sur l’adhésion à la démarche démonstrative. En quelque sorte, c’est par un acte de foi (en le maître) qu’on fait sien le résultat en n’en comprenant pas le principe fondateur. Mieux: paradoxalement, les énonciations précédentes apparaissant souvent dépourvues de sens aux esprits incertains des élèves, c’est le caractère même de leur inaccessibilité qui, joint à l’apparente évidence qu’elles prennent aux yeux du professeur et dans sa bouche, fonde la nécessité de les accepter. Incompréhensibles, elles deviennent au sens propre indiscutables. En quelque sorte, l’élève rejoint Saint Augustin : Credo quia absurdum (je crois parce que c’est absurde). Ce qui connote plaisamment l’observance d’un raisonnement qui justement nie cette position.

Incidente : Saint-Augustin (354-430) pourrait (les spécialistes se déchirent…) avoir détourné une phrase de Tertullien ((vers) 155 – (vers) 220) : Certum est, quia impossibile (c’est certain puisque c’est impossible) ou encore Credibile est, quia ineptum est (on peut le croire, puisque c’est dépourvu de sens). Je n’ai pas la compétence pour trancher…

Mais revenons à nos moutons. L’impossible n’est pas l’absurde. L’impossible c’est, essentiellement, ce qui ne saurait être réalisé. L’absurde, c’est ce qui heurte la logique, ou le sens commun. Caresser un chien enragé n’a rien d’impossible. Avouez que c’est absurde ! Ou entrer dans la cage du lion ! Rester fidèle à sa femme toute sa vie est impossible. Ce n’est toutefois pas absurde… Bon, là, on a le droit de permuter (Rester fidèle à sa femme toute sa vie est absurde. Ce n’est toutefois pas impossible…)… Passons.

Dans les raisonnements probabilistes, les deux notions peuvent converger, et cela pour une raison simple : l’impossible y devient relatif. On retrouve le cas de figure dans les stratégies de décision : on admettra clairement qu’il est absurde de vouloir tenter l’impossible. Après quoi on le tente quand même… parce que ce n’était qu’un impossible relatif. Et parfois on le réussit. On avait confondu «impossible» avec «jamais réalisé». «Ton bras est invaincu, mais non pas invincible!». Combien d’exploits sportifs sur ce modèle ? Combien de paris stupides aussi, d’ailleurs …

J’évoquais l’autre jour les sondages (cf. Vulgarisation Electorale). On y accepte une prise de risque (à 5% ou à 1% …), ce qui est une façon (en croisant les doigts) de décréter «impossible» un événement dont la probabilité d’occurrence est inférieure à tel seuil retenu (5% ou 1% …). Dans cette «logique» - qui n’est pas celle des mathématiques - , on considèrera comme «absurde», la survenue d’un événement qu’on avait déclaré «impossible». Et de là, on transfèrera en probas-stats le raisonnement «par l’absurde» du mathématicien, pour construire des tests de conformité (ou de non-conformité) d’une succession d’événements à une loi, tests dont il faut à la fois comprendre la relative fragilité conceptuelle et admirer la redoutable efficacité opérationnelle. J’y reviendrai bientôt dans une autre chronique…

Mais pour celle-ci, contentons-nous d’une autre particularité «probabiliste» qui nous resservira: c’est très essentiellement par référence à ce qu’on peut abusivement considérer comme une modélisation (une mathématisation) du hasard que l’on raisonne. Au départ, le problème posé par les variations d’un phénomène qu’on suppose non aléatoire quand on compare ses occurrences à celles que promet la loi dont on croit qu’elle le régit est le suivant : ces variations sont-elles dues au hasard, c’est à dire sont-elles acceptables sans remise en cause de la loi du phénomène parce que tout processus réel est victime nécessaire de petits écarts dans sa réalisation renvoyant à des modifications impondérables du contexte ? Si oui, on ne «touche» à rien. Si non, la soi-disant loi du phénomène est à revoir.

Mais comment «mesurer» la part de «hasard» dans les petits écarts constatés, et s’ils lui sont entièrement dus ? D’où cette idée et ce vocabulaire très excessifs de «loi(s) du hasard», cet oxymore (rapprochement de deux termes contradictoires) peut-on dire.

Les caractéristiques mesurables des situations naturelles observées réalisent toutes le même type de situation. Elles ont toutes une moyenne (à l’aide des indications portées sur les cartes d’identité, vous disposez exhaustivement de la taille de tous les français; vous pouvez en faire la moyenne : somme de toutes les tailles et division par le nombre d’individus). Mais évidemment, sauf quelques individus qui ont exactement la taille «moyenne», il y a pour presque tout le monde «écart». On introduit alors la «moyenne des carrés des écarts à la moyenne», qu’on appelle la «variance».

Si la moyenne est M et si votre taille est T, «votre» écart à la moyenne est (T-M) et son carré est donc (T-M)2. La variance s’obtient en prenant la moyenne de tous les (T-M)2, soit leur somme divisée par leur nombre total.
Exemple : la série de 10 mesures {0,8 ; 1,15 ; 1,3 ; 1,45 ; 1,55 ; 1,6 ; 1,75 ; 1,85 ; 1,95 ; 2,05} a pour moyenne 1,545 et pour variance 0,133725.
On utilise plutôt la racine carrée de la variance, qu’on appelle «écart-type», pour obtenir une quantité de même «dimension» que la quantité mesurée : si on travaille sur des tailles en mètres, la variance est en «mètres carrés», ce qui n’a pas grand «sens», alors que l’écart-type est de nouveau en mètres.
Dans l’exemple produit, l’écart-type vaut (notons-le S) : S=0,365684…
Ces deux paramètres, la moyenne M et l’écart-type S sont essentiels.

Si on imagine le graphique possible suivant : un axe horizontal gradué, centré au point de graduation M, avec de part et d’autre, tous les demi-centimètres, une graduation. Pour chaque graduation, on reporte au dessus de l’axe un bâtonnet dont la longueur représente (il faut convenir d’une échelle) le nombre de français dont la taille est égale à cette graduation ou supérieure de moins d’un demi-centimètre. Sont ainsi regroupés à M tous les individus mesurant au moins M mètres sans atteindre (M+0,005) mètres ; à la graduation (M + 0,2), on regroupe tous ceux dont la taille est au moins égale à (M+0,2) mètres sans atteindre (M+0,205) mètres. Etc.
L’ensemble des bâtonnets dessine assez bien une sorte de barrière, de portail, en forme de chapeau de gendarme, en forme de montagne symétrique dont le sommet correspond à la graduation M. En tout cas c’est la situation qu’on attend, celle qu’on a le plus souvent constatée dans des mesures de caractères portant sur des populations très nombreuses, celle qu’on trouve «Normale». Et on dispose d’une loi, dite pour cela même, mais un peu maladroitement «Loi Normale», et mieux nommée «Loi de Gauss» (du nom de Karl Friedrich Gauss – 1777/1855), qui fournit, en fonction de deux paramètres pour lesquels on retient les noms (et les valeurs) de M et S, avec x en «graduation» et y en «longueur de bâtonnet», une courbe dessinant précisément cette forme de chapeau de gendarme (ou de montagne symétrique).
La loi de Gauss est en quelque sorte la loi de la répartition «au hasard» (au hasard des micro-circonstances individuelles et particulières) des tailles des individus d’une population très nombreuse de moyenne M et d’écart-type S. On sait, cette loi étant connue, calculer le pourcentage de mesures correspondant à une zone donnée. On en trouve par exemple environ 68% entre M-S et M+S. Cela veut dire que si l’on tire au sort un individu dans la population, on peut affirmer qu’il a environ deux chances sur trois de mesurer entre (M-S) mètres et (M+S) mètres. Ou que si l’on en tire au sort une trentaine, on peut raisonnablement prédire que vingt d’entre eux mesureront entre (M-S) et (M+S) mètres. Etc. La loi de Gauss nous donne une sorte de maîtrise (et/ou de modèle) du Hasard.

Et alors ? …

A suivre….

Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité