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AutreMonde
22 juin 2022

JEROME BARDINI

La rencontre

Etonnante aventure que cette (re)lecture de Jérome Bardini. Le souvenir de la première fois ne m'est que très lentement revenu. J'ai même cru, après le premier des trois chapitres, que j'en avais terminé et qu'il ne s'agissait là que de la première de trois nouvelles indépendantes dont les deux suivantes se nommaient Stéphy et The Kid. Et puis ...

J'ai lu, lycéen des classes terminales, La Guerre de Troie n'aura pas lieu et ce fut une formidable adhésion à tout ce que j'y trouvais d'humanisme et de scepticisme distancié. Ensuite, je n'ai pas outre mesure fréquenté Giraudoux: Siegfried et Le Limousin, L'Appollon de Bellac, Bella, La folle de Chaillot, vue au théâtre, il y a quelques décennies, avec Edwige Feuillère, oui, Amphytrion 38, très bien Amphytrion 38, mais sans véritable engouement ni passion. L'Ulysse de La Guerre de Troie restait, lui, très présent, et avec lui, une sorte de tendresse  pour l'intelligence un peu facétieuse et sophistiquée, toute de grâce, de l'auteur. D'un long article ou d'une courte biographie (?), j'avais retenu, délicieux détail, que Giraudoux, diplomate, s'était inventé un chien imaginaire, un labrador je crois, dont il était souvent accompagné et dont il faisait état lors même de ses contacts les plus officiels, prévenant ses interlocuteurs de cette invisible présence canine et leur demandant de ne pas s'en inquiéter car il garantissait son absolue discrétion. Je ne parviens pas à retrouver la trace de cette source. Il y a bien un chien imaginaire, Dicky, dans La Folle de Chaillot, mais je suis certain de ne pas faire l'amalgame et que mon anecdote est indépendante. Cette fantaisie m'enchantait.

Et donc, Jérome Bardini, que j'avais lu, oublié et aujourd'hui relu. Je l'ai dit, étonnant. Et surtout sibyllin. Bardini est marié à une femme qui l'aime et dont la beauté chaque jour renouvelée le touche, mais rien ne va, rien ne lui va et sa vie ne nous semble, absurdement, qu'être le long épuisement d'une inutilité qui se regarde. Giraudoux tourne autour, n'explique pas, n'explique rien, décrit un Bardini fatigué de lui-même et qui dans le projet muri de s'éloigner de sa vie pense trouver  la possibilité de se renouveler. Peut-on dire ce qui le concerne? Il ne sait pas, il ne sait rien, que  ces sons creux que tout lui renvoie. Alors il doit partir, mais ce n'est pas un glorieux, le départ n'est pas flamboyant, c'est un départ la mine basse, un faux départ d'ailleurs, bien préparé mais médiocrement exécuté, qui le ramène incertain sur ses pas, à ceci près que dans sa courte absence, l'épouse aimante, soumise à tout, d'avoir été abandonnée refuse la réapparition et qu'il ne reste alors à Bardini qu'à repartir. S'agit-il bien de ça? Je n'en sais au fond rien, c'est seulement ce qui me demeure du premier chapitre et que j'ai cru, tout au long duquel j'ai avancé sans totalement adhérer, moyennement intéressé, curieux et inattentif.

Stéphy ensuite, aux contours encore plus sibyllins, jeune fille et sans doute schizophrène, là et ailleurs, surtout ailleurs dont elle attend tout, mais d'une schizophrénie consciente, installée dans deux réalités parallèles dont la seconde, désirée, n'est que l'attente éperdue du partenaire idéalisé que bâtissent en creux les caractéristiques pittoresques ou insuffisantes ou trop convenues des familiers de la première, gens aimables et musiciens, ne se nourrissant que de Schubert et de Mozart, un partenaire idéalisé qui va prendre corps sur un banc de Central Park pour se révéler, de perfection muette en perfection inattendue, dans un lent processus de réincarnation, d'épaississement et de réintégration d'une réalité où il n'était pas souhaité, être ce pâle Bardini qui nous avait si lamentablement quittés au chapitre précédent et qui va, redevenu réel après avoir été par Stéphy divinisé, pour cela même qu'il ne parvient pas à se réadapter, se retrouver par elle abandonné.

Et puis l'enfant, The Kid, figure non moins mystérieuse que croise aux chutes du Niagara un Bardini toujours pérégrinant, un enfant sans passé, sans attaches, sans pensée, l'enfant comme une pureté, comme la promesse de la possibilité d'autre chose, de cela même que Bardini aurait voulu être, a voulu être mais trop tard, allégé de tout, rendu au monde sans en rien subir, sans y adhérer, sans contrainte ni obligation, sans rien prendre et sans rien donner, étant  dans la seule plénitude d'être, en communion avec tout ce qui est, mais sans implication. Cela ne pouvait pas durer. Bardini rentrera dans le rang, et aussi l'enfant. Le monde redeviendra compréhensible, inutile et fade.

Il y a une poésie et un grand pessimisme dans ce petit livre. Giraudoux soliloque, sans peut-être chercher à être compris, lourd d'une fatigue énigmatique que traversent des réflexions souvent profondes qu'il allège d'un humour où surgissent la pirouette et les allusions du khâgneux,  le tout parfois difficile à suivre. Au terme ainsi d'un monologue sur le génie : Lorsqu'on voit Delavigne, les Messéniennes sous le bras droit, Marino Faliero sous le bras gauche, empêché par ces deux livres même de feuilleter les autres livres dans les boîtes des bouquinistes, passer lentement sur le quai salué par un peuple admirateur, - qui soudain se précipite car les Messéniennes sont tombées dans la rue, le poète ayant tendu la main à Barbier, l'autre génie préféré de Fontranges, - et que Barbier tout à coup dresse la tête et suit ardemment du regard le comte de Bonneuil sur son alezan, car il vient de concevoir le Corse aux cheveux plats, les paroles de Jérome sur le génie semblent légères.

Qui aujourd'hui connaît Casimir Delavigne (1793-1843), poète et dramaturge, ses Messéniennes à la gloire des vaincus de Waterloo, sa tragédie en cinq actes Marino Faliero, ou Auguste Barbier (1805-1882) qui chantait dans son poème L'idole:

Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle
Au grand soleil de messidor !
C'était une cavale indomptable et rebelle,
Sans frein d'acier ni rênes d'or ;
Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois,
Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique,
Libre pour la première fois.  (Etc.)

Pour le Comte de Bonneuil, mon inculture et ma maladresse ont passé la main, je n'ai pas réussi à démêler l'affaire, même s'il s'agit semble-t-il, pour des raisons de dates, de Félix-René de Chabenat, comte de Bonneuil (1804-1884). Simple allusion gratuite? Rapport avec Barbier?

Etrange Giraudoux, brillant enfant de Bellac (87300), brillant élève de la rue d'Ulm, germano-phone et -phile passionné, essuyant d'absurdes échecs à l'agrégation d'allemand, diplomate aimé pourtant des dieux et de quelques femmes et à qui, sans logique forte,  je maintiens depuis La Guerre de Troie, comme un attendrissement.

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Commentaires
D
J'ai eu le grand plaisir de voir "La Guerre de Troie" il n'y a pas très longtemps, chez nous, à Grenoble, avec une solide distribution d'amateurs qui avaient au moins le mérite de s'atteler à représenter cette oeuvre. Oui, la pièce m'a bien plu, avec ses réflexions subtiles sur les passions des hommes et des femmes...<br /> <br /> Dramatiquement, c'est loin d'être Shakespeare, mais... c'est intéressant.<br /> <br /> Pour Jérome Bardini, son parcours, son acte compréhensible mais insensé, qui rime avec inconséquence, serait-ce l'acte d'un homme pris dans la civilisation au stade... terminal, le stade qui réduit l'Homme (de plus en plus) à un automate interchangeable avec tous les autres... automates qui l'entourent, tout en lui enlevant petit à petit les champs où il peut goûter à l'aventure ? <br /> <br /> Reste à souhaiter que c'est bien écrit...le style, c'est l'homme. <br /> <br /> Merci pour le compte rendu.
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