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AutreMonde
13 novembre 2008

Le Monde de l’Éducation

J’ignore s’il y a eu du Rififi au Monde de l’Éducation.

Je ne l’achète pas assez régulièrement pour ne pas manquer de temps en temps des chapitres, mais enfin, le numéro de cet été (Juillet-Août 2008 – n°371) abritait sa rédaction et la suite sous la férule de Brigitte Perucca (Rédactrice en chef), flanquée de Marc Dupuis (Rédacteur en chef adjoint), quand celui de Novembre (n° 374) ne revendique plus en tête de gondole et re-titré « Responsable éditorial » que le seul Marc Dupuis.

Exit Brigitte Perucca.

Comme disait Hugo en se grattant la tête (Les pauvres gens) : Diable, diable !

Bon. On a le droit aussi de changer d’activité. Mais enfin, ma curiosité s’interroge…

Je m’étais offert le numéro 371 parce qu’il m’annonçait, dispensées par des maîtres glorieux, dix-huit « leçons pour penser et apprendre le monde », et le numéro 374 pour me passer les nerfs sur Françoise Dolto. Dans les deux cas, peu d’efficacité.

L’été d’abord, fût-il passé.

N° 371 - …

On m’y a offert quelques pensées de Pascal, façon classe de première.

Jean-Pierre Luminet m’a ensuite informé de ce que : « …l’univers n’est pas infini, mais fini sans bord. Si vous prenez une fusée et que vous filez droit devant vous, un jour, après des milliards d’années, vous vous retrouverez à votre point de départ, dans quelque direction que vous soyez parti ». L’ânerie logique est évidente. Dans quelques milliards d’années, je doute d’être en état de reconnaître quoi que ce soit, d’autant que le Soleil se sera éteint. Ah ! C’était façon de parler ? Bien, bien … Il en profite, JP Luminet, pour m’informer  aussi que c’est Edgar Allan Poe qui dans Eurêka, en 1848 « eut le premier l’intuition de la résolution de l’énigme scientifique du noir de la nuit ». Renseignements pris, il semble que Mark Twain de son côté ait eu une égale intuition.

Fort vieille histoire, effectivement…

Connue sous le nom de « Paradoxe d’Olbers » et formalisée par celui-ci en 1826, mais en réalité introduite depuis la fin du XVI° siècle et l’ouverture de la révolution copernicienne à l’hypothèse d’un univers infini que devraient illuminer, Soleil ou pas, une infinité d’étoiles : Pourquoi la nuit est-elle noire ?

En escamotant toutes les étapes, la réponse est de fait très récente (Edward Harrison – 1985). L’Univers, né avec le Big Bang,  est trop jeune (dix milliards d’années)  et nous ne pouvons donc recevoir de lueurs  que de celles des étoiles  à moins de dix milliards d’années-lumière de nous, le rayonnement émis par les autres ne nous étant pas encore parvenu. Il n’y en a pas assez dès lors qui pour nous « luisent » et puissent nous rendre  le ciel nocturne lumineux.

Théodore Monod survient, qui me donne des leçons d’humilité écologique en citant Mirabeau : « Les hommes sont comme les pommes : quand on les entasse, ils pourrissent ». La phrase pourrait resservir d’éclairage au malaise des cités …

Nicolas Hulot lui succède, qui en appelle à une éducation « écologique ». Il est suivi de près par Jared  Diamond  qui a mis en lumière dans son ouvrage Effondrement  comment les habitants de l’Île de Pâques ont disparu par sabordage : auto-destruction de leur environnement … et qui produit, à l’appui de ses thèses, des plaisanteries à la Compagnon. Je rappelle que dans ses réponses à la question soulevée du déclin de la culture française, Antoine Compagnon notait anecdotiquement (cf. son livre de dialogue avec Donald Morrison) que personne ne se serait intéressé à l’hypothétique disparition de la culture belge ! Et bien Diamond nous le refait version Berlusconi : « … pensez-vous qu’il y aurait des soldats américains en Irak si la principale exportation de ce pays était les brocolis ? ».

On a ensuite une pincée de Claude Levi-Strauss (né en 1908 et toujours bon pied, bon œil !) sur la diversité des cultures humaines  (un extrait de Race et Histoire – 1952) avec en prolongement une longue interview qui m’a semblé pleine de banalités (peut-être du cela-va-sans-dire-mais-mieux-en-le-disant ?)  de Françoise Héritier (elle lui a succédé au Collège de France) qui veut « relativiser le relativisme culturel ».

Un texte « amusant » » de Sigmund Freud sur l’illusion religieuse, dérivée du désir enfantin d’être protégé par un père tout-puissant, précède un entretien ma foi agréable avec Jean-Claude Carrière qui veut « être aux aguets du merveilleux », ce qui est sympathique quand on se rafraîchit comme lui de la naïveté charmante du grand consolamento des religions tout en soulignant  qu’elles sont « un dérèglement des sens, particulièrement du sens critique ».

Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote et universitaire éminent qui s’est fait une tête de notable du Second Empire (ou peut-être de la Troisième République), plaide pour un ancrage géopolitique de la réflexion avec un vrai bon sens pédagogique : « La géopolitique [doit être ouverte] à ces futurs citoyens que sont les jeunes. C’est en cela que le rôle des professeurs d’Histoire-Géographie est fort important, dans la mesure où ils peuvent montrer à leurs élèves comment on peut confronter les représentations antagonistes de tel ou tel conflit. Celles-ci passent [d’ailleurs] non seulement par l’Histoire, la Géographie, ou la Presse plus ou moins partisane, mais aussi par le cinéma et le roman. En cela, le rôle de leurs collègues philosophes et littéraires peut être novateur et précieux. »

Michel Lussault (Université de Tours) souligne que « nous sommes tous des urbains » et qu’il  « est temps d’apprendre aux jeunes la nouvelle condition urbaine »  (mais encore ? Pour qu’ils cessent de brûler des voitures ?) et Gérard Noiriel (Directeur d’études à l’EHESS) plaide pour un enseignement de l’histoire de l’immigration, soulignant à quel point « les préjugés envers les Italiens ou les Polonais dans l’entre-deux-guerres ne le cèdent en rien en violence  à ceux dont sont aujourd’hui victimes les populations issues de l’Afrique ». Son plaidoyer est convaincant.

Dans le topo qui suit , de Jacques Le Goff, sur l’identité européenne, à peu près tout est éclairant. Avec une adresse critique à Xavier Darcos : La constitution de la personnalité européenne passe avant tout par la connaissance de [ses] sédiments, de [ses] héritages, de [son] histoire. Aussi la réforme (…) proposée par le ministre de l’éducation nationale (…) me paraît-elle manquer un des objectifs fondamentaux de l’enseignement : celui de la transmission des processus historiques de constitution de la personnalité européenne. (…) Ce savoir, autant que celui du français et des mathématiques, doit être un axe fondamental de l’éducation aujourd’hui. On comprend … et je suis d’accord, mais sans occulter le reste de la planète. L’humanisme doit être très large, surtout s’il veut faciliter l’intégration. D’où viennent « les autres »?

J’ai quoi qu’il en soit été très intéressé et curieux d’apprendre l’existence (Editions De Boeck / 2007) d’un impressionnant manuel d’histoire de la littérature européenne (150 universitaires européens et 1000 pages !) sobrement intitulé : Lettres européennes. Essayer d’y aller voir, assurément …

On a droit ensuite à différentes choses inégalement enrichissantes, sur la philosophie à l’usage des petits (Derrida, Deleuze ; mouais …) ou sur ce qu’on appelait autrefois les pédagogies actives (un C.R. du livre de Luc Cédelle dont j’ai par ailleurs parlé ; deux très bons textes de Célestin Freinet ; une expérience alternative à Montpellier du type trop-beau-pour-être-vrai (il faudrait observer sur place)) ; suivent quelques vaticinations paradoxales de Michel Serres et un reportage sur un lycée pilote proche du Futuroscope de Poitiers (qui « prépare les futurs citoyens de l’ère numérique » …) dont je n’ai guère retenu que l’adresse internet de son site (http://www.lpi.ac-poitiers.fr). Y faire un saut ?

Un bilan somme toute un peu maussade, insuffisamment fidèle au programme annoncé : Leçons pour penser et apprendre le monde ….

C’est de l’effet d’annonce, ça. Et j’ai acheté le numéro.

À Dolto, maintenant.

N° 374 - …

Oui, enfin, c’est un titre. De fait, la stricte partie « Dolto » du numéro n’a rien de passionnant. Et puis les témoignages convergent. Il n’y a pas de « méthode Dolto », à tout le moins pas de méthode « transportable».

Son « à ma façon » ne semble pas avoir eu les potentialités pour devenir un « à la façon de ».

La démarche s’efface avec son concepteur.

Ce qui ne me déplaît pas.

Les approches pédagogiques gagnent à être observées (j’entends qu’on gagne à les observer, les analyser, les discuter, pour forger son propre outil),  pas à être imitées ; c’est la personnalité du maître qui fait la qualité de sa méthode. Idem probablement Dolto. Et puis Carlos, entre nous …

J’ai plutôt retenu, sous le titre étonnant de « Tueries en Finlande », un papier assez anti-finlandais d’Olivier Truc (« Notre envoyé spécial à Helsinki ») qui n’est pas loin (et tout à fait près subliminalement) de faire porter au système éducatif local, sous les succès flatteurs des enquêtes PISA, la responsabilité d’une jeunesse dépressive (« La société finlandaise est dure. On ne parle que de compétition » / On a longtemps entendu ça du Japon …). Peut-être. Il est certain, quoi qu’il en soit, que ce n’est pas par la compétition qu’on peut réaliser  l’éducation de tous dans l’excellence de chacun … J’avais pourtant déduit d’enquêtes précédentes qu’il y avait là-bas les prolégomènes d’une piste intéressante.

Sous le titre « La Fac forme, l’état recrute », Benoît Floc’h évoque la maquette des nouveaux concours de recrutement d’enseignants. Je trouve qu’on complique inutilement des choses simples et qu’on devrait en rester à ce principe à deux étapes : - [1] proposer, dans des filières spécifiques de l’enseignement supérieur, des mastères de haut niveau scientifique orientés soit vers la polyvalence (où se recruteront les professeurs référents d’un cursus-élève à revoir et d’abord dans le champ de la scolarité obligatoire), soit vers la spécialisation (pour la charge à venir d’enseignements strictement disciplinaires) - [2] pré-recruter, sur la base de ces mastères et pour un « Compagnonnage formatif», des aspirants-professeurs qui fonctionneront pendant (au moins) une année scolaire comme assistants permanents de titulaires chevronnés  dont ils assureront progressivement la co-responsabilité des charges.  La titularisation n’interviendra (sur dossier / entretien / micro-soutenance d’un mémoire) qu’au terme de ce  temps de compagnonnage. Les laissés-pour-compte pourraient se voir proposer une année d’aide à la reconversion.

La prétention à une pré-professionnalisation des concours est une ânerie. On n’accède aux dimensions de ce métier qu’en situation, sur le tas, un tas soigneusement encadré, guidé, soutenu.

Et ce compagnonnage serait une bonne façon d’introduire efficacement  d’indispensables pratiques de travail en équipe.

J’exécuterai d’un mot l’article sur Les enjeux de la nouvelle seconde, j’entends : ce dont il rend compte. Tout ça est à côté du problème et lamentablement frileux.

Sophie Blitman est allée regarder du côté des « télés éducatives » qu’elle dit « à l’assaut du net ». L’utilisation de vidéos en classe (sous réserve d’équipements !) peut se révéler un outil efficace, mais je déplore qu’on se jette sur le numérique sans se souvenir qu’on a raté les possibilités du télévisuel. Le vrai but devrait être  aujourd’hui ce qu’il était déjà – et qu’on a occulté - il y a trente ans : mettre en route une autre pédagogie en faisant prendre en charge les élèves par des équipes.

Dans les années 80, à la place qui était la mienne (Corps d’Inspection/ niveau régional), j’avais tenté de proposer au ministère une action globale d’échanges pédagogiques en direction du corps enseignant sur la base de séquences de classe filmées suivies de débats, action qui se serait appuyée sur les moyens (à redéfinir) des CRDP (Centres Régionaux de Documentation Pédagogique). Flop.

C’est pourtant à ce niveau, en permettant par ce biais aux enseignants de comparer puis de discuter leurs pratiques , que des prises de conscience – gelées dans les solidifications conservatrices qui avaient succédé au mouvement de mai 68 – auraient pu se faire jour. Car c’est le maître dans sa classe comme membre de l’équipe éducative de son établissement et co-responsable d’un projet pédagogique local à faire émerger qu’il fallait toucher et faire réfléchir.

Cette exigence demeure. Et j’ai le sentiment que ce  que décrit Sopie Blitman ne le prend pas en compte, croyant une fois de plus que les solutions peuvent être individuelles, par une aide-au-maître-avec-des-outils-de-préparation-de-son-cours, ou par des modules-informatisés-de-soutien-au- élèves. Et c’est une grossière erreur.

J’ai trouvé intéressantes les pages consacrées aux Etats-Unis : L’éducation, grande oubliée des priorités. Et oui, là-bas aussi …  Le thème y serait, paraît-il, kitchen-table issue (un sujet de table de cuisine, sans importance en somme). Dramatique. Mais nous ne faisons pas mieux. L’éducatif, chez nous, ça ne se met sous la dent que pour la grand-messe annuelle du baccalauréat ou quand les lycéens s’accordent quelques congés supplémentaires et bruyants dans la rue. Avant et après, on oublie. En 2001 pourtant, Georges W. s’est secoué et a fait voter la NCLB : No Child Left Behind (Aucun gamin décroché). Il y aurait depuis quelques progrès, mais seulement quelques … (réf. Hélène Harrer . Centre d’Histoire Américaine de Paris-I) et le constat dressé … par Barack Obama serait sévère. Mais enfin, comme chez nous, c’est un discours du vœu pieu qu’on trouve dans sa bouche : faire de l’enseignement scientifique une priorité nationale / lutter contre le taux d’échec au collège en incitant les districts scolaires à changer de stratégie / accroître les compétences des cadres de l’éducation/ … On connaît. C’est la suite qui compte et qu’on attend. L’Arlésienne

Deux pages d’Antoine Prost (Université : La loi Faure a 40 ans) viennent nous rappeler  le souvenir du seul grand ministre de l’Éducation Nationale que nous ayons eu, en tout cas sur la période de ma vie d’observateur-utilisateur, de mes classes de lycée à ma retraite. Il scintillait d’intelligence et de finesse et savait – au meilleur sens du terme, quoi qu’on lui ait plus souvent attribué le mauvais – sentir le vent. Il n’a pas et, c’est regrettable, survécu au référendum d’Avril 1969 avec démission du Général à la clé.

Nicolas Truong a interviewé Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet,  et Dominique Ottavi dont il commence par nous annoncer que dans Conditions de l’éducation (Stock – 2008), prétexte de l’entretien, ils « éclairent d’un jour nouveau la crise de l’autorité et des savoirs scolaires ». L’ennui, avec tous ces gens qui ne cessent de nous éclairer sur la crise, c’est qu’ils ne nous donnent aucune lumière sur les façons d’en sortir. Ce ne sont pas les analystes qui manquent. Ce sont les propositions ! Et l’entretien du jour le confirme !

Je note pour terminer que – tenant à me donner tort – Philippe Meirieu « propose dix renversements nécessaires pour (re)construire une école démocratique »  dans son dernier essai : Le devoir de résister / ESF éditeur. Bon, j’irai voir. Mais enfin je pratique régulièrement Meirieu en ses écrits.  Quoi qu’il en soit de ses qualités et d’une réflexion en général intéressante,  je le trouve propositionnellement souvent timide, ou timoré….

Bien. Pensum terminé.

Pourquoi m’imposer ces comptes-rendus ? Dieu seul sans doute et ma conscience, qui se garde bien de me le préciser, le savent.

Peut-être simplement pour, laissant une trace écrite, ne pas avoir « lu pour rien ».

Scripta manent (Les écrits restent - … faisant le pendant à Verba volent (Les paroles s’envolent)).

Seules valent les idées qu’on s’est donné la peine de mettre en forme.

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Commentaires
S
Vous manquez d'humour mais je ne polémiquerai pas sur les détails. Vous m'avez lu trop vite et je ne vois pas, à le reprendre, que mon texte justifie l'ire de vos mises au point ... <br /> Quoi qu'il en soit et eu égard à vos compétences, votre courroux m'honore comme m'étonne (me "questionne"?)que vous soyez parvenu jusqu'à mon billet. Réellement, flatté!<br /> J'ai sur mon bureau votre travail de vulgarisation dans la collection Points/Sciences au Seuil (Les Trous Noirs) qui porte en exergue: "Je dédie ce livre à tous ceux pour qui chaque réponse est une question".<br /> Je n'aurais pas pensé qu'un jour une réponse de votre part à l'un de mes propos ... me questionnerait.
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L
Merci pour "l'ânerie logique" que vous m'attribuez, monsieur Séjan, dans votre commentaire du N°371 du Monde de l'Education. il est certain que dans quelques milliards d’années de voyage intersidéral, vous ne serez plus en état de reconnaître quoi que ce soit, et c'était donc façon de parler. Pas la peine d'attendre tant de temps d'ailleurs pour corriger votre erreur lorsque vous annoncez, à propos de l'intuition d'Edgar Poe sur le paradoxe de la nuit noire,"Renseignements pris, il semble que Mark Twain de son côté ait eu une égale intuition."<br /> Prenez bien vos renseignements : Edgar Poe a publié le texte en question, Eurêka , en 1848. Mark Twai, lui, est né en 1835 ... je doute qu'il ait anticipé Poe à l'âge de 13 ans. Et tout homme de lettres un tant soit peu cultivé sait que Edgar Poe fut l'une de grandes influences de Mark Twain. <br /> Tant qu'à corriger les nombreuses erreurs que votre pédanterie vous fait commettre, sachez aussi que le paradoxe d'Olbers n'a nullement été formulé pour la première fois par celui-ci en 1826, il l'a été d'abord par Johann Kepler dans son Epitomé de l'Astronomie Copernicienne en 1617, puis par Halley, puis de Chéseaux, etc, etc.
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