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AutreMonde
15 octobre 2008

Un plaisir de Collège

C’est le titre du livre que Luc Cédelle, journaliste au Monde et ancien du Monde de l’éducation, vient de consacrer pour l’essentiel au Collège bordelais expérimental Clisthène, dont il dit lui-même que schématiquement, s’il fallait à tout prix résumer, on pourrait accepter de le voir comme un « Collège-Meirieu ».

Mais justement, il ne résume pas, va beaucoup plus loin, et s’attache à élargir à partir du cas étudié, une réflexion éducative sans doute engagée mais aussi équilibrée, informée et … inquiète.

Édité au Seuil. 22 euros.

J’allais au livre à reculons. L’expérimental ne m’emballe pas, définitivement persuadé que l’activisme des équipes y est tantôt le ferment d’affrontements conduisant à l’échec, tantôt le moteur caché d’une réussite attribuée à tort à la valeur des méthodes revendiquées. On n’échappe pas entièrement d’ailleurs, ici, à la seconde crainte, articulée explicitement en outre, et Luc Cédelle le souligne, sur l’effet positif du problème d’échelle : micro-collège (une petite centaine d’élèves) et micro-équipe pédagogique (une douzaine d’enseignants). Au point d’ailleurs qu’on est me semble-t-il fondé à se demander si avec de tels effectifs, n’importe quel groupe de scolarisation, élèves et profs mélangés, n’aurait pas évolué vers un remodelage « à sa main » aussi efficace des pratiques réputés « usuelles ».

Je ne crois pas beaucoup aux théories pédagogiques, une fois proclamée la liberté de l’enseignant dans sa classe et de l’équipe éducative dans son établissement. Et le fossé est toujours important qui sépare le discours de la pratique, comme se creuse profondément la faille du cours préparé au cours exécuté.

Enseigner, en action, donne des idées, et les meilleures qu’on croyait avoir eues à sa table de travail s’effacent souvent devant l’exigence de l’improvisation en classe.

Ici, Luc Cédelle enquête, présente, décrit, observe, témoigne … et réfléchit.

Voyons un peu cela.

Désagrément préliminaire, dès la couverture du livre, quelque chose saute aux yeux quand on a en mémoire fraîche l’affiche d’Entre les murs.

Dans un cas une jeune fille aux cheveux longs joliment défaits, aux quatorze ans épanouis, blue-jean et débardeur noir, rieuse, à côté d’un garçon en pâtre grec abondamment bouclé, lunettes de soleil, nonchalamment pensif, tous deux assis dans une attitude détendue, copies conformes des collégiens que j’ai connus naguère, Lycée Duruy, beaux quartiers parisiens, 7ème arrondissement. Ils sont tous les deux … blancs. Et on est à Clisthène.

Dans l’autre, un multiethnisme coloré et, sur quatre élèves cadrés, une africaine, une beurette, un africain, deux airs butés et des tenues au bon goût « caillera », silhouettes que j’ai pratiquées (supportées ?) en ZEP et Zone sensible, quartiers difficiles, côté Montrouge, Porte de Vanves, Paris 14°,  et Porte de Saint-Ouen, Paris 18°. On est ici au collège Dolto, dans le 19°.… 

Erreur iconographique ?

Sur la foi subjective d’un coup d’œil à l’image, soumettre ces deux vues et poser la question : Auquel des deux établissements selon vous se rapporte l’expression : « Un plaisir de collège » ?  Et du coup, les méthodes 

Oui, je le crois, erreur iconographique. C’est sans doute dommage. Passons outre.

On peine un peu à se faire une idée précise des structures de fonctionnement de l’établissement. Compliquées ? Non, mais quand même assez floues en première lecture, dans une présentation pleine d’empathie où l’on retient l’excellent principe d’un temps d’accueil semi-libre le matin, depuis l’arrivée au collège à 8h15 jusqu’au début des cours à 9h00, le sain principe général d’éducabilité de tout adolescent (mais ensuite, la pratique …), comme ceux, trop négligés, applicables à l’équipe enseignante :

- en matière d’autorité, le principe de la responsabilité collective et de la complémentarité éducative (il n’y a pas de tâches d’encadrement plus ou moins nobles)

- en matière de services, le principe d’une présence accrue et plus continue  allant très au-delà des séquences d’enseignement. Très ? En moyenne semble-t-il autour de 24 heures hebdomadaires. Je serais personnellement porté à préconiser d’aller encore plus loin, mais avec des locaux adaptés.

On nous parle rapidement de « Groupes de Tutorat » d’une douzaine d’élèves avec des temps de bilan hebdomadaires où se libère la parole, de différents rôles de responsabilité, pédagogiques ou éducatifs, de durées variables, confiés à des élèves dans la classe ou l’établissement, ritualisation multiforme d’une tentative évidente de motivation / remotivation de l’élève comme acteur de la vie collective. Sympathique et intéressant. Un peu brouillon à la lecture. Efficace ? Peut-être, avec au moins un regard renouvelé sur les rapports humains … mais au delà ? À repenser soudain qu’il n’y a dans ce collège qu’une classe par niveau, que quatre classes en tout, on s’interroge sur la nécessité réelle de ces jeux de rôles. C’est ce retour permanent à l’échelle qui va constamment perturber ma « vision » ….

Rien, dans les séquences de classe dont rend compte Luc Cédelle, ne me semble excéder ces bricolages pédagogiques auxquels nous ne cessons de nous livrer presque tous et qui reposent sur le désir de transmettre et de faire s’éveiller les intelligences. La mise en place de cours croisés (deux ou trois professeurs assurant en commun une même séquence d’enseignement et de découverte) comme de  semaines interdisciplinaires à thème, organisant une convergence des enseignements autour d’activités qui peuvent être scénarisées (découverte de l’appareil judiciaire et reconstitution d’un procès) sont assurément des perspectives plus aérées que le creusement de sillons parallèles au soc des charrues d’un enseignement magistral cloisonné. Mais j’y reviens, obsessionnellement, qui n’en aurait pas eu l’idée dans la convivialité d’un si petit groupe de scolarisation, avec les souplesses virtuelles dont le petit nombre est si immédiatement porteur ?

Que liste-t-on finalement ? Une succession de petites modifications dont on a le sentiment qu’elles sont presque partout possibles ou qu’elles le seraient, si les chefs d’établissement avaient une conception efficace de leur rôle et si les équipes éducatives se mettaient à s’apercevoir qu’elles peuvent exister, modifications prodigieusement facilitées par l’échelle d’application, ici.

Douze heures d’enseignement (effectif) et douze heures de présence complémentaire ? Une bonne idée, réalisable sans estampille expérimentale dans le cadre des textes actuels en jonglant avec la définition des activités et avec la bienveillance discrète des corps de contrôle.

L’annualisation, des tâches ? Une mesure de bon sens  autorisant de vraies souplesses et qui peut motiver des équipes, même « lambdas », si elle s’inscrit dans un vrai projet local, charpenté.

Des cours multidisciplinaires à deux ou trois enseignants ? Une excellente voie avec incitation très forte à l’attention soutenue et au travail encadré-partagé chez les élèves.

Le suivi, le guidage, le soutien, le dialogue, les situations pédagogiques constamment variées, du magistral à l’échange, de l’individuel au collectif, et toujours, absolument, fortement encadrées par une présence continue d’enseignants compétents et disponibles, comment ne pas comprendre  que c’est par là qu’il faut aller ?

On s’y essaie à Clisthène, « officiellement », dans le nécessaire tâtonnement d’un insuccès écarté mais d’un succès non garanti, avec ceci que c’est partout, toujours, sans cesse, et pas seulement là, la bataille du « travailler autrement » qu’il faut mener, et que c’est plus une affaire d’enthousiasme et de conviction que de textes et d’autorisations. Une simple directive du ministère appelant  les recteurs à une attitude de « bienveillance attentive » suffirait, tous textes maintenus, pour  aller pratiquement partout aussi loin qu’ici.   

Tout ce qui est dit peut être tenté partout, la participation des élèves aux conseils de classe, le dialogue approfondi, «impliquant », avec les familles, les tâches d’intérêt général, tout, dès lors qu’il y a un investissement vrai des personnels et un « management » inventif de l’ensemble. Et on retombe alors  sur ce problème-clé de la pusillanimité administrative des enseignants confortée par  l’incompétence frileuse des cadres. À Clisthène, cet étau se desserre un peu et c’est la raison d’un mieux-être et il s’agit alors moins de l’exemplarité des décisions éducatives constatées que de la prise de conscience des richesses potentielles de l’autonomie consentie dont tout établissement bien piloté qui s’en saisirait ferait lui aussi « ses » merveilles. 

Luc Cédelle analyse  de façon amusante et complète le champ des controverses où fleurissent les insultes croisées des « Pédagogistes »  et des « Républicains » (il préfère parler de pédagogues et d’anti-pédagogues), avec , je crois, dans l’ordre du douteux, la palme pour les  seconds. Le gros problème de ces écoles, et Luc  Cédelle ne le souligne pas assez, c’est, derrière des chefs  majoritairement intelligents, la médiocrité de leurs partisans les plus inconditionnels. Le niveau des attaques ad hominem « anti-pédagogos » ou « anti-pédagogols » pour utiliser le vocabulaire en cours qu’on trouve dans les commentaires du blog de Jean-Paul Brighelli est à cet égard assez sidérant. Comment faire avancer la pensée quand les arguments sont en partie portés, relayés, dans une passion aveugle, par des sots ? Difficile combat.

Alors, on se replie sur ses semblables et … on fait de « l’expérimental », c’est-à-dire, à mon sens, qu’on se condamne en même temps qu’on se voue à la satisfaction sans avenir global de son petit phalanstère, sur sa petite  île déserte.

Mais pour aller à l’essentiel, au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture de l’observation-témoignage de Luc Cédelle, on prend surtout conscience, me semble-t-il, à travers son compte-rendu « hors les classes », de la fragilité statutaire d’une expérimentation qui a toute sa sympathie, de l’extrême rigidité d’un système éducatif incapable de comprendre que l’enthousiasme de quelques-uns, l’apathie de beaucoup d’autres et les imprécations des plus ulcérés tenants de la pensée anti-68 ne sont que le signe clair que le système est à son terme, pédagogiquement exsangue et structurellement épuisé, dans le blocage indépassable de conceptions obsolètes dès lors qu’il faut inventer une  sortie « vers le haut », la conciliation de l’intégration de tous et de la préservation de l’excellence de chacun. L’affection dont il s’est pris pour cet établissement, pour ces élèves qu’il a côtoyés, elle nous touche. Mais au-delà ?

Je ne suis pas optimiste.

Il  y avait dans Le Monde du dernier week-end (numéro de Dimanche 12 - Lundi 13 Octobre), à propos de la crise bancaire, une longue interview d’Immanuel Wallenstein, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale intitulée : « Le capitalisme touche à sa fin ».

Entretien deux fois passionnant. D’abord pour ce qu’il dit, ensuite pour ce qu’on pourrait lui faire dire en remplaçant « crise financière » par « crise de l’école ».

La  situation, dit Wallenstein, devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu’alors et l’on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre tous les acteurs pour déterminer ce  qui va le remplacer.

Car même les « Républicains » en sont conscients, il s’agirait pour eux moins de revenir en arrière que de rééquilibrer au profit de leur sens des valeurs, une école de toute façon condamnée à s’adapter.

Certes, dit Wallenstein encore plus loin, le capitalisme [lire : l’école de Jules Ferry] est le système qui a su produire , de façon extraordinaire et remarquable, le plus de biens et de richesses [ajouter : intellectuelles]. Mais il faut aussi regarder la somme des pertes – pour  l’environnement, pour les sociétés [lire : pour les inadaptés, les laissés pour compte … et se souvenir : D’où l’explosion de 1968 contre ses rigidités] – qu’il a engendrées [engendrés]. Le seul bien, c’est celui qui permet d’obtenir pour le plus grand nombre une vie rationnelle et intelligente.

Et puis aussi : Les plus intelligents ont déjà compris qu’il fallait mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau. Mais de multiples acteurs agissent déjà, de façon désordonnée et inconsciente, pour faire  émerger de nouvelles solutions, sans que l’on sache encore quel système sortira de ces tâtonnements. Nous sommes dans une période assez rare, où la crise et l’impuissance des puissants [lire : des cadres du système] laissent une place au libre arbitre de chacun  [comprendre : à la prise de pouvoir de fait des équipes pédagogiques locales] : il existe aujourd’hui un laps de temps pendant lequel nous avons chacun [lire : elles ont chacune] la possibilité d’influencer l’avenir par notre action individuelle [lire : leur action locale]. Mais comme cet avenir sera la somme du nombre incalculable de ces actions, il est absolument impossible de prévoir quel modèle s’imposera finalement [compléter : sauf à parvenir à dégager une perspective d’ensemble souple en amont et à assurer la coordination en réseau des initiatives déconcentrées].

Nous en sommes là. Concernant le seul système éducatif, après le tremblement de 1968, nous avons laissé passer la chance de 1981, où les hésitations de l’encadrement ont été à leur extrême. Hélas, la gauche, impréparée, n’avait aucune vision juste de l’avenir pédagogique qu’elle pouvait ouvrir. Aujourd’hui, il faut sortir des itérations expérimentales « à la Clisthène », riches pour leurs seuls acteurs et sans espoir de généralisation. Le « système » les digère sans mal.

Il faut plaider sans fin pour imposer la nécessité d’un enseignement véritablement destiné à tous et dont se dégageront naturellement les indispensables élites en imaginant et gérant :

Une refonte complète  du métier d’enseignant

Une refonte complète des corps de contrôle et d’encadrement permettant l’impulsion-gestion des initiatives

Une fusion du primaire et du collège donnant un sens, sans solution de continuité, à  l’obligation de  scolarité jusqu’à 16 ans

Une remise à niveau complète des établissements autorisant la formation-suivi à temps plein des élèves

Un programme à mi-temps de formation socialisante ( … formation au dialogue, à l’ouverture au monde, à la tolérance, à la citoyenneté) assis sur des activités des classes d’âge dans leur hétérogénéité naturelle

Un maillage du champ possible des compétences, des connaissances et des savoir-faire  permettant, à mi-temps, par cumul d’unités de valeur et  par petits groupes de niveau homogène, que chacun y circule en accédant (à son rythme) à son niveau d’excellence.

Une autonomie complète, pédagogique et de gestion, des établissements dans la poursuite des objectifs associés à ces programmes, et ce dans le cadre d’une révision complète du  principe et des modalités de  leur management.

Et, à mon sens, ce n’est pas dans la valorisation, aussi sympathique soit-elle, d’expérimentations particulières que se trouvera la solution, mais bien dans la conception puis l’application d’ensemble d’un plan de reconstruction du système éducatif fidèle aux grandes lignes dessinées ci-dessus … avec, à la clé, du courage politique et s’il le faut, soyons Churchillien, de la sueur et des larmes (essayons d’éviter le sang) !

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Commentaires
S
Merci.<br /> Accord sur principe enseignant "tuteur" (j'ai dû dire ailleurs "Référent")<br /> Informations complémentaires qui peuvent vous intéresser dans le billet "Colloque au Collège" du 26/06 dernier ...
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L
je découvre ce blog et m'aperçois que je connais virtuellement son auteur. Comment ai-je pu passer à côté jusque là ? Vais devenir forcément un fidèle.<br /> <br /> Sinon, tout à fait d'accord avec cette proposition d'une seule école "primaire/collège",. J'y ajouterai un enseignant "tuteur" qui suivrait un groupe d'une dizaine d'élèves tout au long d leur scolarité.
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S
.... à la fois sans coup d'arrêt: pas de redoublement au sens usuel sur le mi-temps "de socialisation" commun à la classe d'âge(les U.V. du parcours d'excellence individuelle peuvent être redoublées tant que non acquises)<br /> .... et en faisant du {primaire + collège} une seule "école" (de la scolarité obligatoire") où disparait la césure CM2-6éme, actuelle "solution de continuité" des parcours (c'est à dire moment où la continuité du cursus est actuellement dissoute, connaît actuellement un saut brutal et dommageable dans l'environnement et les méthodes)
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C
Pourriez vous préciser ce que vous entendez par:" sans solution de continuité" dans: <br /> "Une fusion du primaire et du collège donnant un sens, sans solution de continuité, à l’obligation de scolarité jusqu’à 16 ans"<br /> Merci.<br /> G Cirla
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