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AutreMonde
23 août 2007

Les commencements .... Exercice de style.

(...) J’allais sur les quarante ans. On était en juillet et les salles du lycée Montaigne où les jurys de concours officiaient étaient un peu plus froides chaque jour, tandis que la pluie s’obstinait à tomber, gâchant les footings matinaux au jardin du Luxembourg. Les collègues achetaient des pulls, des imperméables et des chaussures d’hiver. Elle se plaignait du froid tous les matins, à la reprise des interrogations, tandis que notre trinôme - de hasard, nous enseignions au Nord, au Sud, à l’Ouest, deux hommes, une femme, elle, et nous nous découvrions là - récupérait et mettait en place ses documents de la journée, fiches d’interrogation, rapports à remplir, liste des candidats. On échangeait quelques plaisanteries convenues et ensommeillées pendant que nos premières victimes battaient la semelle à la porte, on se répartissait les interventions à venir, la routine maussade s’enclenchait. Elle se moquait un peu de mes chaussures vertes ..... (...) Il y a eu cette année là - le système n’a pas été reconduit - une session avancée du baccalauréat en février. On capitalisait les points au dessus de la moyenne et on pouvait , je crois m’en souvenir, les réinjecter en cas de pépin lors de la “vraie” session de juin. Toutes les occasions étant bonnes à prendre, le milieu lycéen bordelais en a profité pour organiser des “bals du bac” disséminés dans les petites boîtes à la mode en ville. Je crois que celui où ma sœur avait tenu à m’entraîner était rue Alsace-Lorraine. Nous y étions allés en bande avec deux ou trois copines à elle et autant de mes camarades de classe du lycée de Talence où je terminais mes études. Parmi ces derniers, une dernière, qui était à la fois arcachonnaise et flamboyante, et avait décidé à nous rejoindre, venant d’Arcachon, une sienne et très chère amie. Elles sont arrivées ensemble, un peu en retard, et aux côtés de ma brune copine est apparue une figure haute et pâle, nervalienne, d’une blondeur et d’une minceur qu’on était tenté de dire toutes deux chlorotiques, d’un port élégant et réservé et qui m’a regardé ..... (...) Nous avions emménagé “Chemin de la pélude”, qui signifie “Chemin de la poilue”, en sortie de Toulouse, vers Ramonville Saint-Agne. Le quartier était alors encore assez tranquille, à deux pas du campus universitaire et du grand parc du lycée Bellevue. Les commerces n’étaient pas loin, ni la pharmacie, en face d’un cabinet médical où officiait un martiniquais courtois, bel homme réservé, sans doute encore en butte à ces réflexes racistes qu’on a tant de mal à gommer. Lors d’une de mes premières visites - une grosse grippe qui ne voulait pas décrocher toute seule -, sortant de sa consultation pour l’achat dans la foulée des médicaments prescrits, j’avais été abordé dans la pharmacie par une vieille du quartier, s’informant d’une nouvelle tête et qui avait commenté: “Ah! Vous êtes allé voir La Couleur? Il est très bien comme docteur!”. J’en étais resté comme deux ronds de flan.... Je devais traverser la Garonne pour rejoindre mon établissement, gros lycée technique dont le proviseur était apparenté par sa sœur à Mitterrand, ce dont il ne se vantait pas. On le trouvait dans son bureau dès 7h30, très attaché à l’établissement, au point qu’il aimait à conter que lors d’une visite ministérielle qui avait regroupé au rectorat l’ensemble des proviseurs et principaux de la ville, quand ses collègues se présentaient successivement: Henri Martin, René Descouens, Robert Martinez, etc., son tour venu, avec la légère inflexion du buste qui sied devant un ministre à l’énoncé de son nom, il s’était entendu dire, dans la confusion de l’émotion: Déodat de Séverac. C’était là “son” lycée .... Il était fasciné par les diplômes, y revenant toujours: “Vous êtes agrégé, ah!, vous avez la clé ...” Pour lui, tout était là et l’avenir n’ouvrait qu’à cette condition ses portes. Il y avait une autre jeune agrégée de mathématiques dans l’établissement et il tenait spécialement, lors de mon arrivée, à me la présenter. Le jour de la rentrée, il m’a poussé vers une brune aux bras ronds, aux yeux rieurs, au sourire en coin dans une éclatante et peu discrète robe jaune, qui descendait d’une 2 CV et qui me sembla, aux premiers mots, chanter du Nougaro ..... (...) Parmi les agréments des débuts de scolarité en école d’ingénieur, il y a les bals de promotion. En des temps où la mixité n’existait pas, le premier trimestre des études, succédant aux travaux forcés des classes préparatoires, étalait des semaines paisibles de mise en place des enseignements scientifiques durant lesquelles les appétits juvéniles humaient l’air de la capitale et se posaient la question essentielle: “Où sont les filles?”. Partant de là, les anciens élèves, embourgeoisés et pourvus de progéniture à marier, d’autant meilleurs connaisseurs de la situation qu’ils l’avaient vécue, attendaient avec gourmandise Noël et le bal de promo de rentrée dans l’espoir (voire la certitude ... ) de voir leur chère descendance s’approprier, pourvu qu’elle ne soit pas trop niaise et d’autant qu’ils l’avaient amplement sermonnée, le puceau d’avenir qui assurerait la pérennité de la race et rassurerait la perspective de leurs vieux jours. Je n’ai jamais été grand amateur de bals, et il me faut toujours quelque circonstance annexe et collatérale pour y aller - en fait assez mal - danser. On m’avait par ailleurs conté le traquenard et peint sous des couleurs peu engageantes l’assaut des filles-à-papa estampillées “maison” . Bref, il était conseillé de venir nanti, soit d’une fiancée réelle, soit d’une cavalière d’occasion qu’on puisse le cas échéant - toute goujaterie assumée - laisser au milieu du gué si se présentait - car il pouvait quand même en être - une plus belle possibilité ... Émergea des conversations de chambrée préalables à la fête une cousine de camarade relevant d’une difficile histoire d’amour et qu’il s’agissait de ramener un peu à la vie, de “sortir”. On me la disait pensive, intelligente, plutôt jolie et, argument pour moi décisif, poursuivant à la Sorbonne une licence és lettres. Je me mis sur les rangs. Il fallait passer la prendre au Foyer International de jeunes filles du Boulevard Saint-Michel, en face de l’École des Mines. J’y allai .... (...) Les voix des femmes m’ont toujours séduit. Et leurs rires. Je me souviens d’une Brigitte qui inondait à tout propos de ses gloussements en cascades les lieux publics où nous déjeunions, dans ces débuts d’été parisiens des jurys de concours où se forgent - comme dans les publicités des officines de rencontre - des amitiés de feu de paille .... et plus si affinités. Mais enfin les voix, beaucoup, m’attachent. Les accents, ou peut-être, surtout, ces éraillements qui évoquent les soirées arrosées-enfumées d’un libertinage assidu qui n’est pourtant en rien dans mes habitudes, ni même dans mes goûts, mais qui forge des voix qui parlent sans me demander mon avis à ma libido. Et la voix agit d’autant plus qu’elle ne lutte pas en concurrence avec l’image. Ainsi, je l’avais certes remarquée, et qu’elle portait volontiers des pulls en mohair, dans les réunions où mes fonctions officielles me faisaient la rencontrer, impliquée qu’elle était dans une multitude d’activités associatives et syndicales, son dynamisme souriant et plus encore son étonnante disponibilité la faisant régulièrement mandater comme représentante de tout groupe de dialogue ou de pression auquel elle participait. Je l’avais remarquée mais enfin, ce sont ses deux coups de fil, deux samedis de suite, pour me remercier de je ne sais quel envoi de documents, qui me l’ont fait réellement entendre, et jouer pleinement le charme des lenteurs insistantes de son accent grenoblois. La rue de l’Aiguillerie, dans le vieux Montpellier, est très étroite, mais l’appartement, au premier, était relativement clair. J’étais près d’une fenêtre, à boire mon café, regardant machinalement les passants de cette rue piétonne quand le téléphone a sonné, ce premier samedi de mai ..... (...) Raymond Schiltz était proviseur du lycée Louis-le-Grand quand j’y ai débuté, retour du service militaire. Grand bonhomme. Forte personnalité, forte culture, et éternel nœud papillon. Je l’amusais, pour un parcours qui l’étonnait un peu. Dans une de mes classes de seconde, je m’étais trouvé rappelé à l’ordre par mes élèves sur un point de vocabulaire dont ils affirmaient que leur professeur de lettres insistait pour l’interpréter dans une direction opposée à la mienne. Fort d’une soirée passée avec le Littré, j’entrepris dès le lendemain de laver l’affront en ferraillant directement avec l’éminent collègue. Nous ne nous en sommes pas trouvés mal. Mon aîné de quelques années, il contemplait du haut de sa jeune expérience mes tâtonnements improductifs dans la prise en main du métier et, devant mes interrogations sur le point de connaître les recettes d’un silence attentif en classe, il me disait, distancié et serein: “Mais, vois-tu, il faut comprendre et accepter la nécessaire existence d’un bruit de fond pédagogique ...”. J’en ai fait depuis mon miel. Il nous a invités à dîner chez lui en fin d’année, et à faire la connaissance de sa jeune épouse. La voir me fut un éblouissement. Pour indiquer deux références, dont l’une par anticipation, elle se situait quelque part entre Audrey Hepburn et Carla Bruni et se déplaçait, inconsciente des ravissements qu’elle provoquait, avec une assurance à la fois réservée et mutine. Nous partions en Normandie à la rentrée suivante et puis, des développements de carrière, des enfants ... De loin en loin, on prenait des nouvelles, sans vraiment plus. Quand je repassais à Paris, je faisais un saut à Louis-le-Grand, je le prenais entre deux cours, on bavardait un peu. Ça va? Ça va ! Et nous parlions boutique, pédagogie, programmes. Il l’évoquait peu, de moins en moins. Vingt ans ont passé. Je me suis retrouvé à Paris, avec les deux gosses, un petit appartement rue Grenéta, quartier Montorgueil, mal chauffé, sixième sans ascenseur, mais plein de charme. Ils s’étaient séparés. J’ai un peu hésité, j’ai trouvé son adresse, j’ai fait un courrier : “Chère inconnue, ....” .
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