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AutreMonde
14 juillet 2022

AU VILLAGE, SANS PRÉTENTION ....

Montesquieu Juillet 2022

Juillet dans le sud ... de Toulouse. Chaud. Il faut laisser grand ouvert la nuit et jusque vers 9 h le matin. Ensuite, on ferme aux 4/5 les volets et complètement les fenêtres, et on parvient ainsi à maintenir un différentiel de 10° avec l'extérieur, dans le bon sens. C'est du 26°/27° dedans, mais enfin, c'est encore jouable.

En début d'après-midi, un coup d'oeil sur le Tour de France. Comment ces types parviennent-ils à produire de tels efforts en ce moment, sous le cagnard, et ne pas mourir?

La rue est une petite rue, très étroite. Et encore, je suis dans la partie large, au débouché de la halle, ensuite, elle se resserre.  Quand M., mon voisin, ouvre ou ferme ses fenêtres et que je suis là, on n'a guère l'impression d'être plus loin l'un de l'autre qu'aux deux extrémités d'une grande table de ferme. Jeudi dernier, en fin d'après-midi, à la descente du bus Arc-en-Ciel du Conseil Régional que j'avais pris gare Matabiau, parti de Paris le matin, c'était fermé, chez lui. Il va assez souvent passer deux jours chez sa fille, ou davantage en cette saison, s'il l'a rejointe en bord de mer, quelque part sur la Costa Brava où elle a un petit appartement. Il n'y fait pas forcément plus chaud qu'ici et puis, on a les pieds dans l'eau.

Lundi après-midi, les volets de sa cuisine se sont ouverts. Je l'ai cru de retour. J'ai vaguement surveillé. Depuis cinquante ans que j'ai retapé la vieille maison de village acquise sur un coup de tête, coup de foudre d'une promenade dominicale, nous entretenons des relations cordiales de pas de porte. On bavarde dans la rue, quand on s'y croise, et c'est souvent, l'un partant  faire quelque course et l'autre en revenant, ou bien d'une fenêtre à l'autre, à la tombée du soir, quand on ferme pour la nuit. Je viens ici de moins en moins en vieillissant, c'était surtout la maison des vacances, de toutes les vacances, Noël, Pâques, été, pour les gosses. Il n'y a plus de gosses et ils n'ont pas vraiment pris le relais avec les leurs. Je descends, parisien de fait, deux ou trois fois cinq jours dans l'année, ici ou là, et deux ou trois semaines en juillet. Pas davantage. Je m'en attriste sans y rien changer. J'ai du mal à bouger quand je suis quelque part et puis, pour ne parler que du cinéma, on peut difficilement comparer le quartier latin et la quasi nécessité, ici, de se transporter à Toulouse. Ma technique en juillet, c'est un aller-retour du dimanche en bus (je n'ai qu'un vélo, au village, et cette année, je l'ai même laissé à la cave). Une heure trente d'autobus dans chaque sens. Il faut rentabiliser. Je pars à 8h30, et le programme est chaque fois le même: chocolat-croissant dans un café de la place Wilson à l'arrivée, puis installation au cinéma Pathé Wilson pour un film à la séance de 11h, suivi d'un sandwich et d'un demi en vitesse avant un deuxième film à la séance de 13h30. Le bus pour rentrer est à 17h15 à Matabiau. C'est quasiment du flux tendu cette affaire, mais ça m'amuse assez, au fond.

Ce n'était pas le voisin, l'ouvreur de volets de lundi, mais un sexagénaire lambda, courte barbe blanche, chemise à carreaux et bermuda, que je n'avais jamais vu et que je suis allé interviewer quand je l'ai entendu refermer la porte d'entrée. C'était le gendre. Oui, tout le monde était en Espagne et puis M. s'est effondré, en pleine conversation de table. AVC. Il y a deux semaines. Rapatriement à Purpan. On attend la suite. La faculté est pessimiste. Pas sûr que je le revoie. Il a une petite quinzaine d'années de plus que moi, M., treize exactement, et une santé qui semblait insolente. Je me suis souvent dit (et lui disais) que sa fin marquerait pour moi le début d'un compte à rebours assis sur notre différence d'âge. On avait encore plaisanté ensemble avec ça quand je suis passé, fin avril et que je le félicitais pour sa belle forme. Merde, c'est court, treize ans.

Son accident brutal me laisse rêveur. Cinquante ans que nous nous côtoyons, une longue proximité qui n'a jamais basculé en intimité mais présente les avantages d'une civilité continue, agréable et confiante. Il a les clés de la maison et il assurait au fond, tacitement, d'un côté de la rue à l'autre, une sorte de gardiennage pour moi rassurant. Et je me trouve assez affecté par cette idée qu'il ne verra peut-être plus ce que je vois encore, la place de la halle, le marché du mardi, la rue principale qui mène au pont, l'église et ses cloches que la nuit et quelques velléités de riverains grognons n'ont jamais interrompues, et son glas aussi, qui souvent résonne, le village est vieux. On se regardait et on disait: ''Tiens, le glas, un de moins sous la halle, un de plus au cimetière''. C'est un bavard, M., et les histoires qu'il me raconte, dans lesquelles il mime volontiers son rôle avec un côté ''à moi on ne la fait pas'', traînent un peu en longueur; le gendre m'a dit qu'il était conscient mais sans pouvoir parler. A mettre à l'imparfait, les bavardages.

Je bouge très peu quand je suis ici. J'aime la maison et je viens pour elle. Je la sens amie, complice et de Paris, je culpabilise de l'abandonner si je suis trop longtemps absent. Les gosses aussi en fait l'aiment, mais la vie ... Chacun de nous, dans la relation qu'il a avec elle, cultive le tête-à-tête. Nous n'y venons pas ensemble. L'autre y serait de trop. Je passe, et ils doivent faire de même, de pièce en pièce, flattant les meubles de la main, déplaçant un livre, m'asseyant dans un fauteuil et écoutant dans le silence presque constamment complet du village, les craquements par lesquels elle s'exprime, et le battement de l'horloge, au rez-de-chaussée, la vieille horloge récupérée d'une grand-tante, signée d'un artisan de Bagnères de Bigorre avec la date, 1902, dont les cordons qui tiennent les poids ont plusieurs fois cassé, que je remplace régulièrement, qui bat imperturbablement sa quasi seconde avec un petit décalage qui la fait quotidiennement retarder de trois ou quatre minutes et que, malgré maints essais de réglage, je n'ai jamais pu compenser. Je reste en bas, dans un fauteuil, à côté d'elle, et je contemple le mouvement lent de son balancier, et j'écoute son tic-tac qui semble presque un discours, comme si elle pouvait raconter tout ce dont elle a été témoin et comme si mon attention rêveuse installait une conversation avec elle, prêt à lui parler comme on fait ses confidences à son chien, avec encore moins de vraisemblance car le chien est sensible au ton et déchiffre les états d'âme et y réagit, s'il le faut consolateur, mais elle y parvient presque, c'est une horloge qui console par son obstination, qui dit: ''Quoi qu'il arrive, le temps par moi continue, la vie continue, ta vie continue et c'est cela qui importe''. Il ne va plus avoir ça, mon voisin. Au mieux (c'est-à-dire au fond, au pire) l'EPHAD le guette. Et c'est navrant. 

MV2

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