LE DERNIER JOHN IRVING : AFFLIGEANT!
Quatrième de couverture :
Lors d'un voyage aux Philippines, Juan Diego Guerrero, écrivain américain célèbre et vieillissant, revit en rêves récurrents les épisodes de son adolescence au Mexique, à la lisière de la décharge publique de Oaxaca où lui et sa sœur Lupe ont grandi.
Infirme depuis le jour où une voiture lui a écrasé le pied, Juan Diego a en outre le cœur fragile; il prend régulièrement des bêtabloquants, qui le protègent des émotions, et occasionnellement du Viagra, car on ne sait jamais …..
Des émotions, il en aura tout au long de son périple, notamment avec Miriam et Dorothy, mère et fille aussi désirables qu'inquiétantes.
Balloté d'hôtels en aéroports, Juan Diego se remémore entre autres la mort de sa mère, femme de ménage chez les jésuites et prostituée à ses heures, "tuée" par une statue géante de la Vierge Marie; son adoption par un couple improbable rencontré dans un cirque, où son destin et celui de sa petite sœur extralucide basculent. Marqué par le hasard et l'inéluctable, ce destin s'accomplira peut-être dans une modeste église au fin fond d'un quartier pauvre de Manille.
Dépaysement assuré dans ce récit jubilatoire et débridé, qui se teinte de gravité lorsqu'il aborde les mystères insondables de la condition humaine.
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Ce gros roman (515 pages) – traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun et Olivier Grenot – est une catastrophe. La quatrième de couverture – qui fournit un survol approximatif de l'affaire et des précisions … inexactes (le couple rencontré dans un cirque) – s'efforce de vanter au lecteur à venir un récit qui serait picaresque et profond et qui se révèle hélas une catastrophe sans queue ni tête.
John Irving a écrit deux livres assez enthousiasmants (Le Monde selon Garp ; Hôtel Newhampshire ) dont le contenu autant que la facture étonnaient. L'œuvre de Dieu, la part du Diable est un roman très attachant et l'idée directrice de Une prière pour Owen émeut et fait qu'on se souvient du livre. Quelques histoires mineures: Un mariage poids moyen, l'Epopée du buveur d'eau, Liberté pour les ours! - et puis, progressivement, adossé à une imagination fertile à l'excès, Irving s'est abandonné à ses tics pour structurer à partir d'une documentation la plupart du temps impressionnante, des contes hypertrophiés où la profusion finit par ruiner la littérature. C'était évident dès Un enfant de la balle qui semblait le canevas sursaturé de plusieurs romans. Une veuve de papier, La quatrième main, Je te retrouverai, Dernière nuit à Twisted River, A moi seul bien des personnages : A boire et à manger. Mais on a continué, si j'ose dire à cause de Garp, et puis il y avait ici ou là un éclair, on supportait, on ne voulait pas comprendre, même si tout ça devenait pesant, outre l'idiosyncrasie de petits fantasmes sexuels itératifs, récurrents, puérils au fond, agaçants.
Là, cette Avenue des mystères, c'est vraiment le bouquin de trop!
On ne peut rien sauver. Le grand n'importe quoi qui préside au déroulé du livre relève souvent de l'incohérent, c'est une accumulation d'idées inabouties, de personnages sans épaisseur, de pistes abandonnées, de tentatives ratées de morceaux de bravoure, de discours ennuyeux, de vague narcissisme (le héros comme écrivain: nous les écrivains …), de pittoresque de bazar, de fantastique de série Z, c'est au fond pathétique : l'agonie d'un talent qui a raclé ses fonds de tiroir.
Dans Le Monde des livres du vendredi 17 juin dernier, Frédéric Potet, qui titre astucieusement son billet A court de miracles, après avoir essayé de ne pas être d'entrée immédiatement négatif, conclut avec lucidité (et retenue!) : L'auteur du Monde selon Garp n'en fait-il pas un peu trop, dans ce roman - le 14ième de sa carrière – qu'une écriture sans éclat ne contribue pas à rendre plus crédible?
Oui, le livre de trop, vraiment.
Très triste.
Josée Kamoun John IRVING Olivier Grenot