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AutreMonde
22 juillet 2014

RELIRE MADAME BOVARY

Vieillir a quelques avantages. Parmi eux, l'obligation de relire - afin de soutenir l'effort scolaire de ses petits-enfants - des textes qu'on avait un peu laissés de côté. Ainsi de Mme Bovary, négligée la malheureuse depuis quelques décennies, et qu'un court séjour au sud de Toulouse en ce début de juillet m'a donné le loisir de reprendre.

 

John BostockBovary-Huppert

Heureuse opportunité et grand plaisir de (re, mais si lointaine)-lecture. Je ne jouerai pas au commentateur éclairé. Seulement dire la joie que procure la reprise de contact avec un texte à la fois vieilli (un peu) et succulent. On a bien sûr quelques impressions d'invraisemblances psychologiques, mais aujourd'hui n'est pas hier et ce qui nous paraît maintenant peu crédible pouvait l'être en 1850. Et puis le style, tellement maîtrisé. Maîtrisé, mais où l'on remarque des tics, que je n'avais pas en mémoire. Cette prédilection de Flaubert pour la construction: "Alors + passé simple". On connaît le célèbre "Alors, il voyagea", qui ouvre un chapitre de l'Education sentimentale, mais je n'avais pas précédemment remarqué que la chose  fût à ce point systématique.  C'en est presque un clin d'œil complice au lecteur. Itératif également le:  "C'était un de ces …".

L'incipit du roman est une sorte de curiosité. Dans un jeu radiophonique fort célèbre (Jeu des mille euros, ex-Jeu des mille francs), on le lisait l'autre jour en demandant de le resituer : "Nous étions à l'étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. " Il y a là une atmosphère qui fait invinciblement penser au début du Grand-Meaulnes, quand à tout prendre, il ne pourrait chronologiquement s'agir que de l'inverse. Et l'on peut être d'autant plus facilement induit en erreur que cette apparition du narrateur, ce Nous étions, qui l'implique, sera sans aucun lendemain. Ce Nous lâché, plus rien, jamais, ne laissera supposer que l'histoire qu'on nous raconte est racontée par un témoin direct. Il y a là comme un mystère. Pourquoi Flaubert a-t-il voulu ce "Nous"?

Un grand roman navré sur la bêtise, bête noire de Flaubert. Bêtise, bien sûr des attentes paroxystiques et nécessairement déçues d'Emma, mais aussi, constamment, bêtise de toutes les attitudes humaines qui constituent son environnement, où nul caractère ne se dégage qui porterait quelque espoir de non-médiocrité. L'esprit Bouvard et Pécuchet est constamment présent . Le drame se met méticuleusement en place, dont périra, victime collatérale, le pur mais sot Bovary et qui ne freinera pas l'ascension sociale de l'imbécile Homais. On atteint au grandiose par le gâchis.

Quelques traits au crayon que l'on avait tracés, en marge, et que l'on retrouve en feuilletant l'exemplaire, après l'avoir terminé. Tel passage, morceau d'anthologie, trop long à reproduire, comme le discours d'ouverture des Comices agricoles, par le conseiller Lieuvain. La première période, quand même :

"Messieurs,

Qu'il me soit permis d'abord (avant de vous entretenir de l'objet de cette réunion d'aujourd'hui, et ce sentiment, j'en suis sûr, sera partagé par vous tous), qu'il me soit  permis , dis-je, de rendre justice à l'administration supérieure, au gouvernement, au monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé à qui aucune branche de la prospérité publique ou particulière n'est indifférente, et qui dirige à la fois d'une main si ferme et si sage le char de l'Etat parmi les périls incessants d'une mer orageuse, sachant d'ailleurs faire respecter la paix comme la guerre, l'industrie, le commerce, l'agriculture et les beaux-arts (…)"

Il y a là, bien entendu, entre autres, l'écho de la célèbre réplique de Monsieur Prud'homme dans la comédie de Henry Monnier (1851, quand Flaubert commence la rédaction du roman) : "Le char de l'Etat navigue sur un volcan". Et pendant ce temps-là, en contrepoint des envolées du conseiller Lieuvain, dans une salle vide au premier étage de la Mairie, Rodolphe pousse auprès de Mme Bovary ses premiers avantages. Savoureux .

Des annotations plus courtes, ici ou là. Ainsi, plus loin, à propos des réserves du même Rodolphe devant toute déclaration enflammée, cet avertissement du narrateur, qui lui donne tort : "… comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles."

Quelques lignes après, je me vois contraint d'aller aux renseignements, suite à cette allusion pour moi sibylline :"… son âme s'enfonçait en cette ivresse et s'y noyait, ratatinée, comme le duc de Clarence dans son tonneau de malvoisie." Il s'agit là de Georges Plantagenêt, duc de Clarence, né en 1449, à l'époque où débuta la guerre des Deux-Roses qui divisa la famille Plantagenêt en deux camps rivaux convoitant la Couronne d'Angleterre, les Lancastre et les York. Georges fut emprisonné à la Tour de Londres pour complot contre son frère, le roi Édouard IV, un York, et exécuté en février 1478… soi-disant par noyade  dans une barrique de malvoisie (un cépage méditerranéen), ce qui peut relever du ragot populaire, étant donnée sa réputation de grand buveur. Néanmoins, lorsque le corps que l'on reconnut pour être le sien fut exhumé, on ne le retrouva pas décapité, moyen d'exécution pourtant usuellement pratiqué pour les nobles et les personnes de sang royal. (source wikipédia)

Une remarque qui m'a plu : "Binet souriait, le menton baissé, les narines ouvertes et semblait enfin perdu dans un de ces bonheurs complets , n'appartenant sans doute qu'aux occupations médiocres, qui amusent l'intelligence par des difficultés faciles, et l'assouvissent en une réalisation au-delà de laquelle il n'y a pas à rêver."

Dans l'agonie d'Emma, dont on sait que Flaubert a dit à Taine : "Quand j'écrivais l'empoisonnement d'Emma Bovary, j'avais le goût de l'arsenic dans la bouche", cette notation terrible, mais de pure observation, comme je l'ai tristement constaté au chevet de mon père: "Emma, le menton contre sa poitrine, ouvrait démesurément les paupières et ses pauvres mains se traînaient sur les draps, avec ce geste hideux et doux des agonisants qui semblent vouloir déjà se recouvrir du suaire."

Oui, anciens élèves des classes de première des lycées, mes frères, vous qui  peinâtes sur Flaubert sous la férule de maîtres plus rigides qu'aujourd'hui, en des temps assez éloignés, n'hésitez pas à relire Madame Bovary. Cela vous posera mieux, sur la plage, que le dernier Guillaume Musso ou le dernier Marc Levy, et vous y gagnerez!

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