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AutreMonde
14 février 2013

Lincoln, Bayard, Rousseau, Golding, et même Peillon …

Le Lincoln de Spielberg est quand même assez  historico-emmerdant. C’est assurément du grand cinéma, mais Abraham, convaincu et vaguement dépressif, manipulateur et obstiné, conscient de la nécessité absolue du 13ième amendement et amateur d’anecdotes en forme de parabole, s’il occupe indiscutablement, incarné par Daniel Day Lewis, tout l’écran et nous donne une leçon de philosophie politique passionnante, n’empêche pas que Spielberg ne nous désennuie pas complètement. Une séquence d’ouverture forte pour souligner cette boucherie que furent les combats au corps à corps de la Guerre de Sécession, mais ensuite beaucoup de séances à la Chambre qui, même nécessaires, tirent le film jusqu’à une longueur un peu lassante. C’est très didactique, très instructif, très enrichissant … et aussi peut-être, trop scolaire (avec aux dernières nouvelles une erreur quant au vote à la chambre des représentants du Connecticut!).

Stevens_thadee[1]     Tommie Lee Jones dans le rôle de Thaddeus Stevens, très influent représentant républicain à la Chambre, défenseur irréductible et controversé de l’égalité, m’a semblé marmoréen à l‘excès. Il nous réserve pourtant une pirouette (scénaristique? historiquement avérée?) plutôt réjouissante en même temps qu’éclairante sur ses convictions intimes. En tout cas, l’acteur, perruque comprise, colle bien à l’image photographique laissée par le politicien.

Pierre_Bayard[1]    Aurais-je été résistant ou bourreau? Je suis a priori plutôt bien disposé à l’égard de Pierre Bayard (photo) dont l’intelligence paradoxale produit des ouvrages du même nom, amusants, pertinents, toujours un peu contestables mais documentés et riches. J’y suis venu par son Qui a tué Roger Ackroyd? qui m’avait d’abord fait relire Agatha Christie et que j’avais trouvé fort convaincant. J’ai moins marché – Conan Doyle relu - pour L’affaire du chien des Baskerville mais sans que l’intérêt faiblisse. Et puis il y a eu le bouquin qui je crois lui a valu le plus de notoriété: Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? Tout à fait passionnant. Je me suis donc mis à Pierre Bayard. Pas exhaustivement mais quand même significativement. Récemment publié, son dernier travail m’a donc eu pour acheteur, puis lecteur. C’est tout à fait très bien comme Rostand fait dire à d’Artagnan dans Cyrano de Bergerac. On y apprend beaucoup et je le recommande. Le titre est assez clair; on se situe pendant le second conflit mondial, Pierre Bayard, né de fait en 1954, se fait naître en 1922 et se pose les questions qui se sont posées à son père, se demandant comment, à sa façon, il y aurait répondu. C’est précis dans l’analyse du contexte, c’est très documenté quant aux références historiques, qu’il ouvre d’ailleurs à d’autres circonstances, le génocide Rwandais par exemple, et on le suit avec le plus vif intérêt dans ses reconstructions même s’il est évident dès le départ qu’il n’y aura pas de véritable réponse et qu’on restera dans cet entre-deux caractéristique de ceux qui réfléchissent trop.

Mais il y a eu cette fois un hic. Tout à fait personnel. Pierre Bayard est régulièrement invité aux rencontres qu’organise la librairie Compagnie, sise rue des Ecoles, dans un petit local qui donne, il suffit de le contourner en sortant de la librairie, sur le square Paul Painlevé, qu’elle jouxte. Une minuscule boutique en rez-de-chaussée et au sous-sol, une petite salle d’une cinquantaine de places, on finit par s’entasser dans l’escalier d’accès. Je suis venu y entendre David Lodge, Arnaldur Indridason et, trois ou quatre fois, Pierre Bayard. Et là, mercredi soir 6 février, à 18h, sa présentation m’a défrisé. Le public lui était acquis et prêt à tout accueillir par des murmures d’approbation amusée et complice, mais son auto-complaisance m’a été rapidement insupportable, d’autant que si je lui avais facilement pardonné pour “Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?” le côté publicité mensongère du titre, facilité vénielle largement compensée par la richesse des analyses et du propos, son insistance ce soir-là à faire la promotion marketing de son dernier bouquin sur la base de la solution littéraire exigeante qu’il fournissait à la question posée, sachant, l’ayant lu, que c’était la partie la plus faible pour ne pas dire inconsistance de sa réflexion, m’a paru pour le coup relever franchement de la malhonnêteté intellectuelle. Le livre fourmille d’informations et de réflexions intéressantes, mais il ne franchit pas le niveau de l’évidence et du bons sens quand il s’agit se définir soi-même face à des circonstances exceptionnelles.

Et je me trouve donc en situation de recommander un livre tout en faisant à son auteur le procès d’en assurer scandaleusement la promotion, dans une parade autosatisfaite au bout du compte mensongère.    

RousseauEmile    Force est de l’avouer, je n’avais jamais lu l’Emile. Grande référence, grande révérence, etc… Je n’ai guère été convaincu par l’édition “Le Monde-Flammarion” que j’avais achetée il y a trois ans dans le cadre de la collection “Les textes qui ont changé le monde” et à laquelle je viens ces jours-ci de consacrer quelques heures.

Jean-Jacques y entend défendre des principes de bon sens et fonder toute sa démarche pédagogique sur l’utilitarisme des notions à introduire et la non contrainte comme axe méthodologique. Le manuel de classe de base, polyvalent selon lui et qui dispense de tout autre, c’est le Robinson Crusoë de Daniel Defoe. Savoir allumer un feu en frottant entre eux deux bois secs ou en choquant deux silex est le nec plus ultra des apprentissages de base et l’ingéniosité acquise par la rencontre des difficultés naturelles vaut mieux pour la formation du petit homme que tous les traités de philosophie.

Il y a là-dedans des choses intéressantes, mais l’ensemble est très répétitif dans sa volonté de prôner ce constructivisme qui fait le terreau d’une action comme “La main à la pâte” et qui donne de l’urticaire aux tenants de la transmission prioritaire des connaissances.

Comme toujours, “in medio stat virtus” (le bon choix est celui du juste milieu). Les élucubrations rousseauistes ne sont de toute façon guère réalisables tant elle supposent la mobilisation entière d’un éducateur au service d’un seul élève. Et, à rebours du principe “Plutôt un qui sait que dix qui cherchent”, tant la prime aux tâtonnements dilate le temps des apprentissages jusqu’à réduire les acquis, dès lors selon Rousseau qui y voit la force de sa méthode, définitifs, à des pratiques efficaces mais de simple survie.

Contempteur de La Fontaine, on trouve dans le livre une approche de la fable “Le corbeau et le renard” assez sidérante et dont je rêverais, sans en donner la source, de la glisser dans une copie de troisième pour correction par un enseignant de français. 

Je la livre in extenso.

          ****                         Le corbeau et le renard

Maître corbeau, sur un arbre perché

Maître”! Que signifie ce mot en lui-même? Que signifie-t-il au-devant d’un nom propre? Quel sens a-t-il dans cette occasion?

Qu’est-ce qu’un corbeau?

Qu’est-ce qu’un arbre perché? L’on ne dit pas sur un arbre perché, l’on dit perché sur un arbre. Par conséquent il faut parler des inversions en poésie; il faut dire ce que c’est que prose et vers.

Tenait dans son bec un fromage

Quel fromage? Etait-ce un fromage de Suisse, de Brie, ou de Hollande? Si l’enfant n’a point vu de corbeaux, que gagnez-vous à lui en parler? S’il en a vu, comment concevra-t-il qu’ils tiennent un fromage dans leur bec? Faisons toujours des images d’après nature.

Maître renard, par l’odeur alléché

Encore un “Maître”! mais pour celui-ci c’est à bon titre: il est maître passé dans les tours de son métier. Il faut dire ce que c’est qu’un renard, et distinguer son vrai naturel du caractère de convention qu’il a dans les fables.

Alléché. Ce mot n’est pas usité. Il faut l’expliquer; il faut dire qu’on ne s’en sert plus qu’en vers. L’enfant demandera pourquoi l’on parle autrement en vers qu’en prose. Que lui répondrez-vous?

Alléché par l’odeur d’un fromage! Ce fromage, tenu par un corbeau perché sur un arbre, devait avoir beaucoup d’odeur pour être senti par le renard dans un taillis ou dans son terrier! Est-ce ainsi que vous exercez votre élève à cet esprit de critique judicieuse qui ne s’en laisse imposer qu’à bonnes enseignes, et sans discerner la vérité du mensonge dans les narrations d’autrui?

Lui tint à peu près ce langage

Ce langage! Les renards parlent donc? Ils parlent donc la même langue que les corbeaux? Sage précepteur, prends garde à toi; pèse bien ta réponse avant de la faire; elle importe plus que tu n’as pensé.

Eh! Bonjour monsieur le corbeau!

Monsieur! Titre que l’enfant voit tourner en dérision, même avant qu’il sache que c’est un titre d’honneur. Ceux qui disent monsieur du Corbeau auront bien d’autres affaires avant que d’avoir expliqué ce du.

Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau!

Cheville, redondance inutile. L’enfant, voyant répéter la même chose en d’autres termes, apprend à parler lâchement. Si vous dites que cette redondance est un art de l’auteur, qu’elle entre dans le dessein du renard qui veut paraître multiplier les éloges avec des paroles, cette excuse sera bonne pour moi, mais non pas pour mon élève.

Sans mentir, si votre ramage

Sans mentir! On ment donc quelquefois? Où en sera l’enfant si vous lui apprenez que le renard ne dit sans mentir que parce qu’il ment?

Répondait à votre plumage

Répondait! Que signifie ce mot? Apprenez à l’enfant à comparer des qualités aussi différentes que la voix et le plumage; vous verrez comme il vous entendra.

Vous seriez le phénix des hôtes de ces bois.

Le phénix! Qu’est-ce qu’un phénix? Nous voici tout à coup jetés dans la menteuse antiquité, presque dans la mythologie.

Les hôtes de ces bois! Quel discours figuré! Le flatteur ennoblit son langage et lui donne plus de dignité pour le rendre plus séduisant. Un enfant entendra-t-il cette finesse? Sait-il seulement, peut-il savoir ce que c’est qu’un style noble et un style bas?

A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie

Il faut avoir éprouvé des passions bien vives pour sentir cette expression proverbiale.

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie

Ce vers est admirable, l’harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert; j’entends tomber le fromage à travers les branches: mais ces sortes de beautés sont perdues pour les enfants.

Le renard s’en saisit et dit: Mon bon monsieur

Voilà donc la bonté transformée en bêtise. Assurément on ne perd pas de temps pour instruire les enfants.

Apprenez que tout flatteur

Maxime générale, nous n’y sommes plus.

Vit aux dépens de celui qui l’écoute

Jamais enfant de dix ans n’entendit ce vers-là.

Cette leçon vaut bien un fromage sans doute

Ceci s’entend et la pensée est très bonne. Cependant il y aura encore bien peu d’enfants qui sachent comparer une leçon à un fromage , et qui ne préférassent le fromage à la leçon. Il faut donc leur faire entendre que ce propos n’est qu’une raillerie. Que de finesse pour des enfants!

Le corbeau, honteux et confus

Autre pléonasme, mais celui-là est inexcusable.

Jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus.

Jura! Quel est le sot de maître qui ose expliquer à l’enfant ce que c’est qu’un serment?  

****

Il y a beaucoup de sotte mauvaise foi, là-dedans. Par contre, expliquer à une classe la fable de la Fontaine avec comme cadre, le commentaire de Rousseau, me paraît pouvoir dessiner une perspective extrêmement séduisante.

Rousseau développe ensuite à partir de là le mauvais effet des fables sur les enfants qui comprennent nécessairement à rebours de ce qu’on voulait leur faire entendre : “Ainsi donc la morale de la première fable [Le corbeau et le renard] est pour l’enfant une leçon de la plus basse flatterie; celle de la deuxième [La cigale et la fourmi] une leçon d’inhumanité; celle de la troisième [Les animaux malades de la peste] une leçon d’injustice; celle de la quatrième [Le lion et le moucheron] une leçon de satire; celle de la cinquième [Le loup et le chien] une leçon d’indépendance”.

Toute la démarche de Rousseau est paradoxale: “La lecture est le fléau de l’enfance et leur plus grande misère, les livres …”; “on ne doit rien exiger des enfants par obéissance…”; et de façon amusante, il qualifie sa méthode de “méthode inactive”. Etc.

On peut s’amuser à lire l’Emile. Je doute qu’on y trouve vraiment des méthodes efficaces pour se ressaisir aujourd’hui du problème éducatif! 

william-goldingSMdesmouchesgolding

Ralph et Porcinet   Dans l’excellent blog que tient Mara Goyet  on trouve en date du 16 janvier 2013 le compte-rendu d’une séance de cinéma en classe, avec discussion à suivre autour de "Sa majesté des mouches", best-seller de William Golding (Nobel de littérature 1983). Je n’avais ni lu le livre, ni vu le film qu’en a tiré Peter Brook. Mara Goyet fait une description assez enthousiaste de l’impact de la projection sur ses élèves. J’ai suivi le mouvement, lu le livre (assez décevant) et vu le film (très décevant). Peter Brook, qui suit de près le déroulé des événements du bouquin, sans pouvoir réellement (sans chercher à ?) rendre les descriptions de Golding relatives à la végétation luxuriante de l’île déserte où suite à un accident d’avion pendant le second conflit mondial ont échoué les enfants, réduit sa mise en scène au factuel d’une petite bande de gamins trop schématiquement décrits pour qu’une dérive psychologique graduelle fasse prendre conscience de cette régression vers la barbarie qu’il veut souligner. Les comportements de ces enfants qui viennent de survivre à un crash dont aucun adulte n’a réchappé se réduisent à l’autogestion maladroite d’une colonie de vacances sans encadrement, dans l’invraisemblance d’une survie aimable, où nulle blessure ne s’envenime, ou nulle faune hostile ne se manifeste, réduite qu’elle est à quelques cochons sauvages que l’on tue avec la plus grande facilité et des bâtons, ou nulle ingestion désordonnée de fruits sauvages ne débouche sur autre chose que quelques diarrhées, ou rien ne permet de comprendre comment des affrontements de cour de récréation débouchent sans transition sur des meurtres. Le livre de Golding est un peu plus riche dans la direction d’une évolution des caractères. Le film est sans épaisseur, et rien n’y rend crédible ce dont on veut nous faire prendre conscience.

Le choc qu’a été pour les élèves de Mara Goyet la projection et la richesse affirmée par elle des échanges qui ont suivi rencontrent mon étonnement, voire mon incrédulité. Une vision de professeur, qui projette son propre enthousiasme sur des séances vécues bien différemment par ses élèves ? Impossible à savoir. J’y ai gagné une lecture et une séance de DVD, comme les matériaux nécessaires à une discussion éventuelle sur le livre et le film, mais peu de choses en termes d’enrichissement personnel. L’idée de départ est excellente, mais ni l’écrivain ni surtout le cinéaste n’en ont fait une œuvre puissante. Le thème est clair, mais il n’y a aucune chair autour.

Peillon   Il paraît que Vincent Peillon a sorti un livre, le 13 février. Ça s’appellerait « Refondons l’école ». On en trouve quelques bonnes feuilles sur le site par exemple du Nouvel Observateur. On nous livre quelques têtes de chapitre :

L’école française injuste – Bégaudeau parlait dimanche matin sur France-inter et sur le même thème de « Crime contre les classes populaires ». Ce qui me laisse rêveur.

Les expériences à l’étranger – Relisons les méthodes de la Finlande et de la Corée du Sud, dit-il. Pourquoi aller vérifier ailleurs qu’il existe des solutions évidentes que nous n’osons pas utiliser ? On ne peut pas penser par soi-même?

Être plus créatifs – Peillon pense qu’il va l’être. Je doute

Les nouveaux rythmes de la semaine – Là, on est en plein psychodrame. Cette affaire de quatre jours et demi est, telle que présentée, une ânerie. Il faut une semaine de cinq jours et une redéfinition des tâches enseignantes  comme des objectifs de l’école à travers sa programmation. Et l’on n’obtiendra rien sans passer par les conditions de travail (salaires, locaux environnement, gouvernance des établissements …)

Le respect du temps de travail des enseignants – cf. le paragraphe précédent. Il faut refondre le système, sinon on cultive la foutaise. Pas de détails. Pas de rafistolage. On met à plat et on reconstruit.

De nouveaux concours de recrutement – Certes, mais il faut tendre vers une unification formelle (une seule catégorie d’enseignants à deux grandes options: polyvalence / spécialités) et clairement définir l’essentiel de la formation professionnelle comme compagnonnage.

Plus d’argent pour l’éducation prioritaire – Cette histoire d’éducation prioritaire a été viciée dès le départ. Et Peillon va recommencer à nous servir le “donner plus à ceux qui ont moins”, simple sacralisation de ghettos éducatifs quand l’objectif doit être qu’ils n’existent pas, dans une mixité sociale remodelant les quartiers, dont les écoles sont parties prenantes, mais pas le tout.

La morale laïque – Isoler ce concept dans le champ du débat éducatif est contre-productif. Tout enseignant est un professeur de morale laïque et cela va d’autant mieux que cela va sans dire, cette dimension étant totalement à intégrer au volet professionnel de la formation initiale des enseignants.

On jettera quand même un coup d’œil au livre ….

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