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AutreMonde
31 mai 2012

Alain Finkielkraut à l'X - Les invités - [II.1]

Bouvet Laurent  

Laurent Bouvet (Professeur à l’université de Versailles-St Quentin et à Sciences Po) vient parler de « peuple » et de « populisme ». L’exposé est enlevé. Laurent Bouvet est direct, simple, dynamique. Il survole les notions, classifie, fournit quelques indications « à la volée » et ancre son propos dans l’actualité politique française.

Qu’est-ce que le peuple ? Y a-t-il une typologie des populismes ?  Il ne se lancera pas là-dedans … quoique :

Laurent Bouvet évoque à titre d’exemples trois types de populisme :

-       Dans la Russie tsariste, le mouvement socialiste agraire Narodniki, mouvement de jeunes intellectuels, à la fois moderne et antimoderne, refusant la modernité par crainte de voir s’y perdre « l’âme russe »  et néanmoins démocrate

-       le People’s party aux USA, actif dans les dernières années du XIX° siècle et les débuts du XX°, qui joue un rôle important dans la construction à venir d’une gauche américaine. Un mouvement agrarien lui aussi, opposé à la mécanisation, réticent devant l’immigration européenne (qui est alors à son maximum , 1880-1920) et dont on ne peut néanmoins pas nier le caractère progressiste

-       en France, le boulangisme des années 1880, cristallisation des ressentiments anti-élites, anti-parlementaires, autour d’un général Boulanger, assez falot, poussé en avant tant par la gauche (Clémenceau) que par la droite, y compris extrême.

Bref paragraphe étymologico-historique. Le populisme est fils de la mise en place de la question du peuple en politique, du problème d’une représentation cohérente et efficace du peuple, il est fils de la démocratie. Avec une ambiguïté de plus de vingt siècles à travers les vocables,  du démos au populus romain, où le sens hésite entre le tout et la partie, ou plutôt cumule, désignant à la fois l’ensemble du corps civique agissant dans l’agora et le bas-peuple, la populace mouvante, dangereuse que redoutait Aristote. Ambivalence.

Il y a à l’âge moderne trois versions du peuple : le peuple démocratique – le peuple social – le peuple national. D’où trois possibles manipulations (dérives) populistes … en même temps que trois nécessités : il faut « aller » vers la « populace » … ne serait-ce que pour se faire élire !

-       Dans l’ordre démocratique, le populisme renvoie à la distance élus-électeurs et pose la question de la professionnalisation du politique. On entend Jean-Luc Mélenchon parler des « belles personnes » et vouloir « sortir les sortants ». C’est un populisme qui conduit à réclamer l’extension du champ du référendum.

-       Dans l’ordre social, c’est 1848 et le printemps des peuples avec les débuts de Marx. La révolution industrielle est en marche. En quelques mois, la question républicaine de l’ouverture à tous des libertés de 1789 va déboucher sur un questionnement : donner le suffrage universel ne suffit pas à définir un peuple dans sa totalité moderne ; la notion doit avoir une assise, une existence sociale. Or, dans le processus électif,  les ouvriers sont dépassés par la masse paysanne conservatrice qui justement, d’avancées sociales, n’en veut guère.  Du coup, le « peuple social » va se réduire à la seule classe ouvrière.

-       Dans l’ordre national, c’est également 1848 la date fondatrice. C’est de nouveau le printemps des peuples dans toute l’Europe, mais là sur une base nationale, avec l’idée d’une communauté fondée sur le sang, la langue, la culture, l’histoire, impliquant le dépassement de l’idée de classe en faveur de l’émergence positive d’une fierté nationale  mais aussi, en négatif, d’un nationalisme  qui s’appuie sur un « eux et nous » conflictuel et se tourne vers la tentation du « bouc émissaire » et l’appel à la « purification ».

Ces trois volets, dit Laurent Bouvet, s’entre-tissent. La théorie posée, il s’attache à dessiner les contours d’un populisme plus spécifiquement « à la française » dont la montée en puissance lui semble relever (ce qu’il estime peu évoqué) de la responsabilité de la Gauche. Le vocable même – populisme – est au départ chargé de tous les maux, avec l’idée que le populiste est  raciste, obtus, mal informé, n’a rien compris et qu’il faut soit l’éduquer (ainsi pense la « bonne » gauche, l’optimiste), soit s’en désintéresser, l’isoler, le contenir, le dénoncer.

L’après Mai 1968 a débouché sur une individualisation radicalisée, un sentiment anti-collectif, anti-« état providence », anti-sécurité sociale, anti « assistés » dans une crise de légitimité philosophique qui veut garantir la liberté de l’homme contre tout risque de domination, avec le souvenir des totalitarismes récents du XX° siècle. Par ailleurs, Mai 1968 a été un échec pour la Gauche française à qui le mouvement a échappé et qui a subi ensuite des revers électoraux.  Mais, à travers le programme commun et Mitterrand, elle a assez vite repris espoir, elle a cru de nouveau à une victoire possible dans les urnes sans intégrer ce sentiment « anti » tous azimuts qu’on vient de dire. Au début des années 1980, ce décalage (ses espoirs, l’anti-tout) éclate. Le programme commun se heurte au mur du réel. On a parlé de crise économique, de conversion au libéralisme, de tournant de la rigueur, des critiques de Chevénement, mais c’est une lecture insuffisante. La Gauche n’a plus de programme à opposer à la montée des problèmes et elle va s’éloigner du tissu populaire qui l’a portée au pouvoir. Car pour gouverner, il faut masquer son vide programmatique en trouvant un discours de substitution, en construisant une sociologie électorale nouvelle. Et la Gauche abandonne le peuple de gauche démocrate-social pour intégrer l’individualisation dominante par le biais d’un repérage-calibrage sectoriel, le remplaçant, ce peuple, par une juxtaposition de sous-groupes spécifiques, mettant en avant les droits des femmes, les droits des homosexuels, les droits des minorités, les droits des immigrés, etc., et en se ré-assurant sur ces bases-là, elle donne au populisme sa matrice, préparant la montée du Front nationale et de l’abstention. 

On voit à l’œuvre cette sectorisation avec le gouvernement Jospin, l’apparition de SOS racisme, l’inflexion des politiques de l’école, de la ville, autour de sous-ensembles ; une démarche qui conduit de fait  à l’isolement d’une figure centrale du peuple de gauche, le petit salarié blanc, désigné comme raciste, homophobe, machiste, abruti, stigmatisé comme tel à travers la mise en place du Pacs (Pacte civil de solidarité), de dispositifs type la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) , définissant de fait les conditions politiques d’une dérive…

… qu’a su saisir le néo-populisme et Marine Le Pen mieux que quiconque. Dans le discours de celle-ci, trois contenus émergent :

-       un contenu national-populiste, anti-immigré, anti-élites, avec culte du chef et préférence nationale

-       un contenu économique-social quasiment d’extrême gauche, avec mise en avant du service public, de l’Etat. C’est un virage par rapport au libéralisme de son père.

-       Et surtout, volet essentiel, un contenu commun à tous les néo-libéralismes européens : l’idée que les sociétés sont menacées dans leur identité culturelle par un étranger non intégrable, en l’occurrence l’Islam, synonyme de voile, d’halal, de confusion du politique et du religieux, de charia …  Et elle veut et sait regrouper contre cet intrus non plus la vieille famille traditionnelle,  les « talas » de François Mauriac (car « ils vont-à-la messe »), les anti-avortement, les nostalgiques du  pétainisme, les défenseurs de la torture en Algérie, mais pourrait-on dire, « bien au contraire », les femmes, mais les homosexuels, mais les vrais français enracinés dans leurs terroirs identitaires, en affirmant être leur dernier rempart, le dernier rempart de la République, le dernier rempart de la laïcité, le dernier rempart  de l’existence d’une identité française …

Laurent Bouvet suspend là son exposé pour, dit-il, laisser quelques minutes aux questions … qui sont essentiellement une intervention d’Alain Finkielkraut faisant état d’un rapport de Juin 2011 du Think tank Terra Nova qui en appelle à une nouvelle coalition (cf. http://www.tnova.fr/essai/gauche-quelle-majorit-lectorale-pour-2012 ), énonçant qu’il faut cesser de courir après un peuple qui a fait défection, dont une classe ouvrière en raréfaction , un peuple en déclin qui s’est crispé, qui refuse la nouvelle donne sociale multiculturelle, et qu’il faut rassembler dans une nouvelle coalition les dipômés, les jeunes, les minorités et les quartiers populaires, les femmes … Un rapport qui affirme :

La nouvelle coalition de la gauche n’a plus rien à voir avec la coalition historique : seuls les jeunes appartiennent aux deux. L’identité de la coalition historique était à trouver dans la logique de classe, la recomposition en cours se structure autour du rapport à l’avenir. La nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé, mais aussi plus urbain et moins catholique . Elle est en phase avec la gauche politique sur l’ensemble de ses valeurs.

Contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socio-économiques, cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes : elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. C’est tout particulièrement vrai pour les diplômés, les jeunes, les minorités . Elle s’oppose à un électorat qui défend le présent et le passé contre le changement, qui considère que « la France est de moins en moins la France », « c’était mieux avant », un électorat inquiet de l’avenir, plus pessimiste, plus fermé, plus défensif. 

Rien en fait, là, qui fasse autre chose que recreuser le sillon ouvert par le conférencier … Mais il s’ensuit un échange ‘‘cinéphilique’’, Alain Finkielkraut désignant comme première expression de ce virage souligné par Terra Nova et Laurent Bouvet le film d’Yves Boisset  (1974), Dupont Lajoie, avec Jean Carmet en incarnation d’un peuple répulsif, là où Jean Gabin (La bête humaine), en 1938, charismatique chez Jean Renoir, valorisait à lui seul toute la classe ouvrière. Et il pose à Laurent Bouvet la question du « Que faire ? » qui s’adosse naturellement à l’exposé, interrompu sans cette prospective : ‘‘Le peuple social a évolué, il a pris le tournant national : Que doit faire la Gauche ? ‘’, re-développant : ‘‘Le peuple a changé, le populisme aussi a changé ; le thème de l’identité est né en Europe comme une réaction aux Lumières, le romantisme a formulé l’identité, le populisme a suivi. Mais voilà que se dessine un mouvement en retour – situation paradoxale - soucieux de sauver l’esprit des Lumières  face aux agressions de l’Islam. Comment la Gauche peut-elle répondre ?’’

Laurent Bouvet, qui rappelle que le bloc « ouvriers+employés+retraités de cette origine » est très majoritaire ( 53%), souligne que par là, même s’il n’existe plus une ‘‘classe ouvrière’’, ou ‘‘une classe des employés’’, il demeure une classe populaire encore  chargée de sens. Et que dès lors, il faut quoi qu’il en soit continuer à parler à un peuple affirmé en tant que tel et non à des catégories limitées et successives d’électeurs potentiels. Il reproche ainsi à François Hollande la cour faite aux « cultureux » lors du Festival d’Avignon de l’été 2011, ou des discours qui cibleraient étroitement « les profs et l’éducation nationale », …

Il faut, dit-il, proposer des ruptures et (re)définir un vrai projet de société affrontant la question de l’immigration, de la nation, de la morale publique, à l’écart de toute gadgétisation. Il faut aussi re-convaincre la Gauche que ‘‘l’élite’’ ne peut pas exiger le respect, la conformité à des normes si elle s’en exonère, s’abrite, se protège. Et il fait pour finir allusion dans cet esprit à George Orwell et sa « Common decency ». Il faut …

Depuis, François Hollande est devenu Président de la République. Attendons la suite.

Note : Sur la dernière référence, on peut se reporter à une intéressante interview de Jean-Claude Michéa (http://www.journaldumauss.net/spip.php?article617) reprise d’un numéro du Magazine littéraire de décembre 2009.

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