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AutreMonde
20 mai 2012

Du Domaine des Murmures ?

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J’avais contourné l’obstacle en ne l'achetant pas, mais on m’a prêté le livre.

A sa sortie l’an passé, Pierre Jourde sur son blog lui avait consacré une chronique excessivement élogieuse (http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/carole-martinez/). D’autres lectures étaient en cours …

Je serai moins enthousiaste que lui, mais il faut reconnaître au roman ses qualités. Le thème ne m’accrochait guère. Si on lit la quatrième de couverture:

En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui »: elle veut faire respecter son vœu de s’offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenant à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe …

Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle les entraînera jusqu’en Terre sainte. (…)

Esclarmonde, Lothaire, Elzear, Bérengère, Amaury, Amey, Jehanne, Ivette, … pas trop ma tasse de thé, a priori. La mise en route est un peu difficile, la teinture médiévale du style tire ici un sourire, engendre là un léger ennui; de temps à autre, on va vérifier un terme ancien ou vieilli. Et puis je suis peu sensible aux élans mystiques, même discrets.

Carole Martinez est inventive, même si le viol liminaire est un mystère un peu éventé, et le déroulé de l’intrigue démontre d’évidentes qualités de construction dramatique. Les personnages secondaires qui s’introduisent progressivement donnent peu à peu de l’épaisseur au récit qui prend réellement corps quand l’épopée se profile. Et la reprise du dialogue du père avec sa fille, le départ pour la croisade, la marche épique et épuisée des croisés à la dérive, font rencontrer de belles pages.

Cette croisade, c’est la troisième. Jérusalem est tombée aux mains de Saladin en 1187. Il faut aller la lui reprendre. En France et en Angleterre, on instaure une dîme saladine pour financer l’expédition. L’organisation en est longue et difficile. Les troupes ne se mettront en route qu’en 1189 avec trois contingents différents, menés par Richard Cœur de Lion, Philippe Auguste et  Frédéric 1er de Hohenstaufen (Barberousse).

La peinture de Carole Martinez est forte. Et documentée. Elle prête au passage à Frédéric Barberousse une phobie de l’eau dont je n’ai pas retrouvé trace, mais qui lui permet de donner une interprétation dérisoire à la noyade mal expliquée de l’empereur dans le Cydnus, le 10 juin 1190 (en fait il s’agirait semble-t-il du Saleph, ou Seleph, affluent du Cydnus), ce même Cydnus où huit siècles et demi plus tôt, Alexandre le Grand avait commis dans l’eau glacée l’imprudence d’un bain qui l’avait laissé alité. On suit le calvaire post mortem du noyé, chairs enterrées à Antioche, os à Tyr, entrailles à Tarse.

Le domaine des Murmures est situé sur les bords de la Loue, rivière du Doubs et  Thierry II de Montfaucon que Carole Martinez convoque a bien existé, archevêque de Besançon de 1180 à sa mort en 1190, dans les rangs de la troisième croisade. Mais le fou de machines de guerre qu’elle en fait et les conditions de sa fin - attachant personnage haut en couleur - sont peut-être bien sortis de son imagination.

Le cadre historique est précis; même Murda-al-Tarsusi, fameux expert en questions militaires et auteur en 1187 d’un manuel explicitement rédigé pour Saladin, est des nôtres.

Parallèlement au désastre de la croisade, vécu par procuration (divine), l’emmurée de Carole Martinez connaît le drame intime d’une maternité inavouable qui est l’occasion d’un long et attachant parcours de réflexion sur la féminité, la maternité, l’arrachement  affectif .

Quelques irritations stylistiques ne doivent pas gommer le souffle romanesque qui parcourt, même avec des inégalités, ce roman décalé et étonnant. L’ennui des premières pages s’efface, on oublie le mièvre Lothaire, aussi bêtement énamouré qu'initialement bravache, plus ridicule que touchant; et le cheval Gauvin, comme sorti de l’Apocalypse, s’impose en monture fantastique, au même titre que la géante Bérengère en Vénus callipyge et à la sensualité fluviale débordante. Puis Esclarmonde meurt, pour nous alerter depuis l’au-delà, elle qui nous a peint les aberrations de la foi, les triomphes de la crédulité, les pauvretés humaines et cette étrange grandeur à laquelle parfois atteignent les imbéciles.

Pour finir, un petit glossaire de termes (ou références) à demi sus sinon découverts.

(par ordre d’apparition)

Mesnie : famille, lignée, maisonnée

Pallium (de l’archevêque): large bande d’étoffe rectangulaire portée par-dessus la chasuble (hauts dignitaires de l’Eglise)

Ste Ode: martyre lorraine, vers 360, persécutée par Julien l’Apostat, empereur romain de 361 à 363, élevé dans la religion chrétienne mais désireux de rétablir le paganisme

Ste Agnès: pléthore de saintes de ce nom; eu égard aux dates, il n’en reste que deux.  Agnès de Rome, morte à 13 ans pour avoir refusé les avances du fils d’un haut magistrat en se déclarant promise à Jésus-Christ et Agnès de Poitiers, seconde moitié du VI° siècle, abbesse de la plus ancienne abbaye de femmes, l’Abbaye Ste-Croix de Poitiers. L’Agnès de Carole Martinez est sans doute la première.

Bliaut: ou bliaud; vêtement d’homme ou de femme, blouse ou robe, plutôt décoratif

Taillant: outil du tailleur de pierre; sorte de hache à double tranchant utilisée pour les pierres dures

Tufière: site exploitable (amas) de tuf calcaire (travertin) pour l’extraction de matériau de construction

Hagioscope: ouverture aménagée dans le mur d’un sanctuaire permettant sans y pénétrer de voir les cérémonies

Claveau: pierre taillée en biseau (coin tronqué en partie basse) constituant un élément de recouvrement d’un arc, d’une voûte

Géhenne: au départ, vallée au sud/sud-ouest de Jérusalem associée à des cultes idolâtres réputés infâmes, puis métaphoriquement, lieu de douleur, enfer, etc.

Formariage: concerne le mariage d‘un serf avec un serf d’un autre seigneur (droit médiéval), affaire qui nécessite une autorisation, peut donner lieu à un droit à payer, déboucher sur des sanctions (privation de terre)

Alleu: terre possédée en propriété complète (souvent par héritage) par opposition au fief qui suppose une redevance seigneuriale

Mangonneau, trébuchet: machines de guerre voisines, de l’ordre de la catapulte, destinées à abattre les murailles lors d’un siège, ou à toutes sortes de projections militaires (dont des cadavres en décomposition). Lors du siège de St Jean d’Acre, en 1191, Richard Cœur de Lion avait fait construire deux forts trébuchets affectueusement dénommés God’s own catapult et Bad Neighbor

Manse, tenure: termes voisins ou synonymes; désigne une terre cultivable en concession dans le cadre d’un droit de jouissance précaire; désigne aussi le lopin de terre, avec habitation, suffisant pour faire vivre un homme et sa famille

Empiéger: pour piéger

Nouer l’aiguillette: jeter un sort pour rendre impuissant; l’aiguillette ici est le lien qui permet de fermer les braies, le caleçon

Papine: non attesté; j’ai trouvé « papinette »; dérive quoi qu’il en soit de l’ancien français « paper » (manger) et désigne un récipient, une écuelle - voire une cuiller- pour recueillir la nourriture

Ost: ou Host; armée en campagne aussi bien que service militaire dû par le vassal à son suzerain

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