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AutreMonde
2 décembre 2011

Robert Guédiguian, Victor Hugo et alii ...

Les Neiges du Kilimandjaro

 Il n’ira pas beaucoup plus loin,

La nuit viendra bientôt ….

 La ritournelle de Pascal Danel fut, dans les années 1960, un énorme succès international. Robert Guédiguian, né en 1953, n’a pu manquer de la fredonner, adolescent. Comme le Tintin d’Hergé, elle était faite pour plaire à tous, de 7 à 77 ans, puisque le Général De  Gaulle  la comptait au nombre de ses chansons préférées … On la réentend avec plaisir, petite accroche très marginale que le scénario a insérée dans la bande-son.

Diable, diable, dit-il en se grattant la tête …

L’âme ancrée à gauche, venu d’un communisme à coup sûr romantique, Guédiguian a voulu inscrire son dernier film (Les neiges du Kilimandjaro) non pas, comme le titre pourrait le laisser croire, dans l’imaginaire machiste de la nouvelle éponyme (éponyme est très à la mode depuis quelques années et mis à toutes les sauces, j’y cède, mais enfin ici, cela veut seulement dire ‘‘qui porte le même nom’’) d’Ernest Hemingway - d’ailleurs portée à l’écran en 1952 par Henry King avec Gregory Peck et Susan Hayward dans les rôles principaux - mais dans l’élan de générosité absolue des Pauvres gens, de Victor Hugo.

Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.

Le logis est plein d’ombre et l’on sent quelque chose

Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur.

Des filets de pêcheur sont accrochés au mur. (…)

Tout près, un matelas s’étend sur de vieux bancs,

Et cinq petits enfants, nid d’âmes, y sommeillent (…)

Une femme à genoux prie et songe, et pâlit.

C’est la mère (…)[ Elle a peur, elle croit, elle attend]

L’homme est en mer, depuis l’enfance matelot (…)

[Plus loin, maison voisine, une veuve malade et qui a deux enfants

La femme va la voir. Elle frappe . Personne. ]

Elle entra. Sa lanterne éclaira le dedans (…)

Au fond était couchée une forme terrible ;

Un cadavre (…)[à côté, dans l’ombre du logis]

Près du lit où gisait la mère de famille,

Deux tout petits enfants, le garçon et la fille,

Dans le même berceau souriaient endormis (…)

[Ces deux petits enfants, la femme les emporte.

Elle rentre chez elle, elle ferme la porte]

Mon pauvre homme! ah! mon Dieu! que va-t-il dire? il a

Déjà tant de souci! qu'est-ce que j'ai fait là!

La porte tout à coup s’ouvrit, bruyante et claire,

Et fit dans la cabane entrer  un rayon blanc ;

Et le pêcheur traînant son filet ruisselant,

Joyeux, parut au seuil (…) C’est toi ! cria Jeannie (…)

Elle dit : ‘‘A propos, notre voisine est morte.(…)

Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits’’ (…)

L’homme prit un air grave, et, jetant dans un coin

Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :

‘‘Diable ! diable ! dit-il en se grattant la tête,

Nous avions cinq enfants, cela va faire sept. (…)

Femme, va les chercher. S’ils se sont réveillés,

Ils doivent avoir peur, tout seuls avec la morte (…)

C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?

D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.’’.

-Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà !

Ce très long poème de plus de deux cents vers, il faut le dire ‘‘tire-larmes’’, dessine un canevas mélodramatique que Guédiguian a voulu suivre et adapter. Ambition émouvante, mais film raté. Le pêcheur hugolien est devenu un responsable syndical touché par une mesure de réduction des effectifs, et les enfants surnuméraires à recueillir ne sont plus les petits orphelins du poème, mais les jeunes frères d’un chômeur que la précarité pousse jusqu’à un braquage dont le syndicaliste  est victime et qui va valoir à son auteur quelques années de prison.

Le cadre, comme toujours chez Guédiguian, c’est Marseille et l’Estaque. L’équipe d’acteurs est de nouveau satellisée autour de Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, et Gérard Meylan, mais rien ne fonctionne.

On sent le porte-à-faux dès le départ, dialogues plats, situations convenues, caractères prévisibles, péripéties téléphonées, bons sentiments, affadissement général. Où est la grâce qui enchantait dans l’optimisme de Marius et Jeannette (1997), la dramaturgie de La ville est tranquille (2000), l’émotion de Marie-Jo et ses deux amours (2002). N’aimant ni l’homme-Mitterrand, ni l’acteur Michel Bouquet, j’étais resté extérieur au Promeneur du Champ-de-Mars (2005) mais L’Armée du Crime (2009) était un bel hommage, musclé, attachant, enlevé au groupe Manouchian. Et là, flop !

Vraiment flop. Le lourd mélo se développe, sirupeux, tout charme évanoui, et l’on est d’autant plus désolé que factuellement, plusieurs remarques concernant l’engagement syndical, l’action syndicale et la fragilité de son efficacité sont intéressantes, qui peuvent porter le film au-delà du misérabilisme hugolien (d’ailleurs sérieusement gommé, on n’est nulle part ici au même niveau de misère que chez le poète) vers une réflexion plus large sur le monde du travail ouvrier.

Dommage. On refait le film dans sa tête, on essaie de lui trouver d’autres qualités. Rien n’y fait. C’est raté. Oui, dommage.

Tant qu’à  parler cinéma … Survol rapide et succinct du trimestre :  … j’ai relevé sur l’agenda une liste de films, mais sans notes. Alors, de mémoire :

En septembre :

R.I.F. (Recherche dans l’intérêt des familles), de Franck Mancuso, avec Yvan Attal et Pascal Elbé  (je me demande si je n’en avais pas dit deux mots …). C’est un bon petit thriller, très convaincant. Il est flic (Y.Attal), part en week-end avec sa femme (Monica Belluci), le couple va mal, la bagnole a des problèmes, et suite à un arrêt dans une station service, l’épouse disparaît. La gendarmerie s’en mêle (Pascal Elbé), on soupçonne le mari, etc. Pas mal du tout, très bien même.

La piel que habito : Almodovar, surprenant, allumé  et excellent.  Le scénario est d’une inventivité assez fascinante. L’histoire d’une vengeance frankensteinienne qui tourne mal. Il est chirurgien de pointe (Antonio Banderas), sa fille est victime d’un viol qui la détruit, il fait tomber le violeur dans un piège diabolique et puis, la machine s’emballe. Un grand film, il me semble.

Habemus papam : un régal signé Nanni Moretti. Piccoli est très bien en pape dépassé par son destin, mais c’est surtout l’engrenage délirant des conséquences d’un choix par défaut du concile lors d’une élection papale, avec son avant frileux et ses après absurdes et déjantés qui construit un spectacle savoureux . Le film enchante l’intelligence par son mauvais esprit agreste.

En Octobre :

The Artist : de Michel Hazanavicius. Excellent. Jean Dujardin est très bon et Bérénice Bejo, assez transparente dans les parodies d’OSS 117, éclate ici de talent, de charme, de beauté, de punch, etc.

Le cochon de Gaza : de Sylvain Estibal. Tout à fait réjouissant, c’est bon de bout en bout et les acteurs sont excellents. Dans le rôle principal, on retrouve Sasson Gabai, déjà vu en chef  de clique dans le délicieux La visite de la fanfare (d’Eran Kolirin, avec la subtile Ronit Elkabetz). L’histoire de ce pauvre pêcheur gazaoui qui se retrouve avec un cochon noir sur les bras se déploie en douce fable tendre mêlant la caricature et une forme de réflexion qui refuse  - optimisme sans doute utopique – la dramatisation du conflit israélo-palestinien. Mais le temps d’un film, tout est léger  et soluble dans la tolérance.  Deux actrices qui touchent, l’une par sa beauté grave et retenue (Baya Belal), l’autre par sa joliesse juvénile (Myriam Tekaia).

Drive : de Nicolas Winding Refn, avec  Ryan Gosling.  On a essayé de nous vendre ça comme le meilleur film de l’année… On est forcément déçu. Ce n’est pas mal, bien même mais un peu lent, et pas du tout le film d’action attendu. Noir ? Oui, avec la peinture assez ambiguë d’un héros à l’apparence trop lisse dont le côté sombre surgit dans quelques minutes d’ultra-violence et  une fin ouverte qui laisse planer le doute sur les ressorts réels de sa psychologie.

Les marches du pouvoir (le titre américain – Les Ides de Mars - avait sacrément plus de gueule, mais historiquement, il faut l’avouer, moins de sens) : … où l’on retrouve Ryan Gosling, cette fois aux côtés de Georges Clooney qui signe aussi la mise en scène. Classique et intéressant, se voit avec plaisir. Les dessous d’une primaire démocrate américaine pimentée d’arrivisme, de goût du pouvoir et d’un peu de sexe, moteur d’assez cruels dérapages psychologiques. Le film est tiré d’une pièce de théâtre (Farragut North, de Beau Willimon) qui s’inspirerait elle-même du parcours malheureux, dans le cadre de la présidentielle américaine de 2004, du démocrate Howard Dean.

L’exercice de l’Etat : On nous avait un peu survendu le film de Pierre Schoeller, mais enfin, il est bien. Les comédiens sont impeccables et presque crédibles. Presque seulement, malgré tout. Michel Blanc en grand commis de l’état reste moins convaincant qu’en Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés de Patrice Leconte . Bon, je suis dur, là, Michel Blanc est un très bon acteur.   Olivier Gourmet en ministre des transports, pourquoi pas, même si sa psychologie a des ratés, en particulier dans une soirée curieuse en compagnie de son chauffeur. C’est très plaisant à suivre, les commentaires critiques ont souligné le caractère très réaliste, bien renseigné, bien documenté du scénario et des dialogues. Péripétie : un accident de voiture un peu complaisant et longuet, mais enfin, il ne faut pas bouder son plaisir, et c’est de l’excellent spectacle.

En Novembre :

Polisse : Le film de Maïwen est  formidable. J’ai vraiment beaucoup aimé. Il y a eu un peu de polémique autour (voyeurisme, etc.) et ça me paraît très injuste. C’est enlevé, dense, rapide, sans aucune chute d’attention, les acteurs sont  étonnants de vérité, on s’y croit, là, au milieu d’eux, le groupe fonctionne, Joey Star est très bien, Karin Viard est époustouflante, tout le monde est à son maximum, c’est absolument impeccable. Et la chute, au sens propre comme au sens figuré, laisse pantois.

Tintin : Oui, bon, Spielberg, quoi. Mais en y allant avec ses petits-enfants, on ne passe pas un mauvais moment, et il y a des inventions de mise en scène graphique vraiment subjuguantes.

Intouchables : Incontournable… Ils s’y sont mis à deux pour la conception / mise-en-scène , Eric Toledano et Olivier Nakache, et à deux pour l’incarnation, Omar Sy et François Cluzet, mais rien à dire, c’est un bijou de réussite dans la drôlerie intelligente. Et Anne le Ny compose en subtilité un délicieux second rôle. Effectivement, le bouche-à-oreille a raison : il faut y aller. On n’est pas déçu. Un bijou ! Et un coup de chapeau à l’abattage ahurissant d’Omar Sy aux côtés d’un François Cluzet tout en finesse.

Les Neiges du Kilimandjaro : Ah…… !! Eh bien, voir ci-dessus, n’est-ce pas ?

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Commentaires
G
Suivant le moment, l'époque, nos avis peuvent se modifier: à l'époque je m'étais trouvé en porte à faux avec tous mes amis en n'appréciant pas "Marius et Jeannette", cette fois je me suis appliqué et comme j'avais besoin d'images ensoleillées fussent-elles colorisées, j'ai marché comme avec la rengaine de Danel quand il y a longtemps qu'on ne l'avait pas entendue.
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