Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
23 novembre 2011

Evariste Galois (II)

Second concept préalable à un vernis à venir, relatif aux travaux galoisiens, le concept d’extension. Comme on ne fait pas ici de théorie mais un essai – sans doute un peu bâtard – de vulgarisation, il me semble plus efficace de présenter un exemple d’extension …  utile : l’élargissement de la notion de nombre réel à la notion de nombre complexe. R l’ensemble des nombres réels, C l’ensemble des nombres complexes : C est une extension de R.

Les nombres réels sont les nombres au sens le plus usuel tel qu’on les manipule au quotidien, dans des activités domestiques comme dans des activités professionnelles, liés à des décomptes, des mesurages, des estimations, des bilans, des études de prix et autres calculs, d’apothicaires ou astronomiques …

Il est bon, et encore meilleur pour la suite, d’en avoir une image géométrique.

Sur une droite munie d’une origine et d’une orientation (d’un  sens de parcours), une unité de mesure des longueurs étant choisie, un nombre réel est assimilable de façon statique à un point.

Si l’origine est le point O,  ‘‘+17,23’’ (le + est facultatif dans ce cas) désigne le point distant de 17,23 unités de longueur  de O, dans le sens de parcours choisi. Et ‘‘– 17,23’’ (là le signe ‘‘–‘’ est obligatoire) désigne le point distant de 17,23 unités de longueur  de O, dans le sens inverse du sens de parcours choisi.

Réciproquement, un point M quelconque de la droite étant désigné, on regarde d’abord si pour le rejoindre à partir de O il faut se déplacer dans le sens d’orientation choisi (on dira ‘‘dans le sens positif’’) ou dans le sens contraire (on dira alors ‘‘dans le sens  négatif’’), ensuite de quoi on mesure la distance de ce point M à l’origine O. Supposons que cette distance soit égale à 4,7 unités de longueur. On affectera alors au point M (on identifiera alors au point M)  le nombre +4,7  ou le nombre –4,7 selon le sens du déplacement nécessaire. On parle d’abscisse du point M.

Dans une telle perspective statique, un nombre réel ‘‘est’’ un point d’une droite.

Mais on effectue des opérations sur les nombres réels, on les additionne, on les multiplie. Il y a là une interprétation dynamique du nombre qui se lit quand nécessaire comme un opérateur.

Ainsi :

‘‘(-5,72)+(+6,21)’’ désignera le point N déduit du point M d’abscisse ‘‘-5,72’’ par le glissement  (on parle de translation) de 6,21 unités de longueur dans le sens positif sur la droite. N a bien sûr pour abscisse : +0,49.       -5,72 est interprété statiquement ; +6,21 est interprété dynamiquement. On pourrait faire l’inverse.

On ne peut pas interpréter les deux nombres statiquement, mais on peut le faire dynamiquement en affirmant que le ‘‘+’’ intermédiaire entre les deux nombres désigne le cumul (la succession) de deux translations sur la droite, l’une de 5,72 unités de longueur dans le sens négatif de parcours (translation de ‘‘–5,72’’), l’autre de 6,21 dans le sens positif (translation de ‘‘+6,21’’), pour aboutir en termes de bilan à une translation de 0,49 dans le sens positif (translation ‘‘+0,49’’).

Et la multiplication ?

‘‘(+3,1)x(-1,12)’’ peut désigner le point R déduit du point P d’abscisse ‘‘+3,1’’ en multipliant la distance à l’origine de P par 1,12, définissant ainsi le point Q d’abscisse  ‘‘+ 3,472’’, puis, effet du ‘‘-’’,  en prenant le symétrique de ce point Q par rapport à O, soit ici le point  R d’abscisse ‘‘–3,472’’ .

‘‘+3,1’’ est ici interprété statiquement. ‘‘-1,12’’ est interprété dynamiquement comme opérateur multipliant les distances par 1,12 et  changeant le sens de parcours . On parle à propos de ‘‘l’opération géométrique’’ correspondante d’homothétie de centre O et de rapport ‘‘–1,12’’

On peut inverser et partir du point d’abscisse ‘‘-1,12’’ (statique) pour lui appliquer l’homothétie de centre O et de rapport ‘‘+3,1’’ (dynamique) et aboutir au même point R.

On peut aussi tout interpréter dynamiquement en disant que cette multiplication est la succession (la composition) de deux homothéties de centre O, l’une de rapport  ‘‘+3,1’’, l’autre de rapport ‘‘-1,12’’, déterminant ainsi l’homothétie de centre O et de rapport ‘‘-3,472’’.

L’ensemble des nombres réels, en termes de pure technique de calcul, en tant que possédant une addition et une multiplication ayant les propriétés usuelles connues  ‘‘a une structure de corps’’(on le note R et, lorsqu’on fait référence à ces opérations, on parle de (R,+,x)). On parle du corps des nombres réels.

On étudie dans les classes élémentaires la possibilité, dans ce corps, de résoudre des équations.

On s’intéresse d’abord aux équations du premier degré.

Par exemple, si trois kilos  de pommes coûtent 7,80€ , quel est le prix du kilo ? On ‘‘met en équation’’ : soit p le prix  en euros du kilo, on peut écrire 3p=7,80, qui se ‘‘résout’’ en p=7,80/3 ou, division faite, p=2,60.

On s’intéresse ensuite aux équations du second degré.

Par exemple, un rectangle a pour largeur la longueur du côté d’un certain carré et pour longueur 10m. La somme des aires de ces deux quadrilatères est , en mètres carrés, égale à 24. Quel est la longueur en mètres du côté du carré ? On ‘‘met en équation’’ . Soit l la longueur en mètres du côté du carré ; ce  carré a alors pour aire en mètres carrés l2 ; le rectangle a pour  aire 10xl ; on doit avoir :  l2+10xl=24 ou (on peut sous-entendre le signe x) l2+10l-24=0. C’est une équation du deuxième degré. On a appris à résoudre ce type d’équation au lycée. C’est le fameux  D=b2-4ac.

Rappel :  ax2+bx+c=0  est l’équation type du deuxième degré des manuels ; x est l’inconnue ; a,b,c sont des coefficients connus.

On forme le discriminant : D =b2-4ac

Si D est négatif, on ne sait pas résoudre l’équation, ou plutôt, elle n’a pas de solution.

Si D est nul, elle a une seule racine (solution) dite double : x=-b/2a

Si D est positif, elle a deux racines (solutions) distinctes : x1=(-b-√D)/2a et x2=(-b+√D)/2a où le symbole √D désigne la racine carrée de D.

Ainsi dans l’exemple donné : a=1, b=10, c=-24 et l’inconnue s’appelle l.

D = 102-4x1x(-24)=196 ; D  est positif ; √D =14

l1=(-10-14)/2=-12 ; l2=(-10+14)/2=2

Seule bien sûr a un sens la racine positive l2, puis qu’il s’agit de définir une longueur en mètres.

Réponse : le carré a pour côté 2m et le rectangle est un rectangle de 2m sur 10m.

Mais on rencontre, dans  (R,+,x), dès cette équation du second degré, la question dérangeante des équations qui n’ont pas de solution : ainsi tous les cas D

Parmi ceux-ci, le plus simple et le plus ‘‘agaçant’’: x2+1=0 autrement dit  x2=-1.

C’est là qu’arrive le concept d’extension.

Et il arrive ici, ou du moins on peut en faire émerger  l’idée, géométriquement.

Acceptons l’idée que la droite utilisée ci-dessus soit une route sur laquelle se déplace un cheval à qui on a mis des œillères. Pour lui, l’univers se réduit au ruban qui se déroule devant lui. Acceptons l’idée que ce brave cheval soit capable de faire demi-tour sur place, mais que cela lui demande tant de concentration que dans le temps du demi-tour, il n’enregistre plus ce  qu’il voit. Son univers se réduit bien définitivement à un ruban, déroulé à l’infini devant lui, mais qu’il est capable de décrire dans les deux sens puisqu’il peut faire, au commandement, demi-tour.

Notre brave cheval est chargé, partant de l’origine, de se déplacer à notre commandement jusqu’en des points correspondant à des racines d’équations. Tant que ces racines existent au sens des nombres réels, disons, toujours pour des équations du premier degré, quand D est positif ou nul pour des équations du second degré, il part vaillamment de l’origine et dans un sens ou dans l’autre, selon le signe de la racine, c’est-à-dire au besoin après un demi-tour sur place en O, il exécute sa mission.

Mais quand on lui demande d’aller jusqu’à un point défini par l’équation x2+1=0 ? 

Admettons qu’il fasse non de la tête, et ce violemment, pour manifester son désarroi, et que ses œillères se détachent. La route-ruban qui était tout son univers n’est soudain plus qu’un chemin parmi tant et tant d’autres possibles dans la vaste plaine qui se découvre à lui. Et il peut être fondé à reconsidérer sa mission en se demandant s’il n’y aurait pas, dans cette vaste plaine, des points correspondant à l’équation jusqu’alors impossible, des points qui seraient envisageables comme racines de cette maudite équation soi-disant insoluble !

Ce plan qui se découvre comme une extraordinaire extension du chemin rectiligne initial, on va l’appeler le plan d’Argand-Cauchy, hommage à  deux mathématiciens du XVIII°/XIX° siècle, le suisse Jean-Robert Argand (1768-1822) et le français Augustin-Louis Cauchy (1789-1857). Pour aller au plus simple et même si cela ne s’est pas historiquement passé tout à fait ainsi, prêtons leur l’idée d’avoir tracé dans ce plan la droite passant par O et perpendiculaire au chemin rectiligne initial, au fond, en faisant pivoter de 90° dans le sens inverse des aiguilles d’une montre celui-ci. Cette nouvelle droite porte deux points, déduits dans la rotation des points d’abscisses respectives +1 et –1 dont on va décider (un peu arbitrairement , mais qui ne risque rien n’a rien) que puisque lesdits points –1 et +1 représentaient les solutions de l’équation x2-1=0, eux vont représenter les solutions de l’équation x2+1=0. Et comme il a fallu faire un effort ‘‘d’imagination’’ pour les ‘‘inventer’’, on va les dire imaginaires et les noter respectivement –i et +i.

Quelles sont les conséquences de ce coup d’audace ?

Confrontés à l’équation du second degré ax2+bx+c, et ayant calculé D = b2-4ac, pouvons-nous maintenant donner des solutions, même quand D est négatif ?

Par exemple : 4x2-4x+5=0 ; D =-64 = -1x64=i2x64=64xi2=(8xi)x(8xi)=( 8xi)2=(8i)2

On écrit alors les calculs comme si ‘‘i’’ était un nombre ‘‘normal’’ (réel) , on verra bien, on avance … et le signe de multiplication ‘‘x’’ continue alors à être facultatif quand il n’y a pas d’ambiguïté. Du coup, on va oser  écrire √D=8i et les solutions sous leur forme donnée pour D>0 : x1= (4-8i)/2=2-4i ; x2=(4+8i)/2=2+4i.

On n’a désormais plus qu’un seul formulaire pour les équations du second degré :

ax2+bx+c=0 a pour solution x=(-b ± √D)/2a  en regroupant via ‘‘±’’ les deux cas successifs du ‘‘+’’ et du ‘‘-‘’, qui en outre n’en font qu’un si D =0.

Exemple : 9x2+6x+26=0

D =62-4x9x26=-900 ; √D =30i ; x=(-6±30i)/18=(-1±5i)/3

Il y a deux racines ‘‘dans le plan d’Argand-Cauchy’’ : -1/3-5i/3 et –1/3+5i/3

Et notre cheval, comment va-t-il atteindre ces racines?

Où sont-elles, d’abord ? L’interprétation la plus,simple consiste à s’appuyer sur les deux axes (les deux droites) perpendiculaires mis(es) en place,  l’axe réel initial et celui déduit par rotation de 90° qu’on dira axe imaginaire, et de les considérer  comme deux axes de coordonnées, l’écriture –1/3+5i/3 par exemple désignant alors, convention  que l’on pose, le point M du plan d’abscisse –1/3 et d’ordonnée 5/3 (l’ordonnée, c’est l’abscisse sur l’axe imaginaire). Ce point M étant  dès lors identifié dans le plan, notre cheval s’y rend en ligne droite à partir de O, concrétisant ainsi par son déplacement un segment de droite orienté d’origine O d’extrémité M (on dira : un vecteur). Ce déplacement est encore appelé une translation.

On est dès lors en train, sous la forme ‘‘a+ib’’, avec a et b deux nombres réels, de considérer  le plan tout entier et ses points de coordonnées a et b (a l’abscisse et b l’ordonnée) comme un nouvel ensemble de nombres (un point = un nombre ; un nombre = un point) plus vaste que l’ensemble R des nombres réels (qui lui s’identifiait à une droite). On va l’appeler l’ensemble C des nombres complexes. R est une partie de C (lorsque b=0 ; lorsqu’on reste sur l’axe des réels) et C apparaît comme une extension de R.

Pour que l’extension fonctionne vraiment, il faut contrôler qu’on peut ‘‘étendre’’ à C les opérations de base, addition et multiplication, qui sont en place  sur R et que ces opérations ‘‘étendues’’ à C se réduisent bien à celles de R quand on fait b=0 dans les nombres complexes manipulés. Portés par le formalisme ‘‘a+ib’’ et la règle de base : i2=-1, on obtient directement :

(a+ib)+(a’+ib’)=(a+a’)+i(b+b’) la somme de deux nombres complexes est définie.

(a+ib)x(a’+ib’)=(aa’-bb’)+i(ab’+a’b) la multiplication est définie, où le ‘‘-bb’’’ traduit i2bb’

Muni de ces deux lois, (C,+,x) respecte toutes les règles de calcul déjà respectées dans (R,+,x).

Si on fait b=b’=0 on retrouve les opérations usuelles de R.

On parle du Corps des nombres complexes.

Remarques finales .

Grâce  à cette extension, on démontre (Théorème dit ‘‘de d’Alembert’’ ; hommage à Jean le Rond d’Alembert (1717-1783)) que toutes les équations polynômes, de degré ‘‘n’’ quelconque (on n’a ci-dessus évoqué que les degrés 1 et 2) c’est-à-dire  du type :

anxn+an-1xn-1+an-2xn-2+….+a1x+a0=0

où a0,a1,…an-1,an sont des nombres qui peuvent  être réels ou complexes, toutes ces équations, donc, ont ‘‘n’’ racines réelles ou complexes, distinctes ou confondues.

On dit pour cette raison que (C,+,x) est algébriquement clos.

Je n’irai pas plus loin, ici, fort peu assuré d’ailleurs d’avoir ‘‘réussi mon coup’’, c’est-à-dire présenté lisiblement, esquissé sur exemple  - en ne présupposant aucune connaissance supérieure à celles croisées dans les collèges – la notion d’extension.

C a été obtenu en ‘‘ajoutant’’ au départ un seul nouvel élément ‘‘i’’ à R.

On parle de l’extension R[i]

L’écriture générique des éléments de C, la forme a+ib, où a et b sont deux réels quelconques , conduit aussi à percevoir formellement C comme R+iR.

On tâchera de revenir au Colloque de fin Octobre à l’IHP lui-même lors du prochain billet sur Evariste…

Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité