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AutreMonde
14 septembre 2011

Ulysse-Joyce (XV)

Eh oui, je m’y remets …
La tâche n’était pas achevée.
Et donc, il fallait bien un jour s’y remettre.
J’ai forcément perdu le fil. Mais pas mes notes.
Toute anosognosie combattue, vaincue même, j’espère, je devrais pouvoir restituer à travers elles le fond de mes impressions à chaud de lecteur.
Ce quinzième chapitre est assez gigantesque de proportions (près de 300 pages), je vais encore un coup lui laisser tout un billet.
Mais ensuite, pour la présentation ultime des chapitres XVI, XVII et XVIII, je crois que je bouclerai en une seule prise ( ça ferait mieux de dire: one shot, non ?) mon pensum joycien sur le mode … plus jamais ça!
Pas tout à fait.
Finnegans wake , assurément, va rejoindre, piteux, la liste des chefs-d’œuvre inconnus (de moi), mais je me promets malgré tout de lire Gens de Dublin (Dubliners) qu’on m’a juré plus aimable et plus accueillant…
 
En attendant :   
 
Circé (pages 619-908)
 
La Circé homérique, celle de l’Odyssée, est une magicienne, fille du Soleil; on la donnait comme sœur de Pasiphaé, la femme de Minos et mère du monstrueux Minotaure. Elle habite l’île d’Aea, qui serait in fine la presqu’île italienne de Monte-Circeo, à peu près à mi-chemin de Rome et de Naples. Ulysse y aborde; envoie en éclaireurs la moitié de son équipage sous la conduite d’Euryloque; les marins, sauf Euryloque qui s’est méfié, sont reçus par Circé et transformés illico en animaux divers, chacun en fonction de son tempérament; Euryloque court prévenir Ulysse qui, avec l’aide bien venue du dieu Hermès, déjoue les enchantements de la magicienne, l’oblige à rendre à ses compagnons leur forme humaine et dans la foulée, file avec elle un mois, certains disent un an, le parfait amour avant de reprendre son périple.
(Source: Dictionnaire  de la Mythologie de Pierre Grimal)
 
Joyce profite de ce patronage, de cet arrière-plan à tendance animalière  sinon zoophile, pour déployer une fausse pièce de théâtre mettant en scène les personages de son roman sur un mode absurde et déjanté, aux répliques comme aux didascalies (indications scéniques) aberrantes et dans un premier temps absolument hilarantes. La puissance comique est dans les débuts assez prodigieuse.
 
Trois vérifications lexicales au passage: Hectique , vocabulaire médical, se dit d’une fièvre de longue durée (Petit Larousse de poche);  Proboscidien, mammifère ongulé de grande taille, muni d’une trompe préhensible et d’incisives développées en défenses - en d’autres termes, à l’heure actuelle, éléphant  (Petit Larousse illustré); Axillaire, du latin axilla, aisselle, pilosité axillaire.
 
Un renvoi amusant . En page 625, Joyce donne sa version lapidaire de l’Affaire Aristote-Campaspe (pour aller à l’essentiel, l’anecdote (déjà racontée ici) de la maîtresse d’Alexandre du temps qu’il n’était pas encore “le grand”, Campaspe donc, qui avait fait le pari (gagné) de faire perdre tout sens commun à Aristote, précepteur de son jeune amant et prodigue en leçons de morale): “Même le toutgrandsage stagirite fut embouché, bridé et monté par sa gourgandine belle de nuit” (Aristote était de Stagire en Macédoine, sur les bords de la Mer de Thrace (Nord de la mer Egée)).
 
Un texte débordant et foutraque peut parfois passer pour célinien, avec ici, pour renforcer ce sentiment, force exclamations se reférant à un (ou des)  “youpin(s)”. On tombe de façon récurrente sur des passages ou des allusions pornographiques: “ [réplique de Blooom:] Je ne fume pas souvent ma chérie. Un cigare de temps en temps. Un truc d’enfant.  (indication: avec lubricité:) La bouche à mieux à faire  qu’à sucer un cylindre d’herbe pestilentielle
Joyce ne se lasse pas de sa blague dont on lit ici la n-ième occurrence: “Quel opéra dramatique fait penser à la tonte des moutons chez les anciens grecs? L’enlèvement  d’Hélène (des laines)”.
 
Passés les premiers éclats de rire, une certaine lassitude s’installe; on trouve moins drôle, puis pas drôle du tout. Dépourvu de sens. Et on se dit qu’on a affaire à un furieux. Et puis, quelques pages après se l’être dit, continuant néanmoins à lire, on tombe dans le transsexuel crapoteux; Bloom est devenu une femme, juste bonne à prostituer; c’est déplaisant et glauque, relevant plutôt de la cochonnerie de vieillard lubrique. Exemple: “ Il retrousse une manche et plonge le bras jusqu’au coude dans la vulve de Bloom.” On dérive vers l’ignoble: “ Le foutre froid de votre barbeau dégouline de votre carafon. Prenez une poignée de foin et essuyez-vous!”. Soudain, le cadre de l’action est un lupanar et la pornographie s’adosse au voyeurisme: “Vous pouvez mettre votre œil au trou de la serrure et faire joujou pendant que je la traverse deux ou trois fois (….) les yeux exorbités, [il] s’empoigne. Montre! Cache! Montre! Cache! Laboure-la! Plus! Tire!
Les répliques en forme de bribes de dialogue, assemblage d’absurdités et d’incongruités, deviennent globalement incompréhensibles. Le délire des didascalies semble sombrer dans la gratuité: “Un cheval inconnu, sans cavalier, galope comme un spectre et brûle le poteau, sa crinière écumedelune, ses pupilles des étoiles. Le reste suit, groupe de moutons castrés. Chevaux squelettes. Sceptre, Maximum le Second, Zrifandel (…) Ils sont montés par des nains, armurouillés, bondissants, boudinant sur leur, sur leur selle (…)Tout droit sur sa selle, son visage griffé cataplasmé de timbresposte, brandit sa crosse de hockey, ses yeux bleus étincellent dans le prisme du lustre (…) une palanche de seaux léopardent sur tout son corps et sur celui de son bourrin cabré un torrent de potage de mouton avec des écus virevoltants, des pommes de terre.”
Bonjour la mise en scène, au théâtre, sur ces bases …
D’autant que l’action  se déploie dans un lieu clos …
 
Autre exemple, et qui vaut le détour, aux pages 858-859. Huit lignes de dialogue, trente-neuf lignes de didascalies!
Je reproduis pour information, in extenso:
 
“*****
Le pianola: Bien qu’elle turbine à l’usine / Et ne s’habille pas vraiment chic.
(Agrippéserrés vite plusvite en un galop clinquantpiquandboucan ils filentafilenttréfilent avec lourdeur. Baraaboum!)
Tutti : Encore! Bis! Bravo! Encore!
Simon: Pense à la famille de ta mère!
Stephen: Danse de mort.
(Bang nouveau barang bang de cloche de crieur, cheval, bourrin, bouvillon, cochonnets, Conmee sur Christâne, marin boiteux sur béquille et jambe brascroisés dans coquettirecorde saccadant l’estampie matelote jusqu’au bout des ongles. Baraaboum! Sur des bourrins, des verrats des chevauxàgrelots des pourceaux gadaréniens Corny dans un cercueil d’acier de requin de Pierre Unemanche Nelson deux truqueuses Frauenzimmer tachées de prunes de landau tombant hurlant. Corbleu c’est un champion. Pair bleufusible dans un tonneau rév. Vvèpres Love Flamme d’une voiture cahotée avveugle cyclists moruepliés Dilly avec gâteau de neige pas vraiment chic. Puis ultimes montagnes russes lente montée et descente bang brassin sorte de viceroi et reine saveur bacfatras bangshire rose. Baraaboum!)
(Les couples s’écartent. Stephen pirouette vertigineusement. La pièce tournoie à l’envers. Yeux fermés il titube. Des rails rouges filent dans l’espace. Etoiles tout autour soleils tournent giratoires. Des moucherons étincelants dansent sur les murs. Il s’arrête pile.)

Stephen: Ho!

(La mère de Stephen, émaciée, s’élève rigide directement du plancher, en gris lépreux avec une couronne de fleurs d’oranger fanées et un voile de mariée déchiré, son visage usé et sans nez vert de moisissure tombale. Sa chevelure est rare et raide. Elle pose ses orbites creuses cerclées de bleu sur Stephen et ouvre sa bouche édentée pour prononcer un mot silencieux. Un choeur de vierges et de confesseurs chante sans voix)

Le chœur: Liliata rutilantium te confessorum …: Iubilantium te virginum …

[Note: Cette citation d’une prière pour les agonisants est tronquée; la citation complete est “Liliata rutilantium  te confessorum  turma circumdet: jubilantium te virginum chorus excipiat”; en substance (?) : “Puisses-tu avancer entouré d’une foule de confesseurs attentionnés et précédé d’un chœur de vierges joyeuses” ]

****”

Quelques pages plus loin, c’est une litanie de 82 noms d’affilée à l’intérieur d’une didascalie de trois pages, dont entre autres: “… Mlle Wimafoyetouiellelafaitmafoi” ou bien  “…la bellefemmemariéequils’estfrottécontresongrosderrièredansletramdeClonskea”. On voit le genre.

Ça bascule assez brutalement dans une dispute d’ivrognes autour de deux soldats et d’une putain soi-disant insultée, avec apparition du roi Edouard  VII porteur entre autres d’un “seau-non-urinoir”.  A quoi succède soudain une messe sacrilège: “Soulève très haut par derrière  le jupon du célébrant, dévoilant ses fesses nues, grises et poilues entre lesquelles est plantée une carotte”. Alors, James, on se lâche ? Nous voilà dans le scatologique régressif. Navrant? Et l’officiant de psalmodier en verlan ( à l’envers) exhaustif: “…Engèr nos snad értne tse tnassiup-tuot Ueid erton Ruengies el rac. Aiulèlla!” (Car le Seigneur notre Dieu tout-puissant est entré dans son règne. Alléluia!).

A le relire isolément, on peut sourire, mais dans le contexte, après trois cents pages de fantaisies de ce type … Le délire de ce chapitre s’achève quand Dédalus est assommé d’un coup de poing par un des soldats de la dispute, enfin!

Sens logique du tout?

Ben … non.

On hésite entre le rêve surréaliste, le delirium tremens et le shoot cocaïné …

En tout cas, l’affaire est bouclée.

Epuisant.

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Commentaires
D
J'éprouve de la pitié pour le traducteur. Je l'ai lu en v.o., il y a des lustres, en faculté, où j'avais un prof spécialiste de Joyce, pleinement initié, qui nous initiait à tout cela.<br /> <br /> J'ai néanmoins trouvé le moyen de lire "Ulysses" en dormant. Déjà à l'époque on aurait pu appeler ça... de l'attention flottante...<br /> <br /> Cela dit, depuis quinze jours, je me plonge dans "Les Métamorphoses" d'Ovide, en traduction anglaise de Horace Gregory, un poète ET érudit, et je ne dors pas en le lisant, loin de là.
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C
Je viens de terminer ce chapitre et en lisant votre article, je me sens moins seule... Merci !
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AutreMonde
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