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AutreMonde
5 septembre 2011

L'été: survol en moleskine.

On m'a offert il y a quelques mois ce petit carnet noir en me disant, "Tu vas voir, la moleskine, ça fait très "genre" ...". Ce fut un des derniers clins d'oeil de la donatrice. Cancer. Du coup, je m'y suis attaché. Lectures d'été et prise de (rares) notes.

Pas d'Août sans polar. J'avais pris un Dennis Lehane: Gone, Baby, Gone. 554 pages en format poche. Pas mal. Un peu compliqué; moins impressionnant que Mystic river, moins surprenant que Shutter Island, mais pas mal. Les bouquins de Dennis Lehane ont volontiers une seconde vie cinématographique, via Eastwood pour Mystic river (formidable film), Scorsese pour Shutter Island (qui m'a un peu déçu) et, pour celui-ci, via Ben Affleck. Regardé le DVD après avoir lu le roman. Déception indiscutable, là. J'apprécie l'acteur, j'ai beaucoup aimé sa dernière réalisation (The Town, en 2010; adapté du roman Prince of Thieves de Chuck Hogan ... que je me promets de lire), mais là, non, la mayonnaise ne prend pas: personnages, intrigue (remaniée), action, rien n'est crédible. Le casting n'y peut rien. Dommage.

Racine: J'ai continué à lire les tragédies. J'y reviendrai. Iphigénie, qui m'a semblé une passionnante réussite; Phèdre, lecture biaisée par le souvenir de la mise en scène de Patrice Chéreau et du jeu assez extraordinaire de Dominique Blanc tirant toute la pièce à elle; Esther, insipide "bondieuserie" ...

Dans la foulée de je ne sais plus quelle vérification, dans Esther et à propos d'Assuérus (le nom biblique de Xerxès 1er; la deuxième guerre médique (Thermopyles, Salamine, Platée ...)), noté ceci, qui n'a rien à voir avec la pièce: Artaban n'est pas seulement le nom du héros ("fier comme ...") d'un roman (Cléopâtre) de La Calprenède  (XVII° siècle), c'est aussi celui du chef de la garde personnelle puis assassin de Xerxès 1er. Cet Artaban-là sera tué par Artaxerxès 1er, fils du précédent. Le patronyme sert ensuite à plusieurs reprises à divers rois parthes (dynastie des Arsacides), mais cela, je l'aurai oublié demain ....

Frédéric Vitoux: La vie de Céline. Grosse biographie. 969 pages dans l'édition Folio, plus une trentaine de pages de notes et un bon index. Très intéressant. Peut-être chronologiquement un peu confus par le biais d'une construction non strictement linéaire, avec des recouvrements chronologiques qui finissent par donner le sentiment d'une accumulation anormale d'années, mais très documenté. De parti pris? Sans doute. L'auteur peint un Céline plutôt déconnecté de ses vociférations: "Etrange décalage, chez lui, entre le réel et les mots! Peut-être parlait-il d'une manière totalement irresponsable. Il avait du mal à concevoir que ses propos eussent la moindre responsabilité, la moindre prise sur le réel. Sa vie, ses engagements [en donnent] mille exemples. (...). Les mots, c'était un jeu, c'était le contraire de la vie." (page 267). Avec, en marge du personnage principal, le dessin émouvant de Lucette Almansor, de dix-huit ans sa cadette, aimante et dévouée épouse-compagne de tous les mauvais jours, jusqu'à la fin, élue après nombre d'aventures féminines (voire en marge de leurs restes). Et puis Marcel Aymé - ce que j'ignorais - en soutien fidèle et taiseux, à travers les épreuves.

Au passage, et puisque j'étais parallèlement dans Racine, cette notation de Céline qui m'a fait rire: " Les sanglots d'Iphigénie m'ennuient ... Hermione est obscène et s'écoute ... Sombres histoires de cul." ( Cité, page 597). Un peu court, quand même .... 

Thomas Bernhard: Des arbres à abattre. Je ne me lasse pas de l'inoxydable méchanceté de Thomas Bernhard. Le régal est permanent. Cette longue description ratiocinée d'un "dîner artistique" autrichien auquel le narrateur a traîné (a laissé entraîner) son ennui corrosif est, une fois de plus, une merveille. Inutile de citer, il faudrait tout recopier. C'est à consommer sans modération (Folio; 232 pages).

Nikos Kazantzakis: La dernière tentation du Christ. En couverture, l'éditeur (Pocket/Plon) a supprimé le "s" final de Kazantzakis. Ah? Rétabli en page de garde. Ah? Le livre est assez étonnant. On découvre un nouvel évangile. Moins distancié via la dérision - outil récurrent du portugais - que chez José Saramago (L'évangile selon Jésus-Christ. Un bijou!), avec un Christ moins dépassé, plus conscient de son rôle de jouet aux mains d'une transcendance en lutte avec le malin, mais un Judas, personnage puissamment secondaire, attachant et empathique et une galerie peu charitable mais fort crédible d'apôtres en bras cassés sans gloire. La relation avec Marie-Madeleine est touchante. Grande densité humaine, partout, et une figure christique inégalement sympathique. Je ne suis pas bien certain que soit vérifiée statistiquement l'affirmation de Kazantzakis dans sa préface: " Je suis sûr que tout homme libre qui lira ce livre plein d'amour aimera plus que jamais, mieux que jamais, le Christ".

Le songe sur la croix ( la "dernière tentation" ...) est tout à fait inattendu dans ses longs développements. Les portraits sont forts mais pas toujours nuancés, souvent plus schématiques que complexes. Avec de nombreuses notations qui, dans le politiquement correct du jour, seront aisément taxées d'antisémitisme, par exemple autour du regard romain porté sur la crasse des femmes juives; de même que plusieurs des précisions coutumières fournies soulignent plus l'obscurantisme que la grandeur de la religion: "Les habitants de Jérusalem avaient suspendu tous leurs péchés à un bouc noir et bien nourri et l'avaient chassé en le lapidant vers le désert. C'était lui aussi un Messie envoyé de Dieu, il prenait sur lui tous les péchés du peuple et partait crever de faim dans le désert et leurs péchés crevaient avec lui" (page 234). 

Quant à la conception que se font les apôtres du royaume des cieux .... "Des titres de noblesse, des honneurs, des habits de soie, des anneaux d'or, des repas plantureux, c'était cela le royaume des cieux. Et de sentir le monde sous la botte juive" (pages 348-349). Diable ...

Pour revenir à la tentation du titre, elle s'installe tout entière pour le crucifié dans l'intervalle du déchirant "Eloi, Eloi" (Seigneur, Seigneur) suivi d'un évanouissement qu'elle remplit, et du "Lama Sabacthani?" (Pourquoi m'as-tu abandonné?) qui marque en même temps la prise de conscience que "...tout cela, tout cela n'était que visions suscitées par le Malin".

Qu'aura fait Scorsese de cet évangile contingent? J'ai commandé le DVD.

Pourquoi ce choix de lectures ? Entre autres raisons parce que le hasard m'a fait voisin, en 1992,  de Jean-Pierre Angremy (plus connu comme Pierre-Jean Remy, académicien, écrivain, diplomate, ancien directeur de la Villa Médicis, etc.), mort en 2010, et qui avait laissé à la loge et à la disposition de la gardienne de l'immeuble, une cinquantaine hétéroclite d'ouvrages qui l'encombraient et parmi lesquels je suis allé au printemps dernier à la pêche.

Post-Scriptum: Vu dans l'après-midi un très bon thriller de Franck Mancuso (ex policier), sorti mercredi dernier: R.I.F. avec Yvon Attal et Pascal Elbé dans les rôles principaux. Très réussi. Divertissement vivement recommandé si on est amateur.

 

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Commentaires
S
Oserai-je nous demander (je vous inclus abusivement dans le questionnement) si DSK dispose comme votre grand-père d'un carnet en moleskine réservé à un usage à la fois analogue et plus personnel?<br /> A son éventuelle décharge - aïe, le mot est malheureux - c'est ce que faisait Victor Hugo; mais il semble qu'il n'ait, lui, pratiqué que d'enthousiastes consentements.<br /> Bonne reprise à vous aussi.
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G
Moleskine laisse pas indifférent. J'aime les papeteries et je me suis procuré de ces carnets élégants qui font écrivain et qui me rappellent quand ils ont l'élastique, l'agenda, avec un petit étui pour glisser le crayon, sur lequel mon grand père notait les saillies de ses étalons. <br /> Bonne rentrée, même si vos vacances n'ont pas été vraiment inactives.
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