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AutreMonde
3 juillet 2010

Crime versus Châtiment

Guillotin_Plantu Plantu - Le Monde - 2/7/10

Exposition du Musée d’Orsay – Elle a pris fin le 27 juin.

J’y suis allé dans les derniers jours. J’avais différé et puis, m’étant décidé à lire en poche Le Dernier jour d’un Condamné suivi de Claude Gueux et de L’Affaire Tapner, soit Hugo préfacé par Badinter, le reste a suivi.

Le petit livre est passionnant, avec d’éclairants commentaires de Guy Rosa, universitaire, spécialiste d’Hugo. Malheureusement, j’oublie ce que je lis dès après le mot fin. Navrant. Mais irréversible.  Du coup, seule demeure une impression générale, qui laisse L’affaire Tapner dans les limbes, et surnager quelques traces transportables de Claude Gueux et du Dernier jour, un bagage léger pour aller voir l’exposition.

On trouve dans la première salle un tableau de Jean-Baptiste Augustin Nemoz (1834-1897) intitulé Avant le crime et qui figure de façon assez amusante un Eric Cantona rêvant, assis sur une pierre au bord d’un quelconque chemin, à sa prochaine victime. C’est la ressemblance qui est amusante. Le tableau …

La guillotine est tout de suite exposée. Elle date de 1872 et a été en service jusqu’en 1977. Plus petite que je ne l’aurais cru. La lame en biseau est un peu piquetée et ne semble guère affûtée. Je n’ai pas cru sur le moment qu’il s’agissait d’un instrument réellement « de service ». Ce n’est pas indiqué. Seulement sa date de fabrication et ses composantes : bois, fer, etc. Cela ne m’a pas semblé outre mesure impressionnant. Clinique.

Tout de suite, également, le tableau de Géricault (1791-1824 / Je découvre qu’il est mort bien jeune, 33 ans, l’âge du Christ …) qui fait l’affiche de l’exposition : Etude de pieds et de mains. C’est très étal de boucher, avec des proportions qui ne semblent pas respecter la vraisemblance. Les pieds m’ont paru immenses.

On avance, oui, bon, rien qui retienne outre mesure l’attention, on arrive à Charlotte Corday. Le plus curieux, la concernant, à côté du mille fois vu, c’est une sculpture de Denys Puech (1854-1942 ; aveyronnais), un marbre, qui représente l’héroïne dans une attitude de vierge à l’enfant avec dans ses bras, en guise de nourrisson, une tête coupée, dont nul commentaire ne m’a dit si elle était celle de Marat ou plutôt, métaphoriquement, celle de tous les guillotinés que son geste meurtrier a en quelque sorte vengés. L’affection tendre de son regard me semble plaider pour cette hypothèse. Quelques vers d’André Chénier servent d’accompagnement : « Belle, jeune, brillante, au bourreau amenée … etc.»

On arrive aux têtes coupées. Diverses études. L’une des deux à mettre au crédit d’Auguste Raffet (1804-1860 ; grand illustrateur de la légende napoléonienne) semble avoir eu Lambert Wilson pour modèle. Ça va lui rallonger la vie de quelques années, comme on le dit de ces rêves où l’on fait mourir des vivants proches. Quelques têtes de Giuseppe Fieschi, auteur de l’attentat manqué contre Louis-Philippe qui fit 19 morts le 28/7/1835,  au lendemain de sa décapitation, le 19/02/1836, devenue du coup démultiplication grâce aux bons soins de Raymond Brascassat (1805-1867), de Hugues Fourau (1803-1873) et de François-Gabriel Lépaulle ( 1804-1884). Moins connue apparemment que celle de Fourau, la représentation de Brascassat m’a semblé plus efficace.

raymond_brascassat_tete_DBE                                  J’ai envie de dire : « etc. ».

Je n’ai pas été vraiment accroché par ce que je voyais. Au passage, éventuellement, une encre de chine d’Alfred Kubin (1877-1955), Sorcière au pilori, m’a retenu. Ensuite on en arrive aux Gazettes à faits divers et aux affiches du Boulevard du Crime (la portion du Boulevard du Temple occupée par les théâtres à mélodrames du XIX° siècle), représentations outrées et ruisseaux de sang. On regarde distraitement.

On passe devant une très belle porte de cellule en bois, épaisse, à ferrures, avec le guichet de surveillance, copieusement graffitée et gravée par les occupants des années 1890-1910. Des noms, des dates.

A côté, une vitrine et un pan de mur consacrés au Panoptique de Bentham …..

Le panoptique est un type d’architecture carcérale imaginée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle. L'objectif de la structure panoptique est de permettre à un individu, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. Ce dispositif devait ainsi créer un « sentiment d’omniscience invisible » chez les détenus. Le philosophe et historien Michel Foucault a particulièrement attiré l'attention dessus dans Surveiller et Punir (1975)  en faisant le modèle abstrait d'une société disciplinaire, inaugurant une longue série d'études sur le dispositif panoptique. (source : Wikipedia)

…… avec cette citation de Michel Foucault : « Bentham est le complémentaire de Rousseau (…) il y a cette phrase du Panoptique [ouvrage où Bentham a exposé ses vues] ‘‘Chaque camarade devient un surveillant’’ (…) Rousseau aurait dit sans doute l’inverse, que ‘‘chaque surveillant soit un camarade’’ »

On se fatigue toujours sur la fin. On a commencé dans l’attention interrogative , on termine au pas de course. Encore des affiches, des gazettes, des caricatures de Daumier (1808-1879) dont une me retient… parce que son croquis (en 1832) de Dupin (André-Marie ; magistrat et avocat) peut se mettre en regard du portrait du même exécuté par  Joseph-Désiré Court (1797-1865) pour faire ressortir et le génie de Daumier caricaturiste, et sa mauvaise foi, la face de gorille affublé de lunettes vers laquelle il tire la physionomie de Dupin étant possible … mais rien moins qu’évidente sur le portrait.

Franz-Joseph Gall est l’inventeur, en 1798 de la phrénologie. Bien.

Alphonse Bertillon, préfet de Police de Paris fonde en 1882 l’identification judiciaire avec photographie face-profil et relevé de caractéristiques anthropométriques. Il passait aussi son temps à offrir des crèmes glacées à ses petits-enfants. D’où …

Lustmörder, en allemand, désigne le Crime sexuel.

Ouf, on sort.

Parmi les documents proposés à la vente, j’ai pris le hors-série de Télérama. A la lecture, on voit qu’il accompagne l’exposition d’assez loin, faisant entendre sa musique personnelle, avec des digressions (interview de Claude Chabrol …). Plutôt agréable à lire, mais ne tirant pas de vraies leçons de ce qui est montré au public.

Or c’est bien là, me semble-t-il, que le bât blesse.

Au départ de l’exposition, il y a Robert Badinter et son souci de rester sur la ligne de justification de l’abolition de la peine de mort qu’il a arrachée en 1981, victoire qu’il a vécue comme l’aboutissement – enfin - des efforts initiés par Hugo avec Le dernier jour d’un condamné.

Or si l’on peut – et c’est  mon cas –  avoir été du camp des abolitionnistes  pour des raisons de principe et qui, dès lors, ne se discutent pas, la valeur argumentative du plaidoyer d’Hugo dans le sillage duquel voudrait se placer l’exposition ne saute pas aux yeux.

Et j’irai même, concernant l’exposition, jusqu’à penser et ressentir que loin d’être une présentation qui milite en faveur de l’abolition, elle se manifeste comme l’affirmation « par l’image » que le crime est bien plus grand en horreur que son châtiment définitif sous le couteau de la guillotine, pouvant, en ce sens-là, apporter de l’eau au moulin des nostalgiques du talion, révoltés du doux sort qu’on fait aux assassins abominables. 

Chez Hugo, dans Le dernier jour …, le crime n’est pas connu. Badinter y voit une force. Je n’en suis pas certain. Car Hugo ne cesse de peindre les états d’âme d’un condamné, indigné du manque de pitié qui s’exprime dans une peine irréversible qui va enlever un mari à sa femme et un père à sa fille, sans que ne puisse être écartée l’hypothèse que cette pitié absente et qu’il ne se lasse pas d’implorer, il n’ait omis  de lui faire droit lui, au moment de commettre ce qui justifie sa condamnation.

Je ne pense pas qu’il faille mettre dans les plateaux de la balance, d’un côté l’horreur du châtiment, de l’autre l’ignominie du crime, mais si l’on insiste exclusivement sur la première (angle d’attaque d’Hugo) en clamant son inhumanité, on se prive, laissant ouverte la porte à une décapitation châtiant un voleur de poules, du seul argument fort, qui est de refuser – au nom de l’humanisme – le talion et l’inhumanité d’une sanction qu’on voudrait proportionner à l’inhumanité du crime.

La cas Claude Gueux est différent, qui n’est pas en fait un plaidoyer contre la peine de mort mais la dénonciation d’un système judiciaire perverti qui pousse au meurtre un brave type.

Mais revenons à l’exposition qui, bien que poursuivant les mêmes fins qu’Hugo , en est à renverser les termes de l’affaire, tant la représentation des crimes y est forte et tant, pour jargonner moderne, l’image de la peine de mort y est clean. Aux femmes violées et éventrées s’opposent des condamnés à mort bien propres, les mains liées, droits et le regard ferme, devant l’appareil d’un supplice qui ne fera frémir que les grands imaginatifs, entourés d’exécutants qui ne semblent guère patibulaires. J’ai été tout du long gêné par ce porte-à-faux, car, croyant venir assister à l’enfer du condamné, je me suis essentiellement trouvé confronté à la boucherie des scènes de crime.  Curieuse impression d’effet pervers que j’ai un peu vécue comme un « ratage » de l’équipe Robert  Badinter (initiateur) – Jean Clair (commissaire)

Pas grand-chose à ajouter.

La société, qui a eu le mérite d’écarter le principe de l’exécution capitale, n’a toujours pas résolu la question de la dangerosité de certains déviants. Comment les repérer et comment les traiter sans verser dans la barbarie tout en respectant, au regard de leurs victimes potentielles, le principe de précaution ?

Le problème est quasiment toujours entier.

On pourrait s’en remettre encore à Hugo disant qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison, et tâcher de limiter les dégâts en améliorant le système éducatif …. Ce serait généreux et je suis persuadé que de ce côté-là, de larges progrès sont encore possibles, mais qui ne résoudraient néanmoins pas les cas extrêmes pour lesquels, on le sent bien, il y a une forme d’impasse.

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