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AutreMonde
5 avril 2010

Etats généraux de la Sécurité à l'Ecole

Réflexions et remarques « amont ».

Les états généraux de la sécurité à l’École sont organisés les 7 et 8 avril 2010 en Sorbonne, à Paris. On en trouve la présentation officielle sur le site du Ministère de l’Éducation Nationale : (http://www.education.gouv.fr/cid50830/etats-generaux-de-la-securite-a-l-ecole.html)

La parole ministérielle affirme qu’ils ‘‘apporteront un éclairage sur les causes, les définitions et les évolutions de la violence en milieu scolaire et permettront de proposer des réponses multiformes sur ce sujet complexe’’.

La nécessité d’une réflexion est affirmée - comme une découverte ( ?) - ‘‘suite à des incidents graves survenus en milieu scolaire’’, et puisqu’il s’agit d’une ‘‘problématique générale de sécurité’’, ces états généraux ‘‘auront une dimension interministérielle’’.

On met en place pour ‘‘préparer et suivre les états généraux’’ un ‘‘Conseil scientifique’’, qui sera présidé par Eric Debarbieux et composé, Debarbieux inclus,  de 15 ‘‘personnalités nationales et internationales’’.

Ce conseil a été installé par Luc Chatel le 11 mars 2010.

Quatre femmes et onze hommes .

Douze professeurs de diverses universités, sept françaises et cinq étrangères (Los Angeles (E.U.), Bar-Ilan (Israël), Cambridge (R.U.), Sherbrooke (Québec), Luxembourg (Luxembourg), Gand (Belgique)). Un criminologue. Une spécialiste québécoise des jeunes en difficulté. Une directrice de recherches au CNRS. Quinze.

Autrement dit, un aréopage très majoritairement masculin de membres  exclusivement issus de l’enseignement supérieur pour piloter la réflexion sur les problèmes de terrain que doit affronter dans l’enseignement élémentaire et secondaire un corps enseignant très féminisé.

J’ai comme un doute …

Glissons et voyons un peu – car ses positions sont publiées, publiques et connues – du côté d’Eric Debarbieux.

On trouve une présentation synthétique de son parcours dans un article du Monde du 11 mars 2010, et via le net (Google, etc.) nombre de ses interventions en réponse à diverses publications intéressées par la pédagogie. C’est un spécialiste reconnu, confortablement médiatisé, professeur à l’Université de Bordeaux II (en Sciences de l’Éducation) et président de l’Observatoire international de la violence à l’École (qu’il a créé).

Sans analyser sa philosophie au fond, il est à remarquer – et c’est tout à fait positif dans la perspective de sa présidence des débats – que Debarbieux revient itérativement sur deux points essentiels dans la prévention et la maîtrise des violences scolaires : la présence dans les établissements d’une équipe pédagogique et éducative stable, où le terme d’équipe ait du sens et une formation des maîtres qui prenne en compte cet aspect du métier qu’est  la violence.

Même si affirmer cela ne suffit pas.

Dans le domaine du constat, les différents observateurs tombent assez d’accord me semble-t-il sur des origines de la violence qui se partagent entre l’exogène et  l’endogène.

L‘exogène ?

Les inégalités sociales, les dysfonctionnements de la société, les problèmes endémiques de l’emploi, les difficultés à s’intégrer, à vivre, de toute une frange de la population, le glissement partout relevé de nombreuses valeurs, le désarroi des familles qui se déduit de tout cela, sans compter quelques démissions connexes, ne peuvent pas être sans conséquences sur le quotidien des élèves. Dans ce contexte dur, la sanctuarisation de l’école est une fausse bonne idée, par ailleurs inapplicable. Au contraire, l’école peut  être un lieu où ces questions sont acceptées, posées, examinées et mises en perspective, dans le respect des opinions, des personnes, dans l’effort de la réflexion commune, dialoguée,  et en tenant compte des (im)maturités.

L’endogène ?

Les témoignages et les dérapages abondent, ceux dont les médias s’emparent comme ceux qui restent confinés dans la honte cruelle des relations de classe. Le Monde, dans son numéro daté Dimanche 14-Lundi 15 mars a publié une intéressante chronique, équilibrée, de Fabrice Humbert, écrivain, professeur de lettres et qui n’hésite pas à le dire : ‘‘Enseigner relève parfois du match de boxe’’.

La classe est un lieu clos où peuvent se dérouler de véritables drames psychologiques, et qui n’a pas eu l’expérience  d’une classe difficile ne comprend pas ce que l’affirmation peut avoir de terrible, de terrifiant parfois.

Je crains que le Conseil Scientifique mis en place par le Ministère ne manque cruellement de cette dimension indispensable du vécu, et partant, ne réfléchisse ‘‘à côté’’. Debarbieux a été instituteur, il s’est occupé d’enfance inadaptée … Nous verrons.

L’exogène échappe au pédagogue dans ses causes, que traite si mal le politique, mais il doit en gérer les conséquences dans ses classes. Quant à l’endogène, l’inadaptation des structures scolaires, des méthodes et des programmes, l’isolement des enseignants, les objectifs affirmés et l’impossibilité de fait de les atteindre, l’incompréhension et les défaillances – parfois relatives, parfois cruelles - du système d’encadrement, d’animation et de soutien externe de la chose pédagogique (chefs d’établissements, corps d’inspection, administration centrale), tout cela ronge et mine une école qui ne parvient plus à guider ses élèves dans les voies du développement personnel et  de l’épanouissement collectif. La violence s’installe alors comme manifestation d’un trop profond mal-être. 

Mais revenons sur ces deux points dont je crédite Debarbieux et qu’il convient de développer car ils font indiscutablement partie, maîtrisés, de la solution du problème.

Deux points peut-être pas suffisants, mais absolument nécessaires.

Et je voudrais adjoindre à ces deux points deux autres pôles de ressaisissement, déterminant ainsi le soubassement équilibrée, solide et stable, sur quatre pieds,  de l’édifice scolaire à reconstruire, dès lors potentiellement auto-prémuni contre les tentations de la violence.

Il s’agit d’abord de comprendre que la verticalité des apprentissages – l’acquisition de connaissances et de compétences propres à une discipline donnée (mathématiques, histoire, langue vivante, français,.…) – est une affaire individuelle, une relation de chacun à telle ou telle discipline, sans corrélation des goûts ou des vitesses d’acquisition de l’une à l’autre. Prétendre dès lors faire avancer tous les élèves grosso-modo au même pas, par classes d’âge, dans le contexte et l’ambition d’un enseignement de masse, c’est se condamner à l’échec, engendrer des décrochages, des blocages, des conflits et des tensions.

La verticalité des apprentissages exige des progressions disciplinaires séparées dans des tuyaux d’orgue où s’élèvent des groupes distincts, définis par  discipline, de niveau homogène pour ce qui concerne cette discipline, afin de sortir des situations d’échec obligé et d’induire chez chacun des ambitions d’épanouissement dans l’excellence personnelle.

Il s’agit ensuite de prendre en compte ceci, que la violence, souvent, naît de l’incompréhension, ce qui englobe à la fois la peur de l’autre - dont on ne sait pas qui il est et dont on ne cerne pas les réactions, les modes de pensée, les modes d’expression - et l’impossibilité de se faire entendre, écouter, comprendre où soi-même on se trouve. Poncif, mais qu’il est bon de rappeler : l’immense pauvreté de vocabulaire et de structures syntaxiques des laissés pour compte de la scolarité obligatoire, au long de son parcours comme après, joue un rôle moteur dans l’émergence de la violence comme seule possibilité de règlement des conflits, faute d’avoir acquis les moyens de les penser, de les formuler, de les analyser, de les écouter dans ce qu’essaie d’en dire l’autre et aussi de les dire, soi-même. 

Il faut, pour remédier à cela, pour le prévenir, user du détour de la transversalité des apprentissages, en redonnant sens à une véritable vie de classe, constituée cette fois dans l’homogénéité des âges. Le groupe, là, outil essentiel de découverte concertée et solidaire du monde et des autres, doit s’appuyer sur la diversité des acquis de tous, dans des activités guidées  permettant à chacun de déployer sa compétence particulière comme de dévoiler en confiance ses hésitations et ses manques. La démarche du projet collectif, la démarche du débat thématique (fermement encadré), la démarche de l’ouverture critique au bruit du monde, sans crainte de l’actualité médiatique (fermement recadrée), la démarche de la découverte culturelle commune, de la vulgarisation scientifique adossée aux contributions de différents niveaux du groupe, etc. , voilà parmi d’autres quelques jalons sur le chemin. Mais pour organiser et gérer dans une cohérence éducative de qualité ces aventures transversales, il faut penser un autre pilotage de la classe … et recommander un principe de conduite bicéphale : deux enseignants à polyvalences larges et complémentaires inventant en binôme et assurant ensemble la construction et le développement des activités du groupe.

Verticalité, transversalité, je viens d’évoquer là deux démarches pédagogiques étanches l’une à l’autre et dont, l’une et l’autre nécessaires, il faut assurer les mises en place parallèles. D’où l’exigence d’une restructuration des cursus sur la base de deux mi-temps d’enseignement et de formation disjoints, dont les logiques distinctes se rejoignent pour assurer la compatibilité des objectifs proclamés d’un enseignement vraiment pour tous : un optimum éducatif d’ensemble dans le respect de l’excellence de chacun.

C’est au prix de cette utopie raisonnable que se résoudra la violence dans ce qu’elle a de spécifiquement scolaire.

Ce qui nous ramène à Eric Debarbieux et aux États généraux promis, via la double exigence qu’il formule (équipes pédagogiques, formation des maîtres) tant il y a là les fondements indispensables d’une possible opérationnalisation de l’utopie précédemment défendue.

Le thème des équipes pédagogiques, rebattu, est éternellement comme Achille chez Paul Valéry : ‘‘immobile à grands pas’’.

Rien n’avance. La raison en est simple : la mise en place effective et efficace d’équipes pédagogiques ne peut être envisagée que dans le cadre d’une redéfinition du métier d’enseignant. Redéfinition des missions. Redéfinition des services. Et les redéfinitions sont douloureuses.

Nécessité d’un élargissement des missions à une prise en charge du geste éducatif qui excède la délivrance des savoirs et s’étende à la construction de l’élève en tant qu’individu…

Nécessité d’un reconditionnement des services impliquant une présence dans l’établissement qui couvre tous les aspects de l’investissement pédagogique : préparation des cours, animation des séquences d’enseignement, échange et coordination verticale (entre collègues d’une même discipline) et transversale  (réinvestissement des savoirs dans la progression éducative des groupes-classes), élaboration et suivi d’un projet d’établissement et  organisation collégiale des activités dans le cadre dudit projet …

Le mot d’ailleurs est lâché, et cette affaire de projet est au cœur du sujet. La violence scolaire trouvera sa parade la plus efficace dans la prise de conscience par l’élève qu’il est le point de convergence d’un effort éducatif constant, collectif, attentif, respectueux de son individualité comme ferme sur les devoirs qu’il a envers lui-même, en devenir, et les autres, qui l’entourent. Et l’établissement doit bâtir un projet propre autour de ce souci de construction collective d’un environnement de transmission des savoirs et d’installation des valeurs humaines cohérent, précis, motivant, avec ses encouragements, ses soutiens et ses règles non transgressables.

Et cette affaire exige la présence continue d’une équipe dont l’encadrement ne peut se limiter aux séquences de cours.

Bien sûr, il faut approfondir, développer, mais le principe est là.

Et ce principe est lourd de conséquences : rénovation des locaux (pour le rendre réalisable), revalorisation des traitements (pour justifier le surinvestissement qu’il implique), réexamen dans toutes ses dimensions (désignation …) du statut de chef d’établissement (puisqu’une équipe c’est un management et une gouvernance, pour jargonner moderne)…

Et je n’aborde pas ici d’autres éléments, sur lesquels il faudra revenir et qui participent aussi de la logique de projet et concernent l’établissement (donc l’équipe) comme acteur de son environnement socio-économique, comme acteur possible de déghettoïsation dans les zones difficiles, comme moteur de désenclavement culturel, dans un rayonnement dont on peut attendre un effet pacificateur mesurable … Ce champ de réflexion existe, et doit être labouré.

Formation des maîtres, dit Debarbieux. Formation aux phénomènes de violence, certes, mais formation d’abord. Indiscutablement, un module d’apprentissage dialogué des attitudes - en particulier pédagogiques - recommandées face aux situations de violence semble être un socle de départ bienvenu. Mais il ne faut pas perdre de vue, parlant de formation, qu’au-delà de quelques éléments théoriques, de cadrage préalable en quelque sorte, c’est l’expérience de terrain qui fonde la compétence pédagogique. Il y a des ‘‘gestes’’ simples, qu’il faut évidemment présenter, mais chacun sait que leur efficience, quand mis en pratique, n’est jamais immédiatement garantie et que beaucoup repose sur le bon soutien-guidage-accompagnement des premiers pas. Les sciences de l’éducation développent des modèles adossés pour l’essentiel à des approches statistiques. Ils ont une forte valeur de constat et il faut en tenir compte. Mais l’enseignant, dans son quotidien, ne rencontre que des cas particuliers et sa capacité de réponse aux difficultés, c’est largement l’expérience qui va la construire.

Du coup, derrière ces questions de formation, réapparaît le problème de l’équipe pédagogique, tant c’est dans le cadre d’accueil intégrateur de celle-ci que l’enseignant débutant trouvera - ou pas si l’équipe est en déséquilibre - les conditions optimales de ses indispensables apprentissages professionnels. Et cette intégration du débutant, l’équipe pédagogique doit la porter à son cahier des charges.

Le Ministère évacue trop vite le problème en s’abritant derrière un vocable dont il appauvrit le sens: Compagnonnage. Car la version qu’il en donne dénature entièrement ce qu’il pouvait y avoir là de constructif, version qui nie cette évidence : le compagnonnage, c’est la co-responsabilité et la co-animation des classes tout au long de l’année scolaire par un binôme composé d’un enseignant qui débute et d’un collègue chevronné. Point. Ce n’est pas une activité épisodique et marginale de conseil qui laisse pour l’essentiel le débutant seul face aux élèves.

Ajoutons un point essentiel, connexe en fait à la notion d’équipe et de projet. J’ai évoqué ci-dessus l’importance dans les questions de violence scolaire de cette atmosphère , de ce climat fait d’encouragement, d’écoute mais aussi de constant contrôle et rappel à la règle qu’une équipe pédagogique à la présence chaleureuse et continue doit installer dans tout l’espace de scolarisation, c’est à dire dans les salles de classes, mais aussi les couloirs et les cours dites  de récréation. Dans l’installation de ce climat, le rôle de l’équipe de direction (le chef d’établissement  et ses adjoints) est moteur. On ne peut pas espérer maîtriser la question de la violence scolaire si on ne comprend pas à quel point c’est localement, dans une prise de conscience collective, dans l’investissement de chacun au service d’une philosophie d’établissement concertée, homogène, clairement définie et rigoureusement appliquée, que pourra se pacifier le rapport de l’élève au savoir, à ses camarades et à ses professeurs. Et cette philosophie, pour la faire éclore, pour la dessiner et la concrétiser, il faut des moteurs de réflexion, des porteurs de parole, des personnalités en mesure de l’installer et de la faire vivre dans le cadre d’une gouvernance ouverte et éclairée. La question de la direction, du pilotage des établissements se trouve, par là, entièrement à reposer.

Synthèse, résumé, conclusion ?

Des états généraux de la sécurité à l’école vont donc se tenir. Ils balaieront sans doute les thèmes que j’ai évoqués. Jusqu’où ? Iront-ils ailleurs ? Le titre et la désignation « sécurité à l’école » peuvent faire craindre des dérives sécuritaires là où la question doit être la maîtrise du caractère spécifiquement scolaire de la violence par une réflexion sur l’ingénierie pédagogique de nature à ouvrir la porte aux révisons structurelles et méthodologiques permettant d’optimiser et de pacifier les voies de l’éducation et de la connaissance. 

Les maîtres mots dans ce cas doivent être ceux-ci : émergence d’équipes pédagogiques et éducatives capables, dans les établissements, d’assurer la prise en charge complète et continue de la population scolaire locale pour la conduire à la maîtrise des outils nécessaires à son épanouissement adulte à venir via l’acquisition individualisée de connaissances et de valeurs collectivement partagées, au sein d’un projet adapté, cohérent, à tensions minimisées et efficacement géré.

Avec conséquences structurelles : locaux, traitements, pilotage.

Proposition programmatique esquissée : offre duale d’excellence individuelle (dans des parcours disciplinaires dissociés regroupant des acquis homogènes) et d’épanouissement personnel (dans l’ouverture au collectif de groupes-classes diversifiés).

Connexe : Déployer un recrutement et une formation des maîtres en adéquation avec ces objectifs.

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Commentaires
N
La Violence à l'école est un problème extrèmement préoccupant. <br /> Ma fille a été victime de violences scolaire il y a deux ans et demi , après avoir été rackettée et injuriée , elle a été étranglée à plusieurs reprises et en est décédée . <br /> Elle avait écrit son despespoir dans des lettres de détresse adressées au personnel scolaire et a la gendarmerie . Elle n'a jamais été entendue ... <br /> Nous n'arrivons pas non plus à nous faire entendre en justice encore aujourd'hui ... http://noelanie.unblog.fr
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D
Notre association marseillaise tente de réfléchir à ce problème. Agressivité des jeunes, comportements et attitudes violents. Il est important de trouver des alternatives au "tout répressif". Notre association formée de professionnels de l'éducation a mis en oeuvre une méthode de formation pour aider les pratiquants à trouver les gestes et postures adaptés pour dédramatiser une situation et traiter le conflit.
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