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AutreMonde
1 décembre 2009

Bilan finkielkraltien

Lectures Finkielkraltiennes (I-IX) : Un cœur intelligent

On peut se poser  des questions sans être assuré qu’elles soient judicieuses.

Celle-ci par exemple : « Quelle(s) cohérence(s) pourrait-on dégager  des neuf choix de Finkielkraut dans ‘‘Un cœur intelligent’’ ? » ou cette autre, qui n’en est en réalité qu’une variante, « Que nous apprend ‘‘Un cœur intelligent’’ sur son auteur ? » .

Dans l’essai, l’analyse des œuvres choisies est faite dans l’ordre suivant:

La Plaisanterie                       (M.Kundera)

Tout passe                              (V.Grossman)

Histoire d’un allemand          (S. Haffner)

Premier homme                     (A.Camus)

La Tache                                (Ph.Roth)

Lord Jim                                 (J.Conrad)

Carnets du sous-sol                (F.Dostoïevski)

Washington Square                (H.James)

Le festin de Babette               (K.Blixen)

Huit hommes, une seule femme (K.Blixen), chez les auteurs. Chez les personnages, deux figures féminines seulement, dues à H.James, dont la sexualité est restée assez mystérieuse, et à Karen Blixen. Des histoires d’hommes, écrites par des hommes dans tous les autres cas. Et encore, pour ce qui est des femmes, Babette est fort peu féminisée. Son message est asexué.

On note, sauf – en première analyse - pour H.James et Karen Blixen, une forte à très forte imprégnation autobiographique, avec le cas particulier de Ph.Roth où elle est de second degré mais très concrètement immergée dans son observation critique du fait américain. 

La succession des thèmes ?

D’abord (Kundera – Grossman), l’individu dans les aberrations du stalinisme. Puis (Haffner) devant la montée du nazisme. Avec, dans les trois cas, un examen de ses marges possibles de lucidité.

Dans les quatre ouvrages suivants (Camus – Roth – Conrad – Dostoïevski), comment s’auto-construit ou s’auto-détruit un homme, adossé à une culture (Camus), porté par l’instinct vital et affronté à l’immense bêtise des idées reçues (Roth), perverti par une conception délirante du souci de soi (Conrad – Dostoïevski).

L’inanité des attentes, dans les deux derniers livres, sentimentales (James), sociales (Blixen).

Finkielkraut, lui, a sous-titré différemment. Toujours dans l’ordre :

Le sage ne rit qu’en tremblant                                  (M.Kundera)

Les orphelins du temps                                              (V.Grossman)

L’encamaradement des hommes                               (S. Haffner)

Voici les miens, mes maîtres, ma lignée …               (A.Camus)

La plaisanterie                                                          (Ph.Roth)

La tragédie de l’inexactitude                                    (J.Conrad)

L’enfer de l’amour-propre                                        (F.Dostoïevski)

La muflerie du vrai                                                   (H.James)

Le scandale de l’art                                                   (K.Blixen)

Les orphelins du temps, et La muflerie du vrai : ceux-là me semblent au moins sibyllins, eu égard aux deux romans. Mais les autres sous-titres, pourquoi pas ? Ils signent assez précisément une dominante de lecture, voire (Haffner, Camus) sont une reprise explicite de l’écrivain commenté. Celui retenu pour Roth étant évidemment un clin d’œil à Kundera.

Mais revenons au fond.

Ce qui me frappe, là-dedans, c’est le profond désenchantement de Finkielkraut. Les livres qui le touchent – pour en croire son échantillon – ce sont ceux qui le confortent dans la cruauté de tout espoir, la vanité de tout effort,  et la certitude de tout échec. Au fond, pour lui, le pire est toujours sûr.

Les vies les plus prometteuses ou les plus brillantes sont détruites, piétinées, vidées de contenu par la domination de la bêtise ou du fanatisme (Kundera, Grossman, Roth), les espérances collectives sont niées par la veulerie des déviances grégaires (Haffner ; Brassens l’avait chanté moins lyriquement : « Dès qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons »), l’enflure ratiocinante ou radoteuse de l’ego pousse aux conduites absurdes (Conrad, Dostoïevski, Blixen) et au culte de l’inutile (Conrad, Blixen).

Il n’y a, il n’y aurait qu’un espoir, et c’est Albert Camus qui l’incarne ici, dans le seul ouvrage vraiment positif, défenseur du respect de soi (« … un homme, ça s’empêche… »), de l’héritage, de la volonté, de la tradition, d’un humanisme fraternel et ouvert, un espoir qui pourrait passer par la culture et par l’école. Qui pourrait … mais Finkielkraut n’y croit plus. Et puis Camus est mort, tué par le modernisme imbécile d’une « bagnole ». Alors, il regarde, impuissant et furieux, emporté et colérique, citant Hannah Arendt ou Simone Weil et se disant, au moins, elles n’auront pas assisté à ça, les effondrements d’une époque qui n’est plus la sienne et le triomphe absolu de la bêtise qui lui semble signer sa lecture du monde. Et il souhaite alors, ce qui parfois biaise sa réflexion,  que ces auteurs, qu’il a retenus, achèvent de lui donner raison.

Alain Finkielkraut, penseur navré …. La culture, celle à laquelle il a cru, celle qu’il s’est donnée, il la voit faire naufrage. La littérature, celle qui fait réfléchir, celle qui lit le monde, celle qui l’a construit, il croit la voir « foutre le camp » dans l’internétisation du tout se vaut comme  dans le relativisme proclamé des équivalences d’expression communautaristes.  Alain Finkielkraut, penseur blessé…

Il me semble qu’il y a beaucoup de tout cela dans Un cœur intelligent.

Dans son introduction…

… et pour présenter au fond le titre choisi pour son essai, Finkielkraut fait référence à ce passage de la Bible qui rapporte un songe du roi Salomon, y demandant à Dieu un cœur intelligent. En voici une traduction (Source Internet) :

(Rois, I, 3 :6 et sq …)

[ L'Éternel apparut à Salomon, à Gabaon, dans un songe de la nuit. Et Dieu dit: Demande ce que tu veux que je te donne.

3:6 Et Salomon dit: Tu as usé d'une grande bonté envers ton serviteur David, mon père, selon qu'il a marché devant toi en vérité et en justice, et en droiture de cœur avec toi; et tu lui as gardé cette grande bonté, et tu lui as donné un fils qui est assis sur son trône, comme il en est aujourd'hui.
3:7 Et maintenant, Éternel, mon Dieu, tu as fait roi ton serviteur en la place de David, mon père, et moi, je suis un jeune garçon, je ne sais pas sortir et entrer;
3:8 et ton serviteur est au milieu de ton peuple, que tu as choisi, un peuple nombreux, qui ne se peut compter ni nombrer à cause de sa multitude.
3:9
Donne donc à ton serviteur un cœur qui écoute, pour juger ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal; car qui est capable de juger ton si grand peuple?
3:10 Et la parole fut bonne aux yeux du Seigneur, que Salomon eût demandé cette chose.
3:11 Et Dieu lui dit: Parce que tu as demandé cela, et que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, et que tu n'as pas demandé pour toi des richesses, et que tu n'as pas demandé la vie de tes ennemis, mais que tu as demandé pour toi du discernement afin de comprendre le juste jugement,
3:12 voici, j'ai fait selon ta parole; voici, je t'ai donné un cœur sage et intelligent, en sorte qu'il n'y aura eu personne comme toi avant toi, et qu'après toi il ne se lèvera personne comme toi
.]

La requête de Salomon, découragé de l’adresser à Dieu et souhaitant comprendre et au besoin juger non plus le peuple d’Israël mais le monde et ce que nous y faisons, Finkielkraut veut l’adresser à la littérature. L’intelligence que nous diffusent en retour les ouvrages qu’il a retenus, par la médiation de ses lectures, me semble quand même assez déprimée…

Le pessimisme culturel de Finkielkraut rejoint un pessimisme social plus général. Dans les deux cas, la réponse passe en fait par l’école. A notre échelle française, le drame national est dans l’incompréhension du phénomène par les politiques et par tous ceux que l’establishment  charge d’y réfléchir (les membres du HCE – Haut Conseil de l’Education - entre autres) comme par les intellectuels qui se répandent dans les médias, parce qu’ils sont tous trop loin du terrain. Du coup, on en reste à vouloir réformer la réforme précédente quand il faudrait penser ex nihilo et se décider (presque, ou … enfin) à faire du passé table rase. 

Mais j’en suis persuadé, il y a ici ou là quelques intelligences lucides. Et qui pourraient un jour, par coagulation, atteindre la masse critique propre à mettre en marche une véritable refonte du système. Oui, la situation actuelle est désespérante. Finkielkraut a sans doute le tort, partant de là, de désespérer. Question de tempérament ? Il est temps au contraire de persévérer, encore temps de considérer Sisyphe heureux.

ADDITIF :

La librairie La Procure (Paris 6ème / Entre le Jardin du Luxembourg et l’Eglise Saint-Sulpice) recevait il y a peu, dans le cadre de ses Jeudis et à propos de son essai,  Alain Finkielkraut. Au travers d’un échange de quarante minutes, avant séance de signatures, on avait droit (je n’y étais pas, mais on trouve la vidéo sur Dailymotion) à quelques éclaircissements complémentaires.

D’abord peut-être celui-ci, qu’un dixième ouvrage avait été envisagé, scénario d’Ingmar Bergman pour un film qu’il n’a jamais tourné et qu’on trouve chez Gallimard sous le titre : Les meilleures intentions. Evidemment, il faudra aller lire ça …

Cette affirmation, aussi que les polémiques qui en 2005 se sont développées autour de Finkielkraut qui s’est vu accuser de racisme l’ont fait peu ou prou se lire en héros de Roth dans La Tache ou de Kundera dans La plaisanterie … avec l’évidence que cette affaire l’a profondément marqué, a orienté ses choix - comme en vue d’une catharsis  (ce sont ses termes) - et pesé sur ses analyses.

On récupérait au passage deux indications ou pistes de lecture supplémentaires :

-         Des hommes ordinaires, de l’américain Christopher Browning (en complément de Sébastien Haffner)

-         Iris Murdoch, globalement, comme grande romancière selon lui mésestimée …

Réf. Vidéo : http://www.dailymotion.com/rated/user/Librairie-La-Procure/1 

Un document intéressant.

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